Du coup, Bob Marley s'en est allé peupler le Panthéon des immortels de la musique du siècle dernier, parti trop tôt, à la fleur de l'âge, à l'image d'Otis Redding, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Elvis Presley, Abdelhalim Hafez, Curt Cobain… Une cruelle perte ! Celle d'un auguste compositeur, contrairement à ce qu'on croit, chanteur, instrumentiste et surtout leader de la cause progressiste (le vocable est obsolète), révolutionnaire, tiers-mondiste… Un chantre de la revendication identitaire africaine et messianique des rastafari. Celui des libertés des peuples et de la protestation politiquement incorrect. Une disparition d'un immense personnage au sommet de sa gloire et au firmament de son art pas du tout mineur, le reggae. Robert Nesta Marley est né le 6 février 1945, à Sainte-Anne, Jamaïque. En 1964, il forma son groupe mythique The Wailers avec Bunny Livingston et le grand Peter Tosh (lui aussi mort prématurément). Mais ces derniers lui feront défection pour une carrière solo. Leur premier succès fut Simmer Down. Sollicité par Johnny Nash pour une tournée internationale notamment en Suède, Bob Marley signe Stir it Up. Sa carte de visite sera déclinée par des «hymnes» (devenus standards depuis) Get up Stand up et I Shot the Sheriff. Mais c'est le guitar hero Eric Clapton alias Slow Hand ou God qui sera sa planche de salut. Eric Clapton ayant repris I Shot the Sheriff fera découvrir Bob Marley. Aussi, l'on s'est intéressé à l'auteur de ce titre, et par voie de conséquence, à la musique reggae. Le reggae venait de sortir de l'ornière du ghetto, sa patrie de Trenchtown, quartier populeux et populaire. Cependant, la sortie des albums cultes tels que Natty Dread (1975), Rastaman Vibration (1976) ou encore Uprising (1981), valurent à Bob Marley un statut de Jah («dieu» vivant). Icone internationale s'étant aussi révélée et ayant installé son «babylon system» avec des titres comme Positive vibrations, War, Zimbabwe, Is This Love, Africa Unite, Jammin, One Love ou encore Redemption Song (une merveille prémonitoire). Bob Marley aurait fait un bon président de la Jamaïque ou membre d'un conseil universel des sages (si un jour où il n'y aura plus de présidents dans le monde, le rêve est permis). Son programme présidentiel était universel : Lutte contre les injustices sociales et politiques, soutien agissant aux causes nobles, justes et révolutionnaires, être la voix des opprimés du monde (Remember son poignant hommage à l'Afrique et au Zimbabwé sur le mythique album Survival, dont la pochette représentait tous les drapeaux des pays africains). Bob Marley prônait la paix à la manière du rastafarianisme. Une religion et un mouvement auxquels il s'était converti en vouant une admiration et autre sublimation du Négus, l'empereur d'Ethiopie, Hailé Selassié, connu comme rastafari. Le rastafarianisme observe des coutumes caractéristiques comme l'adoption des dreadlocks (tresses jamaïcaines), la consommation du ganja (chanvre), la revendication de l'africanité, la liberté des peuples, le port du bas de football sport-rasta et le retour à l'Afrique. Et ce petit mais grand homme dérangeait avec sa musique et ses textes rebelles anti-impérialistes. Bob Marley échappera, miraculeusement, à un attentat. Attentat manqué Un jeune de 16 ans tirera trois coups de feu sur Bob Marley, deux jours avant le concert Smile Jamaica, le 5 décembre 1976, au National Heroes park, à Kingston. Il donnera ce concert en faveur de la paix avec plusieurs bandages. Chris Blackwell, son mentor, celui qui a édité ses disques sur le fameux label Islands confiera plus tard «que la CIA était impliquée dans ce malheureux épisode». D'ailleurs Bob Marley composera un titre allégorique et de circonstance Rat Race (la course aux rats, in l'album Babylon by Bus) où il chante : «Rasta ne travaille pas pour la CIA…» Cependant, le meilleur moment de sa vie aura été le concert historique de la paix One Love, à Kingston. Bob Marley, le «présidentiable», accomplira un geste anthologique. Il réussira à réunir sur scène deux hommes politiques et ennemis déclarés. Michael Manley, chef du People National Party d'obédience socialiste et Edward Seaga du Jamaican Labour Party, un parti proaméricain. L'image est éloquente et attendrissante. Chacun des deux hommes politiques lui passait le bras sur l'épaule alors qu'il chantait et célébrait la paix. Bref, Bob Marley, un grand homme politique ! Le chanteur jamaïcain, Jimmy Cliff révélé par le titre Many Rivers to Cross et par le film The Harder They Come de Perry Henzel dit de lui : «Bob Marley voulait être considéré comme étant un être humain. Ce qui m'a frapppé le plus chez lui, c'étaient les paroles de ses chansons. Il avait une grande intelligence de l'emploi des mots. Vous pouviez voir immédiatement que c'était un poète…» Aussi, le reggae de Bob Marley influencera ses pairs et la nouvelle génération. On citera Eagles (Hotel California), Police (Roxane, Walking On the Moon), les Rolling Stones (Cherry Oh, Baby), UB 40 (Red Wine), Culture Club de Boy George avec Do You Really Want to Hurt Me, Stevie Wonder (Master Blaster), Prince (Willing And Able), Alpha Blondy (Brigadier Sabari), Chaka Demus and Pliers, Fugees, Wyclef Jean, Jimmy Oihid, Raïna Raï, Khaled, Mami ayant fait un duo avec un certain Ziggy Marley (le fils de son père) ou encore Gorillaz. Dans un entretien réalisé par Stephen Davies et Peter Simon au studio mythique de reggae Tuff Gong, à Kingston, Bob Marley parle de l'avenir du reggae : «Je sais ce qui va arriver. Le reggae va devenir un vrai combat. C'est la musique du Tiers-Monde. Vous ne pouvez pas le comprendre en un jour. Cela vient peu à peu…» Ainsi, Bob Marley, le reggae et ses déclinaisons sont toujours actuels et dans la tendance. The legend lives on ! La légende continue, encore et toujours !