II me dit que son livre s'appelait le livre de sable, parce que ni ce livre ni le sable n'ont de commencement ni de fin ». Tout amoureux raisonnable de lecture devrait avoir lu le recueil de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, paru en 1975 et intitulé Le Livre de sable, comme la nouvelle dont est extraite cette phrase. Une histoire fantastique où l'auteur narre l'irruption chez lui d'un étrange personnage qui réussit à lui vendre un livre non moins étrange dont « le nombre de pages est exactement infini ». Commençant à le lire, l'auteur se rend compte qu'aucune de ces pages n'est la première ni la dernière et qu'elles semblent s'effacer une fois qu'on les a lues. Magnifique allégorie de la puissance du livre, ce recueil de nouvelles n'est au fond fantastique que dans la forme car, à bien y penser, quand on a lu un livre, on ne se souvient finalement que des pages qui nous ont marqués, en dehors de tout ordre de succession. Il ne reste alors ni première page, ni dernière, ni suivante, ni précédente d'ailleurs, mais seulement celles qui nous ont émus, intéressés, choqué, bouleversés, amusés, etc. Il faut bien maintenant vous dire ce qui a fait remonter à ma mémoire Borges et son fameux livre. Eh bien, pas plus qu'une dépêche de presse perdue dans le flot, sinon la crue, des « nouvelles » du pays et du monde. Une infime dépêche de l'APS, comme un grain de sable dans l'immensité des tassilis de l'information. Une dépêche donc qui annonce le lancement prochain de la construction d'une bibliothèque à Illizi. Pas d'autres précisions sinon que le budget alloué est de 40 millions DA, le prix d'un appartement de grand standing à Alger ou mettons d'une petite maison. Mais bon, ne faisons pas la fine bouche et considérons que cette nouvelle-là en est une bonne, de celles qui ne font pas la une des journaux mais dont l'effet mérite d'être souligné. Mettez-vous un instant à la place des jeunes et des enfants d'Illizi pour envisager tout ce que cela peut représenter dans un chef-lieu qui se trouve déjà à 1000 km de Ouargla. Troisième wilaya du pays avec près de 12 % du territoire national, Illizi avec ses quarante mille habitants environ, présente une densité humaine voisine de 0,1 % d'habitants au km2. Quelle peut être alors la densité des livres là-bas ? Epsilon ou une poussière d'infini. C'est donc bien une révolution que d'y construire une bibliothèque même si ce serait mieux d'y consentir un peu plus d'argent et de la doter d'un ou deux bibliobus tout-terrains pour rendre le livre nomade. Cela dit, le désert des livres ne se trouve pas qu'au Sahara s'il faut en croire l'étude par sondage réalisée par le Centre mondial de consulting et de prospective auprès de 1000 personnes réparties sur dix wilayas d'Algérie. Avec un taux de lecture de 6,8 % seulement et près de 57 % de personnes qui ne lisent jamais, nous serions donc tous « illizibles », quelle que soit notre implantation géographique. De là, nous voilà sérieusement menacés d'ensablement cervical. Tahar Djaout avait écrit un roman qui s'intitulait L'invention du désert. C'était donc cela : la désertification commence dans les esprits.