Pouvez-vous nous retracer brièvement votre parcours ? Je suis concepteur visuel. Je suis diplômé de l'Ecole supérieure des Beaux-Arts, promo 1990, où j'ai fait communication visuelle. Dans le domaine de la publicité politique, j'ai travaillé sur les campagnes de Bouteflika de 1999 et de 2004. J'ai également fait la campagne législative du FLN en 2002, où j'ai travaillé sur la refonte de l'identité visuelle globale de ce parti. On a refait carrément le logotype du FLN. J'avais proposé une image nouvelle, une autre façon de faire aussi. Quand on connaît votre père, feu Kadour Samar, on sait de qui vous tenez. Parlez-nous un peu de lui. Benjamin Franklin a dit : « Tu lui dis, il oublie. Tu lui enseignes, il se souvient. Tu l'impliques, il apprend. » Et moi, comme j'ai été impliqué dès mon jeune âge dans le métier de la photo par mon père, j'ai appris. Et cette culture est là aujourd'hui. Mon père, Kadour Samar, était la mémoire visuelle de l'ALN. Et pour cause : il était le chef du service de la cinématographie et de la photographie de l'état-major ouest, commandement des frontières, à la base Larbi Ben M'hidi, Zone 8. Il avait quitté Alger vers 1938 pour s'installer en Tunisie, où il exerça entre autres le métier de miroitier. Il passa un concours de photo et se classa deuxième. Il faut dire qu'il avait l'œil. Par la suite, au début des années cinquante, il s'installa à Oujda, rue de Fès, où il ouvrit un studio photo qu'il avait baptisé dans un premier temps « Le Résistant », puis devenu « El Moudjahid ». Pour la petite histoire, lorsque le FLN avait décidé en 1956 de créer un journal dédié à la chronique de la Révolution, mon père lui avait attribué l'enseigne de son propre studio et cela donna le journal El Moudjahid. En 1955, il intégra l'état-major en tant que photographe de l'ALN et devint le chef de service de la cinématographie et de la photographie de l'état-major ouest. A l'indépendance, il entra en désaccord avec les responsables politiques de l'époque et démissionna. Il resta au service du journal El Moudjahid. Il était également correspondant de l'APS à Blida. Ensuite, il est devenu simple projectionniste, sillonnant toutes les salles de cinéma de la Mitidja. Mon père est mort en 2008, à l'âge de 95 ans, en gardant toute sa lucidité, sa mémoire et son charisme. Le hasard a voulu qu'il décède un 18 février, Journée nationale du chahid. Il est mort le cœur brûlé, rongé par une grande inquiétude. Il était inquiet pour l'avenir de ce pays. Pour revenir à votre parcours, qu'avez-vous apporté à la campagne du candidat Bouteflika en 2004 ? Nous avons surtout apporté un regard neuf. Par exemple, le bleu était mon idée. Le bleu évoque le savoir compétent, la rationalité. Le vert, on l'avait testé en 1999, on ne voulait pas s'éloigner de la symbolique nationaliste du vert, même si le vert est aussi la couleur de la fertilité. En 2004, on a essayé d'injecter d'autres nuances. On a également uniformisé la campagne en termes de scénographie. Nous avons ainsi suggéré d'utiliser un pupitre transparent et d'éviter le pupitre opaque. C'est pour évoquer la transparence. Concernant l'affiche, elle était sobre mais lumineuse. C'était une belle image où le candidat avait belle allure, et servie par une bonne mise en scène, avec de la profondeur, de la perspective. Il était impératif de se projeter dans ce type d'affiches pour changer les attitudes. Ceci nous amène à nous arrêter sur la présidentielle de 2009. Quel regard portez-vous sur le matériel visuel utilisé par les candidats en lice dans cette campagne en termes d'image, de packaging, de qualité artistique ? Les éléments que je relève d'emblée sont d'abord l'inertie qui caractérise les affiches et leur absence de dynamisme. Il n'y a pas de force qui s'en dégage. Ce sont des images molles, mortes, statiques. Le choix de la mise en scène, le caractère typographique, le choix des couleurs, la gestuelle, tout est à revoir. Aucune n'inspire vraiment l'image d'un vrai homme (ou femme) d'Etat. Quelles seraient vos consignes aux candidats soucieux d'améliorer leur « prestation visuelle » ? D'abord, il faut que le candidat regarde de face l'électeur. C'est important, il faut qu'on voie les yeux, il ne faut pas qu'il ait le regard fuyant, vague ou distrait. Il doit avoir le regard frontal qui suggère que l'on s'adresse à l'électeur. La lumière également est importante, le positionnement de l'affiche, la mise en scène. En règle générale, si l'on n'arrive pas à avoir un portrait de face, il faut opter pour un portrait de trois quarts. Nos hommes politiques n'auraient-ils donc pas intégré l'idée qu'il faut se mettre au marketing politique pour soigner leur image ? Tout à fait. Je crois que c'est une culture que nous n'avons pas. Nous n'avons pas la culture de l'image. On n'a pas encore cette maturité.