Le professeur Mohand Issad, auteur du fameux rapport d'enquête sur les événements du printemps noir en 2001, n'a pas souhaité commenter les déclarations du candidat président Bouteflika faites vendredi à Tizi Ouzou. « Je n'ai rien à dire, moi j'ai fait mon travail », s'est contenté de répondre, catégorique, le Pr Issad, hier dans un bref entretien à El Watan. Il est évident que le célèbre juriste ne souhaite pas se « mouiller » seul et engager un front contre le Président pendant que les acteurs politiques de la région se la coulent douce et n'ont osé ne serait-ce qu'un communiqué. Le néo-candidat du « consensus » a en effet asséné un énigmatique : « Je ne sais pas jusqu'à l'instant, ce qui a provoqué cette tragédie nationale », en évoquant ces événements qui ont causé la mort de 124 jeunes de la région et plus de 5000 blessés. Tout le monde s'est demandé ce vendredi où étaient passés ces animateurs d'un mouvement qui a cessé d'être citoyen. Ils étaient, en effet, nombreux, ces personnages inconnus au bataillon des luttes citoyennes, à avoir fini par troquer le combat pour l'honneur des victimes du printemps noir contre le confort que leur a procuré la générosité politicienne du pouvoir. Tirés de l'anonymat par le sanglant printemps, ils s'y réfugient aujourd'hui sur la pointe des pieds. Le sort de la fameuse plateforme d'El Kseur est, ironie de l'histoire, scellée et bien négociée… Cet énigmatique aveu de Abdelaziz Bouteflika, à savoir : « Je ne sais pas jusqu'à l'instant, ce qui a provoqué cette tragédie nationale » est passé curieusement dans la rubrique des pertes et profits. Tant mieux, dirions-nous, que le président candidat soit revenu sain et sauf, mais surtout content de son retour à Tizi. Ce serait toujours un motif d'espérance pour la population de la région qui a subi les mauvaises humeurs d'un président au point de la bouder pendant cinq ans. Elle attend désormais un retour sur « investissement » de la Maison de la culture, même si les hôtes du jour sont ceux de toujours. Les Kabyles donnent l'impression d'être las de se laisser punir politiquement, économiquement et socialement par un chef de l'Etat qui en fait presque une affaire personnelle. Ce vendredi, Bouteflika a eu rendez-vous avec une Kabylie telle qu'il la voulait. Consentante, voire soumise et suspendue à ses lèvres. La Kabylie pourfendeuse, insoumise et rebelle, c'était hier. C'était au temps des émeutes. C'était il y a huit ans. Ce printemps 2009, lui, est annonciateur d'un automne démocratique. Le RCD, le FFS, le MCB, les archs et même le MAK et tous ces mouvements qui font bouger la région semblent avoir perdu la main. La population ne capte plus leurs appels au demeurant timides. Pendant ce temps, l'administration de Bouteflika s'est chargée opportunément de l'occupation du terrain. La nature ayant horreur du vide, le RND qui, jadis, rechignait à proposer des candidats dans cette région politiquement bipolaire, trône aujourd'hui allégrement sur beaucoup d'APC. Quant au printemps noir, il a refleuri par la magie d'une gerbe de fleurs déposée sur la tombe du défunt Guermah Massinissa. Avec les compliment des animateurs du mouvement des archs. La population de Kabylie a fini par comprendre qu'il est contre-indiqué de croiser le fer avec un pouvoir sans pitié. Elle a également compris que ses représentants politiques s'avèrent presque inutiles tant ils ne partagent pas ses souffrances. En se jetant dans les bras de Bouteflika, elle ne l'a pas fait de gaieté de cœur. C'est juste un cri de détresse d'une population séduite puis abandonnée par ceux qui parlent en son nom. C'est pourquoi le professeur Mohand Issad a toutes les raisons du monde de ne pas souffler inutilement sur une braise éteinte.