Des centaines de sangliers sont abattus chaque année, puis enfouis. Des quantités importantes de pignons sont extraits de nos forêts et sont acheminées clandestinement vers la Tunisie pour les besoins de l'industrie pâtissière. Des tonnes de champignons, vénéneux notamment, sont également exploitées par des cercles opaques qui recourent aux services d'enfants innocents. Bref, les forêts algériennes sont un véritable trésor régénérable qui requiert juste un soupçon de pragmatisme de la part des décideurs, lesquels disposent là d'une rentrée d'argent non négligeable hors hydrocarbures. Partant, qui empêcherait l'élaboration d'une réglementation de la cueillette des pignons ou de la culture des champignons ? Et qu'est-ce qui empêcherait également l'exportation du… sanglier ? Enquête dans les forêts de Constantine. Riche en forêts, la capitale de l'Est est constituée d'une vingtaine de petits ensembles forestiers, dont les plus importants sont le massif de Chettaba (3000 ha), Draâ Ennaga (3000 ha) et Djebel Ouahch (4000 ha) ; de grands espaces « difficiles à gérer », nous dit-on à la Conservation des forêts de la wilaya de Constantine. Service déconcentré de la direction générale des forêts, la Conservation des forêts, créée au niveau de chaque wilaya par décret exécutif, est fractionnée en services, circonscriptions, districts et triages. Faisant partie de l'exécutif de la wilaya, celle de Constantine, située sur le plateau du Mansourah, est constituée de 3 services techniques (gestion du patrimoine forestier, protection de la faune et de la flore et extension du patrimoine) et d'un service administratif. La Conservation des forêts se démembre également en deux circonscriptions, l'une située au sud (commune d'El Khroub) et l'autre au nord (commune de Zighoud Youcef), de même qu'elle compte 5 districts éparpillés en triages, dont le personnel qui y est assigné est en contact direct avec la forêt. Cette direction a pour mission la gestion de l'espace rural et montagnard, la protection et l'extension du patrimoine forestier, l'organisation d'actions de prévention ainsi que la lutte contre les feux de forêt et les maladies parasitaires notamment. Outre cela, la Conservation des forêts de Constantine emploie 140 personnes, dont 65 travaillent dans le corps technique et qui sont censés veiller à la sauvegarde et à la protection d'un patrimoine forestier s'étalant sur… 27 000 ha. « Nous travaillons en zone éparse et nous souffrons pour sauvegarder ce qui reste, d'autant que les agressions contre la forêt continuent », affirme le responsable du service chargé de la protection du patrimoine forestier. Au péril de leur vie En effet, en dehors du recrutement de quelques saisonniers, venant en renfort pour pallier le manque de personnel durant la saison chaude, synonyme de feux de forêt, l'organisme concerné accuse un important déficit en moyens humains à même d'assurer une présence plus soutenue sur le terrain. « En été, nous travaillons 24h/24, sans répit, et nous sommes intervenus à maintes reprises pour éteindre des foyers d'incendie, avant l'arrivée de la Protection civile », nous confie, à son tour, le responsable du service de reboisement et d'extension du patrimoine, mettant ainsi en évidence le manque de personnel, contrairement aux moyens matériels qui semblent couvrir les besoins de la wilaya. Avec 5 véhicules anti-feu équipés, 1 camion ravitailleur, 1 camion d'intervention et des véhicules tout-terrains, les gardes-forestiers semblent bien équipés, mais ne s'en plaignent pas. Néanmoins, seulement en l'absence de moyens humains numériquement plus conséquents, il est difficile pour les équipes existantes de gérer de grands espaces, objets de multiples convoitises. Généralement méconnu, le métier de garde-forestier n'est pas de tout repos, car entre les feux de forêts, les coupeurs de bois, les « voleurs » de pignons, les braconniers et les… terroristes qui ont investi durant de longues années les moindres recoins des vertes étendues de notre pays, il est, partant de là, malaisé de préserver et assurer la protection de la nature. Pourtant, durant cette période éprouvante, où entretenir la nature n'avait plus rien de paisible, les gardes-forestiers ont continué à exercer leur profession, en dépit des risques, sans se hasarder toutefois à se rendre dans certaines zones sensibles. Et c'est donc souvent au péril de leur vie que ces défenseurs de la nature ont veillé et veillent encore sur le patrimoine forestier, lequel, faut-il le préciser, a réussi à reprendre des couleurs. Des récidivistes impunis Ainsi, ce que l'on qualifie de décennie noire, cette époque douloureuse de l'histoire de l'Algérie, a été bénéfique pour la régénérescence de la faune et de la flore, d'autant que le climat d'insécurité faisait fuir, à l'époque, les adeptes du grand air et de la verdure. Mais cela n'embarrasse pas certains individus peu scrupuleux, qui procèdent à des coupes sauvages, collectent insatiablement des fruits sauvages ou s'adonnent carrément au braconnage. En 2008, 32 infractions et atteintes à la forêt ont été relevées et sanctionnées par des poursuites judiciaires, dont 7 concernent des coupes illicites, nous confie le responsable du service chargé de la gestion du patrimoine forestier, avant d'ajouter : « Les arbres les plus ciblés par les coupeurs de bois sont le cyprès et le pin, sachant qu'une seule perche de ce même bois est vendue entre 150 et 200 DA. C'est un commerce juteux. Le problème est que ces personnes, parfois prises en flagrant délit, récidivent, d'autant que les sanctions restent dérisoires par rapport au délit. » Au demeurant, eu égard à des textes datant de plus de trente ans, dus notamment à « l'incompréhension de l'entité écologique », le patrimoine végétal est donc constamment agressé. Notre interlocuteur nous fera part, par ailleurs, du cas des cueilleurs de pignons, graines comestibles très appréciées, de surcroît pour leur saveur, puisqu'elles constituent un ingrédient de choix pour la préparation de certaines pâtisseries. A ce titre, il semblerait, d'après les révélations faites par nos interlocuteurs, que des quantités importantes de pignons sont régulièrement acheminées en Tunisie pour y être vendues. Une véritable industrie, florissante et paradoxalement non réellement illicite, puisque, officiellement, aucune loi n'interdit leur ramassage. Cela n'empêche pas, toutefois, les brigades des gardes-forestiers de procéder, dans le cas où des cueilleurs de pignons sont pris en flagrant délit, à la saisie de la « marchandise », qui sera, le cas échéant, réintroduite dans les pépinières de la Conservation des forêts.