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Arguments pour un observatoire algérien de la sécheresse
Publié dans El Watan le 10 - 12 - 2006

Un état fébrile s'installe et la panique n'est pas loin. La crise est déclarée. Sa gestion (avec tout ce que cela comporte comme restrictions dans la distribution des eaux, programmes d'urgence, plans Orsec, assurances calamités naturelles) est lancée. Tout semble affirmer que la gestion de la crise sécheresse, qui consiste en la mise en place d'une chaîne d'actions majeures basées sur le constat de l'état de catastrophe, en son analyse, en la mise en place d'une batterie de solutions techniques et financières pour limiter les impacts socio-économiques et redresser la situation, est quelque peu maîtrisée. Mais n'y a-t-il pas lieu, comme cela se passe dans certaines parties du monde (Nebraska, Maroc, Australie, Afrique subsaharienne), de mettre en place un système qui privilégie la gestion du risque sécheresse au détriment de la gestion de la crise ?
Ce système qui se base sur une démarche absolument inverse consiste en la mise en place d'une chaîne d'actions dont le fondement est un système de veille, dont la mission principale pourrait être la prévision et l'alerte précoce à la sécheresse. Ce système peut être abrité par un observatoire de la sécheresse. Quels sont les arguments en faveur d'un tel observatoire et quels sont les outils les plus adéquats à mettre en place ?
Le premier argument que l'on pourrait évoquer est climatique. La tendance à l'aridité du climat en Algérie est un constat indiscutable. En effet, les observations faites sur des barrages algériens depuis 1945 montrent qu'il y a une diminution de moitié des apports en eau. Quant à l'eau souterraine, une étude sur une importante nappe du Centre montre que la sécheresse s'est installée dès 1977 et provoque une baisse importante de la recharge des nappes. Ajoutées à ces chroniques de mesures, les projections du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) (1) ne prévoient rien de bon sur la région méditerranéenne qui vers 2015 verra une diminution du ruissellement pouvant aller à 5 mm par an (ce qui n'est pas négligeable en termes de débit) et une fréquence plus accrue des phénomènes climatiques extrêmes comme les sécheresses et les inondations. Des simulations de la recharge des nappes vers 2050 prévoient, pour la rive sud, une diminution pouvant aller à 70 % des valeurs actuelles (2). Cela suppose que les ressources en eau renouvelables de l'Algérie, qui la situent déjà parmi les pays de la planète en situation de pénurie, baisseront de plus en plus, hypothéquant ainsi les générations à venir.
L'Algérie a d'ailleurs tenu compte dans sa planification de cette tendance à l'aridité du climat en revoyant à la baisse ses prévisions de mobilisation des ressources en eau mais l'effort continue d'être axé sur la mobilisation des ressources dites conventionnelles, renouvelables ou pas. Des mesures, qui visent en particulier une économie plus grande de l'eau par les utilisateurs et une mobilisation compensatrice tournée vers les ressources non conventionnelles, indépendantes des aléas climatiques, en particulier celles produites par le dessalement de l'eau de mer, existent. L'objectif majeur, pour ce type de mobilisation, est de remplacer les eaux naturelles pour toutes les villes côtières vers 2016. L'eau provenant des stations d'épuration et du recyclage est une autre forme de ressource non conventionnelle qui pourrait participer à compenser le déficit en eau. D'autres formes tels que la condensation de l'humidité de l'air, les pluies artificielles, l'importation de l'eau mériteraient d'être prises en considération dès maintenant.
Une étude est en cours sur l'incidence du changement climatique sur les ressources en eau. Peut- être pour confirmer l'évidence ? Pour répondre à ces soucis de planification, un observatoire de la sécheresse ne peut qu'être utile pour suivre la tendance aussi bien au niveau régional que local et affiner ainsi les plans de mobilisation des ressources.
L'agriculture, consommatrice de 70% des ressources en eau mobilisées, est le secteur économique le plus exposé aux phénomènes météorologiques et donc le plus sensible à la sécheresse. Estimée aujourd'hui à 8 milliards de dollars, la production agricole emploie 1,2 million de personnes, soit près de 20% de la population active et contribue au PIB pour une moyenne de 10% (3). Malgré le fait qu'en Algérie les productions agricoles sont relativement mal cernées par le système statistique sauf pour les rendements des blés (4) , il est clair que ces productions ont beaucoup souffert du déficit pluviométrique. A titre d'exemple, la campagne agricole 2001-2002 a été fortement influencée par une pluviométrie insuffisante. Elle a été, par contre, très bonne en 2002-2003 grâce à une pluviométrie suffisante et bien répartie au cours de la campagne agricole. L'année agricole 2006-2007 s'annonce, par contre, mal avec cette sécheresse qui, espérons-le, ne sera qu'automnale.
Le deuxième argument découle de la nature même de la sécheresse. La sécheresse est, en effet, classiquement définie comme un phénomène naturel dû essentiellement à un déficit des précipitations qui, associé à d'autres facteurs climatiques (températures élevées, vents forts, hygrométrie faible, etc.), provoque, s'il est prolongé dans le temps, une diminution du ruissellement des cours d'eau et de l'humidité des sols et un renouvellement insuffisant des aquifères. Ce phénomène est amplifié par l'action néfaste de l'homme sur l'environnement (déforestation, rejets des gaz nocifs, pression du cheptel sur les parcours, surexploitation des ressources naturelles «eaux et sols», etc.). Cela se répercute, négativement, parfois en de véritables catastrophes naturelles, sur l'alimentation des hommes et des cheptels et la production agricole (5). La sécheresse n'est donc pas seulement météorologique mais aussi hydrologique en termes de remplissage des barrages et de renouvellement des nappes, agricole en termes de production agricole et animale, environnementale en termes de destruction des équilibres naturelles par l'homme ou encore socio-économique lorsqu'il y a impact négatif sur les facteurs de production et la vie de l'homme. Son suivi à travers des indicateurs minutieusement choisis, les analyses qui en découlent, les produits réalisés ne peuvent donc être l'affaire d'un seul secteur. C'est d'ailleurs l'option retenue par de nombreux pays tels que les Etats-Unis (Nebraska) et plus près de chez nous, notre voisin le Maroc. Schématiquement, l'observatoire travaille en réseau entre des producteurs de données de base (climat, hydrologie, hydrogéologie, gestion des ressources en eau, observation spatiale de la Terre, santé animale, production agricole, mouvement des populations, etc.) et des utilisateurs des produits dont l'une des formes est une cartographie périodique d'un ou de plusieurs indicateurs de la sécheresse. Ces derniers ont la propriété de déterminer les zones à risques dans l'espace et dans le temps, de les classer en fonction de leur vulnérabilité et de lancer s'il y a lieu les alertes adéquates afin que tout un chacun puisse prendre les précautions nécessaires à même de prévenir tout risque majeur.
Notes de renvoi
1) Conjointement créé en 1988 par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE),
2) Global-Scale Estimation of diffuse Groundwater Recharge, Model Tuning to Local for Semi-Arid and Arid regions and Assessment of Climate Change Impact par Petra Döll and Martina Flörke, August 2005, Frankfurt Hydrology Paper, 21 pp.
3) Déclaration de Saïd Barkat, ministre de l'Agriculture au forum de l'ENTV le 21 mai 2006
4) Situation mondiale de l'agriculture 2002, Archives FAO
5) Safar Zitoun «Systèmes d'alerte précoce et suivi écologique, mise en place du réseau», atelier de lancement du réseau tpn4 de l'Unccd, Tunis, 8-10 octobre 2002.


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