Elections générales aujourd'hui en Afrique du Sud. Comme en 1994, en 1999 et ensuite en 2004, le résultat est connu d'avance, puisque l'ANC (Africain National Congress), parti dominant depuis la chute de l'apartheid, en sera le vainqueur ; mais avec quelle score ? se demande-t-on. Les sondages créditent l'ancien mouvement de résistance à l'apartheid de plus de 60% des suffrages, comme lors des trois autres scrutins nationaux depuis l'avènement de la démocratie multiraciale en 1994. L'autre résultat, connu lui aussi d'avance, est l'élection de Jacob Zuma au poste de président de l'Etat sud-africain par le collège des électeurs issus de la consultation d'aujourd'hui. En termes de chiffres. Plus de 23 millions de Sud-Africains sont appelés aujourd'hui à renouveler leurs parlements provinciaux et l'Assemblée nationale, dont les membres éliront ensuite le président de la République. Voilà donc pour les faits tels qu'ils se dérouleront. Mais comment se présentent-ils ? Plutôt mal pour un pays riche, ne cesse-t-on de dire, mais pas pour l'écrasante majorité de sa population. Et d'ailleurs le premier président post-apartheid, Nelson Mandela, s'est fait fort de rappeler certaines vérités. Il a en effet saisi l'opportunité du dernier meeting électoral de l'ANC, pour rappeler ce parti à ses devoirs : la lutte contre la pauvreté et la construction d'une société non raciale. « Nous devons nous rappeler que notre première tâche est d'éradiquer la pauvreté et d'assurer une meilleure vie à tous », a lancé Mandela, trop frêle pour parler en public. Plus de 43% des 48,5 millions d'habitants de la première économie du continent vivent sous le seuil de pauvreté et le chômage frôle les 40%, malgré un sous-sol riche en minerais et métaux précieux. « L'ANC a pour responsabilité historique de mener notre nation vers la construction d'une société unie et non-raciale », a encore insisté Mandela qui s'est abstenu de soutenir publiquement la candidature de Jacob Zuma, personnalité controversée aux nombreux démêlés avec la justice. A partir de là, apparaissent de très nombreuses questions liées à cet immense pays dont l'image a été écornée par des faits aussi malheureux que graves. Comme cette chasse au mois de mai 2008 aux immigrés africains venus principalement du Zimbabwe voisin et accusés de prendre la place des Sud-Africains. Une xénophobie dénoncée au plus haut niveau de l'Etat, mais cela ne suffit pas. Il y a un réel problème dans ce pays où l'on ne parle pas davantage de nouveaux riches, de corruption et d'une population totalement délaissée. Ceux qui peuplent les townships, ces véritables ceintures de misère, en sont encore et toujours à attendre plus d'attention en matière d'emploi, de santé et d'éducation. Ce qu'on appelle communément la démocratie. Sans oublier les éléments essentiels à une vie en rapport avec le standing de l'Afrique du Sud, c'est-à-dire de l'eau et de l'électricité. Ou encore de lutte pour le pouvoir comme en est accusé justement Jacob Zuma, qui a dû quitter le poste de vice-président de Thabo Mbeki, un Président qu'il a ensuite poussé vers la démission, pour une histoire de corruption, et ensuite d'instrumentalisation de la justice. Le 7 avril dernier, après plus de huit ans d'enquête, le parquet a abandonné les poursuites pour fraude et corruption à son encontre. Le procureur général a estimé que des « abus de pouvoir » commis par le chef de l'enquête discréditaient la procédure. Cette décision a laissé un goût d'inachevé dans le pays, déjà secoué par des mois de dissensions ouvertes au sein du parti au pouvoir, qui ont débouché, en septembre, sur l'éviction du président Thabo Mbeki, renvoyé par son propre parti après neuf années à la tête de l'Etat. Jacob Zuma a eu beau se décrire comme victime d'un complot politique, il n'a pas convaincu tous les Sud-Africains. Moins de la moitié des électeurs le considèrent innocent. Ce qui a de fortes conséquences sur l'ANC et ses élites, conduisant à une première dissidence. C'est la naissance du COPE (Congrès du peuple), pas suffisamment fort pour menacer l'ANC. « Depuis 1994, on considère qu'une alternative crédible à l'ANC ne peut venir que d'une scission au sein du parti », relève l'analyste politique Aubrey Matshiqi, Avec l'apparition du Cope, on peut considérer que ces élections seront les plus concurrentielles depuis 1994. » Mais ce parti est trop jeune pour espérer une révolution, ajoute l'analyste, estimant qu'« un score de 7 à 10% serait un bon début ». Quant à l'Alliance démocratique, issue de la très modérée opposition parlementaire à l'apartheid, elle devrait plafonner autour de son score de 2004 (12,4%), parce que toujours considérée comme « un parti de Blancs ». Dans ce contexte, « si l'ANC obtient moins de 60% des suffrages, les élections seront perçues comme un référendum anti-Zuma (...) et ce sera un désastre pour le parti », selon M. Matshiqi. L'ANC insiste sur ses réalisations en 15 ans de pouvoir : stabilisation de l'économie, croissance soutenue, émergence d'une classe moyenne noire, meilleur accès à l'eau et à l'électricité. Dans les townships et les zones rurales, écoles et hôpitaux publics souffrent d'un manque criant de moyens et de personnel qualifié, alors que le pays compte 5,5 millions de séropositifs et que la tuberculose tue. Autre fléau : la criminalité. Avec une cinquantaine d'homicides par jour, police et justice sont débordées et les dossiers en déshérence se multiplient. A l'inverse, l'Afrique du Sud demeure fragile. On a vu de quelle manière sa justice est intervenue pour mettre un terme à une campagne qui allait être lancée depuis les Etats-Unis pour demander réparation aux multinationales qui faisaient des affaires avec le régime d'apartheid, et lui apportaient leur soutien. Pas question de remettre en cause ce qu'on avait alors appelé l'opération vérité et réconciliation, une justice sans châtiment. Une simple rumeur s'est répercutée sur l'indice boursier. Ou encore, une fuite de capitaux estimés à plusieurs milliards de dollars quand les Blancs se sentent menacés. De quelque manière que ce soit, la balle est dans le camp du parti dominant. L'ANC sera encore la principale force politique dans ce pays. Ira-t-il jusqu'au bout de son programme ?