Expérience novatrice et courageuse, le processus engagé par Nelson Mandela et Frédéric Declerck et cristallisé autour des travaux dirigés par la Commission vérité et réconciliation (CVR) a abouti à un compromis unique au monde. L'Expression: Donnez-nous un bref aperçu de l'expérience de réconciliation en Afrique du Sud. Ratubatsi Super Moloi: La guerre en Afrique du Sud a été déclenchée contre le système de l'apartheid dont les pratiques ont été considérées par la communauté internationale comme des crimes contre l'humanité. On a eu un mouvement de libération qui luttait contre la discrimination. Les Nations unies ont adopté plusieurs résolutions contre ce même système et c'est à partir de là qu'on a déclenché la guerre. Durant les années quatre-vingt, l'Afrique du Sud était ingouvernable. Sur le plan international, elle était isolée et son économie fonctionnait au ralenti pour ne pas dire complètement à l'arrêt, il n'y a avait plus de lois et plus de règlements, c'était l'anarchie totale. Une période durant laquelle des atrocités ont été commises et les droits de l'hommes violés. Ces dépassements ont été commis d'ailleurs par les deux parties en conflit, aussi bien du côté de l'apartheid que du côté de l'ANC. Cette situation a fait que des négociations, ont été enclenchées entre l'ANC et l'apartheid. Durant ces négociations la question de la réconciliation a été soulevée. Durant les années 90, la Commission pour la vérité et la réconciliation a été instaurée pour déterminer les atrocités commises dans les camps de l'ANC. Que faire, et comment le faire ? Ce sont les deux questions qui se sont posées et auxquelles trois éventualités de réponses ont été apportées. D'abord, adopter le système Nuremberg: la justice du vainqueur, ensuite une possible amnistie générale et enfin la vérité et la réconciliation. Le débat a commencé en 1992. Le président de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR), M.Desmond Tutu, a usé à fond de ce postulat: jeter des centaines d'anciens policiers, soldats, voire d'hommes politiques, en prison n'est pas dans l'intérêt de la réconciliation. Pourtant, des chefs de la police de l'apartheid comme Eugène de Cock et Ferdi Bernard ont été jugés et mis aux arrêts. Pourquoi? La route vers la réconciliation est très difficile, mais le compromis à trouver est de savoir comment y parvenir ce qui, par contre, va rester un objet de controverse, c'est la façon avec laquelle on réalise cette réconciliation. Pour répondre directement à votre question, j'explique le processus engagé en Afrique du Sud dans le cadre de cette réconciliation: les criminels devraient dire et avouer toute la vérité devant et face à la victime, si cette dernière acquiesce, l'amnistie est accordée au confesseur. Bien sûr, une telle comparution est accordée à ceux qui la demandent en vue de bénéficier de l'amnistie. Pour ceux qui sont en prison, ils ont été arrêtés pour des crimes non politiques. Vous devez savoir que pendant une période de guerre, il y a toujours des gens qui exploitent la situation de confusion qui règne. C'est pour cela d'ailleurs que l'un des objectifs de la commission installée, consiste à connaître les personnes qui ont commandité les crimes et les atrocités commis. Près de 7000 personnes avaient déposé une demande d'amnistie auprès de la CVR. Peut-on accorder l'amnistie à ceux qui ne l'ont pas demandée? La législation a été claire sur ce point. Elle stipule qu'on ne peut accorder l'amnistie qu'à ceux qui la demandent. Le processus continue et on cherche toujours comment faire pour ceux qui n'ont pas demandé l'amnistie. Cette affirmation démontre si besoin est, que l'amnistie n'est pas le fait d'une seule journée ou d'un seul mois. C'est un processus qui s'étale dans le temps et qui comporte ses faiblesses. L'expérience de la CVR a connu de nombreux heurts. Certains Blancs, notamment les Afrikaners, ont vu dans le retour de l'ANC au pouvoir et son acharnement à punir les vaincus, une nouvelle chasse à l'homme. La victime est devenue le bourreau en quelque sorte... Non, ce n'est pas juste. Historiquement, les objectifs de l'ANC n'étaient pas de lutter contre les Blancs mais une lutte contre le système racial du règne de l'apartheid. C'est pour cela que l'ANC a une grande estime au sein de la population et c'est pour cela aussi qu'au sein de l'ANC, on retrouve toutes les couches de la société dont des Blancs et des Afrikaners. Convaincus que nous militons pour une cause juste et contre un système injuste, les dissensions ont été dépassées. Souvent, les familles des victimes assassinées par d'anciens policiers et soldats récusent l'idée même de l'amnistie. Elles estiment que cette dernière leur «vole la justice». Comment ce problème a été géré? Comme je viens de vous le dire, le processus de réconciliation est difficile, il est politique et non légal. Ce ne sont pas toutes les familles qui ont rejeté le processus. Je vous confirme que c'est grâce à la commission que plusieurs familles ont connu les criminels. Dans certains cas aussi et c'est grâce à cette commission que des familles ont pu retrouver les restes des leurs qui ont été assassinés durant la guerre, ce qui leur a permis de les enterrer dans la décence et de faire leur deuil. Pour revenir au cas algérien, des débats sont en train d'avoir lieu. Les gens ne doivent pas considérer les souffrances individuelles mais considérer l'intérêt du pays. Pour être honnête avec vous je vous dis dès maintenant, qu'il y aura des gens qui ne seront pas satisfaits du processus. La complexité dans la construction d'une nation est qu'il y a toujours des choses qu'on ne peut pas avoir. Au risque de me répéter, je vous dis encore une fois, le processus est véritablement compliqué. Une récente loi donnait trois mois (de janvier à mars 2005) aux détenteurs d'armes illégales pour se présenter devant les autorités afin de déposer ces armes et munitions. Le très fort taux de circulation des armes n'a t-il pas été à lui seul une autre cause des crimes de guerre? Nous étions en guerre. Dans toute situation de guerre, il y a des armes qui circulent de façon illégale. L'ANC distribuait des armes pour ses militants et l'apartheid faisait de même pour ses partisans. Le même phénomène s'est produit au Rwanda, en Angola et au Burundi. Le problème est qu'il n'y avait pas de législation. Il y a avait des personnes qui possédaient jusqu'à cinq armes en Afrique du Sud. Avec la réconciliation, on a essayé de recenser et de réglementer le port d'armes et de nous assurer que les détenteurs d'armes sauraient les préserver et les utiliser. Dans quelle mesure pensez-vous que l'Algérie pourrait bénéficier de l'expérience de réconciliation sud-africaine? Comme je viens de le dire auparavent, il y aura toujours une controverse. Mais cette controverse porte sur la manière avec laquelle a été faite la réconciliation. Quant au principe de réconciliation lui-même, je crois qu'il est acquis par tout le monde. Le chemin emprunté par l'Algérie comporte des ingrédients de ressemblance avec celui mis en oeuvre en Afrique du Sud. Un des autres objectifs de la commission a été les disparus. En Algérie, il y a eu un rapport sur la même question qui a été transmis au président de la République. On parle également de dédommagements pour les familles de ces disparus. Ce sont autant de points de ressemblance avec le cas de l'Afrique du Sud. Je suis sûr que le gouvernement algérien a bénéficié de l'expérience de l'Afrique du Sud. Evidemment dans ce qui convient aux spécificités de l'Algérie car il faut savoir qu'il n'existe pas de solution standard. L'Algérie a ses propres particularités différentes de tout autre pays, je ne doute pas que le processus de réconciliation a été décidé par rapport aux caractéristiques de la société algérienne. En parlant par exemple de dédommagements, il est clair qu'il n'existe aucune somme d'argent qui pourrait remplacer la disparition d'un être cher. Mais on a opté pour ces dédommagements comme étant un geste symbolique. Certains on pris de l'argent, d'autres des fauteuils roulants, etc. Je n'ai pas l'ombre d'un doute que votre gouvernement a pris en considération toutes les expériences du Chili, de Nuremberg, d'Afrique du Sud... et d'autres encore. La question est sensible, elle sera posée même par les générations futures. Amesty International et Human Rights Watch se sont déclarées préoccupées par le fait que le gouvernement sud-africain n'a pas entièrement mis en oeuvre les principales recommandations émises par la commission. Effectivement, il y a eu des critiques. Le gouvernement a tardé par exemple dans l'octroi des indemnisations. Cela a été dû au fait que la commission n'avait pas présenté les recommandations précises au gouvernement. La tâche n'a pas été facile dans la mesure où il a fallu traiter au cas par cas. On a d'abord commencé par les handicapés ensuite les autres. Ces critiques ont été formulées en 2003, aujourd'hui tous les cas ont été pratiquement réglés. Le gouvernement sud-africain a-t-il établi une stratégie médiatique pour ce processus? Y a-t-il eu des débats au sein de la société civile? Les médias se sont mobilisés, ils ont fait des couvertures car les journalistes ont aussi leur responsabilité dans la réussite de ce processus de réconciliation. Il y eu même des titres de presse qui se sont remis en cause : ont-ils un jour appuyé l'apartheid? Ont-ils été un jour partie prenante du conflit? Ils ont ouvert des sessions où il ont eu à comparer leurs travaux avant et après l'apartheid. Mais ce qu'il y a eu d'unique, en plus du rôle des médias, c'est l'implication des ONG, des compagnies privées, des médecins, des hommes de culture, des scientifiques et des intellectuels, en somme de toute la société civile. Le processus n'a exclu personne. Je crois que les mêmes défis se posent aujourd'hui à l'Algérie. Avez-vous eu des contacts de la part d'officiels algériens en vue de bénéficier de l'expérience de votre pays? Oui. J'ai rencontré deux ministres du gouvernement algérien. Ils ont rassemblé des informations sur l'expérience sud-africaine. C'est pour cela d'ailleurs que je vous ai dit que l'Algérie a suffisamment d'éléments pour faire la différence entre l'expérience de mon pays et celle du vôtre. J'ajouterais que ces contacts entrent dans le même esprit des relations entre les deux pays depuis que nous combattions l'apartheid, une période où nous avions bénéficié de l'expérience de la guerre d'Algérie. Y a-t-il un point qui retienne votre attention dans le projet de charte pour la paix et la réconciliation proposé à référendum par le président Bouteflika? Je parle en tant qu'observateur. Je dirais simplement que les motivations qui ont guidé le président Bouteflika dans sa démarche ont été inspirées des différents rapports qui lui ont été remis comme celui des disparus. Par ailleurs, ce qui importe pour l'Algérie aujourd'hui, c'est de relever le défi de la réconciliation et et se consacrer aux objectifs que se sont assignés les Nations unies, à savoir les défis du millénaire. Je souhaite un plein succès à l'Algérie dans ce processus.