Dans le premier cas, voyager c'est se faire tout simplement plaisir en s'offrant constamment du nouveau, donc de nouveaux paysages, connaître de nouvelles gens, vivre de nouvelles situations, bref tirer profit des délices de la découverte et du dépaysement. On a, à juste titre, l'impression que celui qui nomadise vit plus intensément et plus longtemps même dans le cas où il n'a pas vécu vieux. Djanet : De notre envoyé spécial Il y a certainement par ailleurs ceux qui voyagent pour survivre soit en fuyant une oppression ou une répression, soit en immigrant pour échapper à des conditions de vie inacceptables. Deuxièmement et en retour, les voyages laissent des traces dans tout écrivain : des images, des visages, de bonnes rencontres et d'autres qui le sont moins, des aventures ou des mésaventures…, en somme de belles moissons de sensations dont nombreuses sont celles qui se gravent définitivement dans la mémoire. En d'autres termes, de précieux matériaux dont on retrouve la richesse dans l'édifice romanesque, la construction poétique, ou même dans des réalisations plus modestes à l'exemple de la nouvelle. Si les voyages forment la jeunesse, ils sont des mines à ciel ouvert où les écrivains puisent à pleines brassées pour bâtir leurs petites histoires ou pour tenter à leur tour d'inscrire des traces indélébiles dans le cours de l'histoire. Ainsi, en a-t-il été du premier écrit de l'histoire : l'épopée de Guelgamich. La trace des pérégrinations de ce roi d'Uruk, une des premières villes de la Mésopotamie antique, parti à la recherche de l'éternité, ont été inscrites sur des tablettes d'argile qui sont parvenues jusqu'à nos jours. Ainsi en sera-t-il quelques millénaires plus tard des épopées grecques (l'Iliade et l'Odyssée) basées également sur des voyages et il en sera de même pour des millions d'écrits avec lesquels l'humanité viendra enrichir sans fin son patrimoine. Alan Paton suivra le même procédé dans Pleure ô pays bien aimé pour dénoncer l'inhumaine politique de l'apartheid. John Steinbek, dans Les raisins de la colère suivra des populations paysannes entières jetées sur les routes par les retombées du crash financier puis économique de 1929. Rachid Boudjedra a témoigné lui-même de ses allées et venues dans le Sahara et dans le reste du monde précisant que ces voyages ont toujours alimenté ses écrits. C'est sur ce thème du nomade et de ce qu'il laisse, traduit plus précisément sous la formulation Les littératures africaines : écriture nomades et inscription de la trace que se sont penchés, quatre jours durant dont trois à Djanet, du 12 au 15 avril et une, le 16 à Alger (au siège du Centre culturel français), une quarantaine d'universitaires spécialistes de la littérature et des écrivains venant de plusieurs continents. Plus de trente communications, une table ronde, des séances de débats ont donné une très grande richesse à cette manifestation littéraire. Dommage que Djanet dont les paysages époustouflants ont fait le ravissement des invités ne soit pas une ville universitaire : les apports scientifiques des trois premiers jours du colloque n'auront donc que des échanges entre spécialistes et n'ont bénéficié qu'aux invités eux-mêmes. La quatrième journée qui a eu lieu au CCF à Alger a, par contre, drainé un auditoire nombreux et a enregistré beaucoup de questions sur le nomadisme, la trace ainsi que sur l'évolution de la littérature africaine d'expression francophone et anglophone. L'assistance a écouté à ce propos l'Ivoirienne Véronique Tadjo, le Burkinabé Aristide Tanagda et le Soudano-Anglais Jamal Mahjoud, tous les trois invités d'honneur du colloque. Cette dernière séance a été animée par Benaouda Lebdai de l'université d'Angers. Cette dernière est coorganisatrice avec les universités d'Alger et de Blida de ces journées scientifiques. Il n'est pas possible, du fait que ce colloque a été tellement riche d'apports, de rendre compte ici de la totalité des trente communications. Notre survol se contentera donc de quelques-unes. Nous en avertissons par conséquent que notre choix est forcément arbitraire tant ces contributions scientifiques sont diversifiées. Chacun des communicants a choisi son angle d'attaque : d'aucuns se sont attelés à des analyses globales, certains ont opté pour l'examen de la production d'un auteur, d'autres ont reconstitué un itinéraire en suivant les traces imprimées par un écrivain sur son ou ses chemins. Pourquoi ne pas suivre le mouvement d'une partie de tout un peuple comme les Irlandais ? Et enfin une autre manière d'envisager la littérature nomade a consisté en l'analyse d'une seule œuvre romanesque. Laurent Lepaludier, directeur du centre de recherches interdisciplinaire en langues anglaise de l'université d'Angers, relève dans son discours d'ouverture du colloque : « … La qualité des écrivains, hommes et femmes, qui ont su sous des formes diverses (romans, nouvelles, pièces de théâtre, poésie) et dans des langues diverses (notamment en français et en anglais), raconter l'Afrique à partir de leur vision propres… » La communication d'Amina Bekkat de l'université d'Alger s'est attardée sur les significations de la notion de nomade laquelle a pour racine grecque « nem » qui veut dire « partager », puis « faire partie » et enfin « faire paître ». L'évolution du sens ira par la suite jusqu'à couvrir les pérégrinations des écrivains. Quant à Zineb Ali Ben Ali de l'université française Paris 8, à propos de ces « brûleurs de papiers », elle dit : « A partir de cette figure de nomade incertain qui traverse la littérature francophone des dernières années, à la fois comme thème et comme ‘'tracé'' d'écriture, je voudrais réfléchir à une poétique de ces textes qui font, eux aussi comme le voyageur sans papiers, les catégories et frontières. » Pour Muriel Augry Merlino de l'institut de France à Rabat (Maroc) : « Les écrivains que l'on qualifie - ou qui s'autoqualifient - de ‘'nomades'' sont le résultat d'un métissage culturel. (…) Riche d'un double patrimoine culturel et linguistique, ils dénoncent le repli sur soi-même à travers des récits où s'alternent humour et virulence. » Et de citer à ce propos plusieurs auteurs africains qui ont nomadisé vers le nord de la Méditerranée dont l'Algérien Hamid Skif qui a donné une œuvre très poignante : La Géographie du danger. Nous sommes là dans la littérature du voyage. Patrice Kabeya Mwepu de l'université de Rhodes d'Afrique du Sud et Laurent Lepaludier de l'université d'Angers en feront leur thème d'intervention avec la lecture de l'itinéraire de Henri Lopes ou l'analyse de l'œuvre bien connue de l'écrivain britannique d'origine polonaise Josef Conrad Cœur des ténèbres. Dans le genre destin personnel, Claude Feral directrice du groupe de recherches GRAS de l'université Saint Denis de l'île de l'Océan indien la Réunion, est allée retrouver les traces à l'extérieur de son pays d'origine (l'Afrique du Sud) de Bessie Head qui s'est expatriée dans une longue « errance nomade. » L'écrivaine a quitté son pays « pour des raisons à la fois politiques et personnelles », dit Claude Feral. Les raisons politiques (le poids du colonialisme britannique) économiques et sociales ont poussé sur les chemins de l'exil des milliers d'Irlandais. Renée Tosser, maître de conférence de l'université de Saint Denis (La Réunion), spécialiste de la civilisation irlandaise partira pour sa part à la recherche de traces laissées en terre d'exil (Afrique du Sud entre autres) par ces migrants venus de l'île verte (l'Irlande) pour échapper aux persécutions anglaises qui durèrent jusqu'au début du XXe siècle. « Le sens du nomadisme irlandais et le sens de la trace qu'il a laissé et laisse encore en terre d'Afrique, nous permettra une réflexion sur le phénomène colonial et ses répercussions sur la problématique identitaire causée par le joug de l'occupation et la domination étrangères », conclut Mme Tosser. Il est sûr que les actes du colloque qui seront bientôt publiés grâce à la complicité des éditions du Tel et de l'imprimerie Mauguin, toutes deux implantées à Blida, sera un ouvrage de référence et se présentera comme le meilleur moyen de rendre compte de la richesse de ce colloque.