Les premières années de l'industrie algérienne ont été marquées par la politique dite de « l'industrie industrialisante ». Le choix de politique économique était-il le mieux approprié au vu des enjeux de développement qui se posaient à l'Algérie au lendemain de son indépendance ? L'histoire a pesé très lourd dans les premiers choix économiques. Le clan socialiste a beaucoup aidé l'Algérie et le capitalisme l'a colonisé. Je comprends très bien les décisions de nos dirigeants, malgré mon jeune âge, j'ai toujours su que le socialisme ne pouvait conduire qu'à une impasse. Il y avait très peu de dirigeants dans le monde qui étaient visionnaires et qui avaient réfuté la « mode » socialiste. C'était une grave erreur historique mais très compréhensible. N'oublions pas que la vaste majorité des pays en voie de développement a commis la même faute. Parfois, il faut savoir être indulgent. L'histoire nous a poussés à faire cette erreur, il faut qu'on l'assume tous ensemble, c'est notre patrimoine commun. Des décennies après, le pays se trouve comme prisonnier de ses premiers choix de politiques économiques. Ne serait-ce que parce que Sonatrach reste le poumon de notre économie et fait vivre le pays ... Le pays semble être prisonnier de ses choix parce qu'on n'arrive pas à construire une économie de marché. La rente explique en grande partie pourquoi on ne procède pas aux véritables choix économiques tout comme la culture bureaucratique construite tout au long des années du socialisme. Nous avons développé outre mesure une culture intuitive qui a éradiqué la rationalité économique. Nous nous sommes structurés pour distribuer la rente pétrolière. Nous ne savons pas transformer la rente en développement durable. Dans le monde, lorsqu'on injecte 1% du PIB en relance économique, la croissance s'améliore de 2 à 3%. En Algérie, nous avons injecté annuellement 15% du PIB pour gagner deux points de croissance supplémentaires. Le reste du monde a gagné 2% de croissance durant la même période sans relance. Le Keynésianisme a lamentablement échoué. Nos économistes doivent comprendre que l'économie demeure fondamentalement destructrice de richesse. Il y avait, rappelons-le, unanimité dans l'opinion de l'époque pour affirmer que l'Algérie ne pouvait se développer et s'industrialiser qu'en tournant résolument le dos aux options économiques libérales. Quel est votre avis sur cette vision ? Il n'y a pas de doute, l'économie de marché n'a pas pu s'enraciner chez nous. Nous n'avons pas su construire un ensemble cohérent et performant. Il faut savoir que le revirement était inévitable. Aucun pays de notre planète n'a pu construire une économie socialiste forte et efficace, pour une raison simple : nous n'avons pas les lois, les règles et les mécanismes pour faire fonctionner efficacement une économie socialiste. La science n'a pas encore produit ces connaissances. Peut-être que dans quelques décennies nous aurons ce savoir. Par contre, nous savons comment faire fonctionner efficacement une économie de marché. Parmi les pays qui ont effectué une transition à l'économie de marché, plus de 30% ont réussi. A peu près 40% ont des performances mitigées et 30% ont lamentablement échoué. Ce qui implique que si on appliquait les politiques socialistes, nous aurions 100% de chance de faillir. En essayant de construire une économie de marché, nous avions des chances de réussir mais on ne les a pas saisies. Il faut se ressaisir. Quelques années plus tard, l'Algérie semble remettre en cause ses premiers choix et se déclare contrainte de s'insérer dans le monde libéral, mais vite rattrapée par le même échec. Le constat est là. Plusieurs entreprises ont mis la clé sous le paillasson. Pis encore, des secteurs d'activité disparaissent chaque année. Quelles sont, selon vous, les raisons de ce deuxième échec ? Pourquoi avons nous échoué ? Nous pouvons citer une multitude de raisons. Nous essayerons de donner les causes essentielles, sans prétendre à l'exhaustivité. Il y a d'abord une absence d'une stratégie globale cohérente, ouverte et concertée à laquelle s'ajoute l'indisponibilité d'un « cerveau » qui regroupe la meilleure intelligence nationale doté d'instruments et de simulateurs pour transformer les orientations politiques en plans sectoriels concertés et cohérents. Nous sommes également confrontés à une sous qualification notoire des ressources humaines, expliquées par le peu de ressources mobilisées et la qualité du management ainsi qu'un sous-management chronique de nos institutions et de nos entreprises. L'échec s'explique aussi par un développement trop centralisé, l'absence d'une ambition nationale partagée qui mobiliserait et donnerait espoir à la jeunesse et à l'ensemble de la population grâce notamment à une amélioration de l'aménagement du territoire, la qualité de vie, la concertation nationale, etc. Et quelles sont les clés de la réussite pour un pays qui s'enfonce davantage dans sa dépendance des recettes pétrolières ? Que faut-il faire ? J'ai eu à intervenir sur cette question plusieurs fois. Je n'ai pas inventé les solutions. Elles existent dans la science et les expériences de pays qui ont réussi. Je peux citer les axes les plus importants. Il s'agit entre autres d'investir pour créer ce « cerveau » capable de transformer les orientations du pouvoir en plans sectoriels techniques, d'investir aussi massivement pour moderniser l'appareil de formation à tous les niveaux et recycler toutes les ressources humaines en activité. Il convient également d'injecter des ressources en direction des PME qui réussissent et les ressources humaines qualifiées. Nous avons besoin de créer 500 000 PME les cinq prochaines années. On peut réduire nos importations de 25 milliards de dollars et exporter pour plus avec ce nouveau tissu. Mais il faut revoir les politiques bancaires, administratives, foncières, etc. Il faut par ailleurs investir pour moderniser le management de nos institutions, administrations et entreprises. Nous ne pouvons progresser sans cela. Le développement durable de l'économie ne peut être concrétisé sans avoir des plans de développement communaux et régionaux. Il faut qualifier les personnes et leur donner des ressources. Nous avons besoin d'une panoplie d'instruments : stratégie de développement national, incubateurs et pépinières dans toutes les communes, etc.