Organe d'expression du pouvoir judiciaire, la magistrature est d'autant plus indépendante que l'équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est solide et le climat politique général plus sain. La rupture de cet équilibre se répercuterait sur le fonctionnement de la magistrature et fausserait l'image de celle dont la mission est de rendre justice en n'obéissant qu'à la loi. Or, en tant que paramètre dans l'équation d'équilibre, la magistrature subit des pressions et des influences de la part des autres pouvoirs à des degrés divers, pour refléter en définitive le visage du système politique en place tant qu'il est démocratique ou dictatorial, ouvert ou sclérosé, cohérent ou fragile, aisé et solide ou dépendant. Ainsi, dans les faits, l'indépendance de la magistrature est relative et varie en degré, en fonction de l'importance politique et économique d'un pays donné, et particulièrement en fonction de la politique de la justice suivie. Or, c'est cette politique qui détermine, dans une large mesure, le degré d'indépendance de la justice, car, en l'absence de cette politique, les textes resteraient, faute de moyens à même de la réaliser, une façade qui cacherait mal l'état réel de la justice. Dans ce qui suit, nous abordons d'abord les acquis réalisés tant sur le plan institutionnel que celui des faits (I), ensuite les limites de ces acquis sur les mêmes plans (II). I – Les acquis réalisés 1.Sur le plan institutionnel La magistrature algérienne a connu, sur le plan institutionnel, deux grandes périodes marquées chacune par ses traits propres. A. La période antérieure à 1989 Cette période a connu deux régimes constitutionnels, celui de 1963 et celui de 1976, et un régime transitoire, celui de l'ordonnance du 10 juillet 1965 issu du coup d'Etat du 19 juin 1965. – a. Sous le régime de la Constitution du 8 septembre 1963(1), un ensemble de dispositions de cette loi fondamentale viennent renforcer le principe de l'indépendance de la magistrature, même empreintes de l'orientation idéologique du régime. En fait, ces empreintes — c'est le mot qui sied — constituent des limites au principe comme nous allons le voir. Aux termes de l'article 62/1, «Dans l'exercice de leurs fonctions, les juges n'obéissent qu'à la loi…». L'alinéa 2 du même texte ajoute : «Leur indépendance est garantie par la loi et par l'existence d'un Conseil supérieur de la magistrature». – b. Le régime de l'ordonnance du 10 juillet 1965(2) vient suspendre de facto la Constitution de 1963 et les organes de l'Etat sont désormais remplacés et assurés par le Conseil de la révolution et le gouvernement selon les modalités fixées par l'ordonnance sus-citée. Restreint dans sa formulation, ce texte est souvent appelé «Petite Constitution». C'est sous le régime de cette ordonnance qu'est né en 1969 le premier statut de la magistrature(3) dont les principales dispositions viennent renforcer le caractère idéologique du régime que nous allons évoquer infra dans les limites du principe. c. Le régime de la Constitution de 1976 est marqué par la coexistence de deux lois fondamentales hiérarchisées, la Charte nationale(4) et la Constitution(5), la première ayant prééminence sur le seconde. La Charte œuvre certes «pour la consolidation de la justice…», mais lie cet objectif, comme nous allons le voir, à la défense de la révolution. Quant à la Constitution, elle rejoint (art.172) la disposition du texte de 1963 et affirme que «le juge n'obéit qu'à la loi». – B. La période issue de la Constitution de 1989. – a. La Constitution du 23 février 1989 elle-même(6) vient ouvrir une nouvelle ère dans le champ politique algérien. Née des événements du 5 octobre 1988, elle introduit pour la première fois le multipartisme en Algérie. C'est pourquoi elle est appelée Constitution pluraliste. En voici les principaux traits : – Elle dégage la Charte nationale du champ institutionnel en tant que référence idéologique. – Elle consacre les principes de la «primauté de la loi» et de «l'exercice des autorités». – Elle assure une consécration plus concrète de l'indépendance de la magistrature en utilisant pour la première fois ce terme «pouvoir judiciaire» (art.129) sans faire référence à la défense de la révolution (art130) et, enfin, en renforçant la protection du juge «de toutes formes de pressions, d'interventions et de manœuvres» (art.139). Par ailleurs, en application de cette Constitution, un nouveau statut de la magistrature est adopté en fin 1989(7) et qui vient s'inscrire dans la ligne tracée par la loi suprême . En effet : – Le serment (art. 41) ne fait plus allusion à «la défense des intérêts de la révolution» – Le statut consacre le principe de l'inamovibilité (art.16) si la durée de service du juge du siège dans une juridiction dépasse 10 ans. – Le texte prévoit la création d'un syndicat national de la magistrature. – b. La révision constitutionnelle de 1996 (8) qui vient instaurer le bicaméralisme (deux chambres du Parlement), laisse intacts les acquis de la justice inscrits dans la loi fondamentale du 23 février 1989. Un nouveau statut de la magistrature est adopté en 2004 (9), remplaçant celui de 1989. Nous dirons un mot sur ce statut quand nous parlerons des limites aux acquis sur le plan institutionnel. – 2. Dans les faits Dans les faits, les acquis de la magistrature sont induits par l'orientation nouvelle donnée à la justice. Celle-ci n'étant plus une simple fonction, elle accède au rang de pouvoir. Ce statut nouveau finira, malgré quelque retard, par prendre forme pour s'exprimer par différentes actions tendant à améliorer le rendement de la justice tant sur la plan quantitatif que qualitatif. Sur la plan quantitatif, on constate une légère élévation des crédits accordés au ministère de la Justice, bien que ces crédits soient en deçà des besoins réels de la justice et de ses ambitions. Dans le chapitre quantitatif toujours, des efforts appréciables ont été faits dans le recrutement pour renforcer les effectifs, aussi bien en magistrats qu'en auxiliaires du greffe. Plus significatifs sans doute sont les acquis sur le plan qualitatif. – 1. La création d'un organisme de modernisation de la justice inaugure ces acquis. En effet, aux termes de l'article 5 du décret exécutif 04-333 portant organisations de l'administration centrale du ministère de la Justice(10), est créée une direction générale de la modernisation de la justice, une première du genre, qui comprend deux directions, la prospection et l'organisation et l'informatique et les technologies de l'information. – 2. Suit en 2005 la nouvelle organisation judiciaire(11), œuvre de la loi 05-11. Cette loi, qui abroge l'ordonnance 65-278 du 16 novembre 1965, porte de 04 à 10 le nombre de chambres composant la cour et de 03 à 10 celui des sections composant le tribunal. Cette augmentation du nombre de chambres et de sections traduit la tendance à la spécialisation induite par la complexité des rapports juridiques qui font appel à des disciplines de plus en plus spécialisées. – 3. Peu de temps après, est promulgué le règlement intérieur de la Cour suprême(12). Ce règlement intérieur, le premier en application de la loi 98-22 du 12 décembre 1989 complété et modifié et relatif aux attributions, à l'organisation et au fonctionnement de la Cour suprême, fixe à huit (08) le nombre de chambres de cette cour, parmi lesquelles, la chambre des requêtes nouvellement créée et définit les attributions du président de la haute juridiction, des présidents de sections et des conseillers. II – Les limites des acquis Aussi louables que soient les acquis réalisés tant sur le plan institutionnel que sur le plan des faits, ils comportent des limites imposées par le contexte politique dans lesquelles ils sont nés et par le niveau réel atteint par la justice. – 1. Les limites sur le plan institutionnel Les limites sur le plan institutionnel sont le fait de la politisation de la justice induite par les régimes successifs du parti unique antérieurs à la Constitution pluraliste de 1989. Résumons les traits communs des régimes de 1963, 1965 et 1976 avant d'évoquer les limites imposées par chaque régime à l'indépendance de la magistrature, puis les limites communes à tous les régimes. – A. Les traits communs de ces régimes On peut ramener à six (06) ces traits communs : – 1) Ce sont des régimes du gouvernement par le parti. Celui-ci, omniprésent, est la clé de voûte du régime. – 2) Ce sont des régimes guidés par la Charte, référence idéologique du régime (Charte d'Alger de 1964 pour le régime de 1963 et Charte nationale de 1976 pour les régimes de 1976 à 1989). – 3) Ces régimes sont marqués par la prééminence de la charte sur la Constitution. – 4) Ce sont des régimes où la justice est une fonction, non un pouvoir… – 5) … et où elle est assujettie au pouvoir politique. – 6) Enfin, ce sont des régimes où l'indépendance de la magistrature est toute relative, voire formelle. – B. Les limites imposées par chaque régime A la lumière des traits communs sus-évoqués, les limites imposées par chaque régime à l'indépendance de la magistrature se résument à : – 1) Dans le régime constitutionnel de 1963, le juge, stipule l'article 62/1 de la Constitution, n'obéit qu'à la loi comme nous l'avons indiqué. Mais cet article ajoute plus loin : «… Et aux intérêts de la révolution socialiste». L'alinéa 2 du même article, bien qu'annonçant expressément la garanties de la magistrature par la loi et par le conseil supérieur de la magistrature, ne fait pas traduire cette mesure dans les faits par l'installation du conseil prévu. Celui-ci, rappelons-le, ne sera installé qu'en 1969, et ce, sous le régime de l'ordonnance du 10 juillet 1965. Par ailleurs, dans le régime de 1963, seul l'exécutif semble érigé en pouvoir au vu des articles 39 à 59. Quant au législatif et au judiciaire, ils n'ont pas ce qualificatif de «pouvoir» à l'image de l'exécutif, ce qui laisse penser que le constituant entend les laisser au stade de «fonction» et n'accèdent donc pas au rang de «pouvoir». Toujours sous le régime de 1963, bien qu'aucune disposition constitutionnelle ou de la charte d'Alger n'annonce expressément la prééminence du second texte sur le premier, cette prééminence résulte implicitement de la lecture de la Charte même. En effet, la Charte d'Alger adoptée par le premier congrès du FLN, tenu dans le capitale du 16 au 21 avril 1964, ne laisse pas la justice neutre, mais lui assigne une tâche idéologique, celle d'être «un instrument pour la défense de là révolution»(13). Ce rôle idéologique est encore plus marqué au vu d'un autre paragraphe du texte qui donne à la justice les couleurs du régime quand il dispose : «La justice socialiste doit être une garantie supplémentaire pour l'application de la Constitution»(14). Enfin, la charte rappelle implicitement sa prééminence sur la Constitution quand elle affirme dans la résolution de politique générale que «le parti doit être le moteur de la vie politique»(15). 2) Le régime de l'ordonnance du 10 juillet 1965 issu du coup d'Etat du 19 juin 1965 qui se veut «réajustement révolutionnaire», a rendu caducs les organes de l'ordre constitutionnel de 1963 et sont remplacés par le conseil de la révolution et le gouvernement qui assument désormais les fonctions législative et réglementaire conformément à l'ordonnance sus-citée appelée «Petite Constitution» par les auteurs constitutionnalistes en raison de son caractère fortement condensé. Deux faits marquent ce régime : a. La naissance du premier statut de la magistrature qui, bien qu'il ait le mérite d'être le premier du genre, confirme néanmoins l'assujettissement de la justice au pouvoir politique comme le montrent les dispositions suivantes : – «La justice participe à la pratique et à la défense de la révolution et doit tenir dans l'application de la loi des intérêts supérieurs de la révolution». – «La défense de la révolution exige obligatoirement l'engagement de la justice qui constitue une fonction spécialisée de l'autorité révolutionnaire». – Le serment prêté par les juges comporte la mention «garantir les intérêts supérieurs de la révolution en toute circonstance». – Trois (03) membres du parti, l'autorité politique suprême, siègent dans le conseil supérieur de la magistrature. – Enfin, le statut ne consacre pas le principe de l'inamovibilité du juge du siège et celui-ci, par conséquent, peut être muté à tout moment par arrêté du ministre de la Justice. b. Deuxième fait marquant du régime de l'ordonnance du 10 juillet 1965, la création des juridictions d'exception. – D'abord la naissance en 1966 (16) de la cour spéciale de la répression des infractions économiques dont le président et les assesseurs sont choisis par le président du conseil de la révolution. – Ensuite, la naissance, en 1975 (17), de la cour de sûreté de l'Etat dont le président et les assesseurs sont également désignés par le président du conseil de la révolution. Cette cour ne sera supprimée qu'en 1989(18). – 3) Le régime constitutionnel de 1976 (Cf. note de renvoi n°5) est marqué, comme nous l'avons indiqué, par la subordination de la constitution à la Charte nationale et la justice au pouvoir politique. – La Charte d'abord en tant que référence idéologique et source suprême de la politique de la nation et des lois de la République place la Constitution après elle dans l'ordre des normes constitutionnelles. En outre, elle établit un lien entre la justice et les objectifs idéologiques en disposant qu'elle (la Charte) œuvre pour la «consolidation de la justice en vue de défendre les acquis de la Révolution…». En outre, elle insiste sur la nécessité de la formation idéologique des cadres de la justice, considérés comme des commis de l'Etat. – Quant à la Constitution, elle confirme la prééminence de la Charte en tant que «source fondamentale de la politique de la nation et des lois de l'Etat» (art .6/1). Par ailleurs, la Constitution qualifie la justice de «fonction» au vu du chapitre IV (articles 164-182) qui titre : «La fonction judiciaire». Bien que la Constitution de 1976 confirme la protection du juge en stipulant (art. 172) que «le juge n'obéit qu'à la loi», il n'en demeure pas moins que celui-ci est appelé à remplir une mission idéologique en ce qu'il «concourt à la défense et à la protection de la révolution socialiste» (art .173). C'est dans ce contexte aussi que le juge engage sa responsabilité devant le conseil supérieur de la magistrature «de la manière dont il s'acquitte de sa mission» (art. 174). – 4) Sous l'empire du régime constitutionnel de 1989, la période à prendre en compte pour souligner les limites de l'indépendance de la magistrature sur le plan institutionnel est celle antérieure à la révision constitutionnelle de 1996. Cette période en effet était caractérisée par l'unité de juridiction dans la mesure où la Cour suprême était la juridiction unique de cassation de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif. Cela dénotait l'absence de spécialisation dans le fonctionnement de la justice. Ce n'est qu'avec la révision de 1996 que la justice connaît la dualité de juridiction avec la création d'un conseil d'Etat annoncé par l'article 152/2 et d'un tribunal des conflits prévu à l'alinéa 4 du même article. – 2. Les limites sur le terrain des faits Quelle que soit la volonté politique de garantir et de renforcer l'indépendance de la magistrature par les textes, ceux-ci ne suffisent pas, à eux seuls, à réaliser cet objectif. En effet, l'indépendance de la magistrature dépend d'un certain nombre de paramètres qui se révèlent dans les faits et qui se conjuguent aux limites imposées par les textes pour former un ensemble retardant les progrès de la justice et les rendant peu perceptibles. En voici, à notre avis, les facteurs essentiels : – A. Le poids financier de la justice Ce paramètre est capital dans la mesure où le poids financier d'un secteur ministériel, c'est-à-dire le budget qui lui alloué par rapport au budget de la nation, détermine le poids politique de ce secteur. Avant de retracer le poids budgétaire du secteur de la justice avant et après 1989, soulignons les effets du budget sur le fonctionnement de la justice. – 1) Le budget alloué détermine le volume du personnel des juridictions (juge, greffiers, agents). – 2) L'insuffisance du budget affecte le rendement des juridictions en volume et en qualité (absence de bibliothèques, insuffisance d'imprimés, de papier, d'articles de bureau et de voitures de service). – 3) Cette insuffisance affecte les rapports entre le personnel de la justice (magistrat et greffiers) et les auxiliaires de justice (experts, police judiciaire et autres). – 4) Elle empêche l'adaptation des infrastructures actuelles (tribunaux, prisons) aux exigences de l'heure. Cela dit, retraçons le budget alloué à la justice à travers deux périodes s'étalant toutes les deux sur 15 ans, l'une d'avant 1989 (1972-1986), l'autre d'après 1989 (1991-2005). Dans les calculs, le critère à prendre en charge, le plus objectif, est le rapport en pourcentage entre le budget de la justice et le budget total de la nation. La comparaison du budget de la justice avec le budget des autres secteurs sert à titre indicatif et à une portée relative. Le tracé des courbes représentant le budget de chaque secteur dans cette période d'étude nous montre, à titre indicatif, que la justice, en fin de période d'étude (1988), occupe la tranche des 750 000 000 DA, dépassant de peu la tranche des 500 000 000 DA qu'occupent les départements de l'agriculture, de la jeunesse et les sports, des travaux publics, des affaires religieuses, de la pêche et de l'information (19). Quant aux autres secteurs, le budget de la justice est de 60%, celui des affaires étrangères 30,3%, celui des finances 27%, celui du travail et des affaires sociales 15,8%, celui des moudjahidine 14,49%, celui de l'enseignement supérieur 12,82%, celui de la santé publique 8%, celui de la défense nationale et 2,94% celui de l'Intérieur. b) La période d'après 1989 (Tableau II) Dans cette période, sont prises en compte six (06) années fiscales s'étalant de 1991 à 2005. On constate, dans cette période l'élévation du rapport moyen BJ /BT = 1,02% comparé à celui de la période d'avant 1989, égal à 0,93%, soit une augmentation de 1,09%. Mais cette comparaison est toute relative, car le paramètre à prendre en compte pour juger du poids financier, donc du poids politique de la justice, est le rapport entre le budget de la justice et le budget de la nation. Ce rapport, les tableaux l'indiquent, est situé entre 0,93% pour la première période et 1,02% pour la seconde, soit une différence de 0,09% et augmentation de 1,09%. Ce taux est jugé faible par rapport aux besoins réels de la justice et de ses ambitions. A titre comparatif, ce taux en France est égal à 1,67% l'année 2000, soit presque 1,7% et est jugé en-deçà des besoins de la justice (20). B. Les insuffisances de la spécialisation Si la spécialisation est amorcée avec la création du conseil d'Etat à la tête de l'ordre juridictionnel administratif, elle souffre encore de l'absence de tribunaux administratifs, prévus par les textes et non encore créés. Il en est de même pour le tribunal des conflits chargé de juger les conflits de compétence entre l'ordre juridictionnel administratif et l'ordre juridictionnel ordinaire. Par ailleurs, outre la spécialisation des juridictions spécialisées, une justice indépendante exige, dans une large mesure, la spécialisation des juges. Celle-ci doit commencer par la revue du programme de formation au niveau de l'Institut national de la magistrature en incluant des modules spécialisés à même d'aider le juge sur le terrain. C'est en fonction de cette formation que les nominations devraient se faire. Ensuite, c'est par des formations régulières en Algérie et à l'étranger que le juge est appelé à promouvoir sa spécialisation dans tel ou tel domaine. En résumé, la spécialisation des juridictions va de pair avec la spécialisation des magistrats, sinon elle perdrait son efficacité et n'atteindrait pas l'efficience attendue. En conclusion, l'indépendance de la magistrature est le fondement d'un Etat de droit. C'est une équation complexe qui met en jeu de nombreux paramètres dont le cadre institutionnel, c'est-à-dire les textes, constitue l'élément moteur. Mais, pour que celui-ci soit efficient, il faut qu'il évolue dans un contexte adéquat à même de lui donner consistance et vigueur. Ce contexte a pour point de départ un budget conséquent de la justice que doit accompagner une bonne politique de justice fondée aussi bien sur la spécialisation des juridictions que celle des juges ainsi que sur le recrutement d'un personnel du greffe jouissant de la maturité requise et du niveau aisé exigé, conditions d'une prestation de service à la hauteur de la justice efficiente réclamée. Trois paramètres, d'origines diverses, entrent dans l'équation. Le premier est inhérent au juge et concerne sa rigueur, son intégrité, sa conviction en l'indépendance de la magistrature et son combat quotidien pou garantir cette indépendance. Au sujet de l'attitude du juge, nous renvoyons le lecteur à notre article paru en 1998 dans le quotidien El Watan(21). Le second concerne l'attitude du pouvoir politique par le lien de la tutelle : la chancellerie. Il est clair, à ce sujet, que l'indépendance de la magistrature varie en raison inverse avec l'immixtion du pouvoir politique dans le travail de la justice et les pressions qu'exercerait ce pouvoir sur les juges au sujet de tel ou tel dossier. Une culture politique saine et une conduite personnelle irréprochable sont des atouts qui participent à la concrétisation de l'indépendance de la magistrature. Quant au troisième, c'est le rôle de la défense qu'on a tendance à mettre hors de cause vis-à-vis de cette question, mais qui, en fait, a un rôle à jouer. En tant qu'auxiliaires de la justice, les avocats, dans leurs rapports avec les juges, doivent constamment faire preuve de probité, de rectitude et de désintéressement, qualités requises dans leur mandat. De cette manière, ils aident le juge à la concrétisation de l'indépendance de la magistrature, car comme nous l'avons déjà écrit (22), cette indépendance est le corollaire de l'immunité de la défense, moelle épinière des droits de la défense. L'indépendance de la magistrature est une mission noble pour la construction de l'Etat de droit. C'est une affaire de tous. L'auteur est : Avocat. Ancien magistrat. Ancien journaliste