Les Français, à l'instar de leurs homologues italiens et allemands, saisissent tour à tour le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour demander des éclaircissements sur les instructions liées à l'investissement étranger qui, d'après eux, pourrissent le climat des affaires en Algérie. Jean-François Heugas, en défenseur des entreprises françaises en Algérie, fait le point sur les préoccupations des investisseurs. Des rumeurs disent que vous avez récemment rencontré Ahmed Ouyahia, notamment pour discuter des instructions sur l'investissement, dont celle obligeant à prendre un associé algérien. Est-ce qu'aujourd'hui ces instructions sont claires pour vous ? Non, pas du tout. Nous avons adressé un courrier le 31 mars dernier au Premier ministre en association avec la Chambre de commerce américaine en Algérie, et nous attendons toujours la réponse. Ce que nous demandons, c'est la traduction de ces instructions en textes de loi car, nous ne pouvons pas travailler dans un climat instable. Un climat instable lié… à l'arrivée d'Ouyahia ? Non. Les instructions du mois de décembre 2008 ont été prises dans un contexte de crise mondiale et l'Algérie est touchée. L'Algérie est dépendante du prix des hydrocarbures. Les prix ont chuté, donc elle accuse un manque à gagner énorme. Bien évidemment, des mesures devaient être prises. Ahmed Ouyahia a tout à fait raison de vouloir mettre fin à cela. Le problème, c'est qu'il faudrait fixer des règles du jeu et qu'elles ne changent pas. C'est pour cela que vous avez déclaré à un confrère que les Français préfèrent commercer qu'investir… Les investisseurs sont confrontés à plusieurs gros problèmes. Le plus important, comme je l'ai dit, c'est l'insécurité juridique. A cela s'ajoutent les contraintes administratives, car pour ouvrir une entreprise, toute une armada de procédures est indispensable. La réforme bancaire ou le simple virement peut parfois prendre des semaines. Autre problème : la qualification des ressources humaines. Certains employés algériens ont reçu une formation théorique mais n'arrivent pas à s'adapter à la culture de l'entreprise. Ce qui demande du temps et de l'investissement aussi. Pourrait-on imaginer que face à ces contraintes, les entreprises françaises quittent un jour l'Algérie ? Nous respecterons la souveraineté de l'Algérie et nous continuerons de travailler. Mais personne n'est obligé d'investir en Algérie et ces entreprises pourraient très bien le faire ailleurs. Les instructions du Premier ministre ont conditionné beaucoup de choses. Le code des investissements établit la liberté totale de l'investissement étranger. Un investisseur étranger peut, comme il le souhaite, exercer des activités d'importation, de production ou de services. Lorsqu'on s'inscrit au registre du commerce, on nous demande si on a un associé Algérien. Mais aucun texte de loi ne nous y oblige. Donc, nous souhaitons qu'il y ait plus de sécurité juridique La France est le premier investisseur hors hydrocarbures en Algérie. A combien sont estimés ces investissements ? Je vous donne les statistiques de la Banque d'Algérie pour 2008. Les entreprises françaises ont investi 350 millions de dollars, ce qui est un nouveau record. Ce chiffre représente une progression de 50% par rapport à 2007. Une nouvelle enquête révèle que la France est le premier créateur étranger d'emplois en Algérie, avec 35 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois indirects. Concernant le transfert des bénéfices, 80% des profits réalisés sont réinvestis ici. Quant aux banques, elles ont réinvesti 100% de leurs bénéfices. A notre avis, les circulaires ont été provoquées par les agissements de certains opérateurs étrangers qui transfèrent de l'argent plus qu'ils n'investissent. On comprend le fait que les autorités veuillent réduire la facture des importations. C'est légitime mais on devrait assainir le climat des affaires autrement… Quels sont les secteurs les plus investis par les Français ? L'industrie arrive en premier, la transformation du caoutchouc et la fabrication des pneus pour poids lourds avec Michelin, et une partie de la production est destinée à l'exportation. L'industrie électrique, avec Schneider qui, dit en passant, n'a pas décidé de quitter l'Algérie. En second lieu, les services, à commencer par le groupe Accor qui a un plan de construction d'hôtels très important en association avec le groupe Mehri. KPMG, qui est un cabinet en conseils financiers et juridiques vient juste d'ouvrir son deuxième bureau à Oran. Enfin, cinq banques activent en Algérie : Natixis, BNP Paribas, Société Générale, Calyon et le Crédit Agricole. Puisque vous parlez des banques, qu'en est-il d'AXA et AGF qui ont gelé leurs projets d'implantation ? Bien évidemment, AXA et AGF attendent la traduction des circulaires d'Ahmed Ouyahia en loi. Si elles doivent prendre un associé algérien à hauteur de 30% dans leur capital, cela risque de changer la donne, ce que je ne souhaite pas. Y aurait-il d'autres entreprises françaises en attente ? Oui, je vous cite par exemple Saint-Gobain (groupe spécialisé dans la fabrication des matériaux de construction et l'habitat qui devrait prendre des parts dans l'entreprise algérienne Alver (Société algérienne de production de verre installée à Oran). En plus des contraintes administratives, les entreprises étrangères craignent aussi le marché informel. Comme Carrefour qui s'est récemment retiré… Pour commencer, ce n'était pas Carrefour France. Il s'agissait d'une filiale émiratie. Je pense que le problème de transfert de droits et de royalties est à l'origine de leur départ. Lorsqu'une franchise développe des magasins à l'étranger, elle s'attend à recevoir ce qu'on appelle les royalties (la rétribution que le franchisé lui envoie). Or, la Banque d'Algérie refuse de les reconnaître. Est-ce que la CFCIA aide les franchisés à s'installer en Algérie ? On a commencé à travailler sur ce sujet en 1998. Nous avons organisé une manifestation sur la franchise en invitant six grands franchiseurs français parmi lesquels Speedy par exemple. Depuis, on attend que la législation algérienne prenne en charge la question. Bio express Juriste de formation, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, Jean-François Heugas a été avocat au barreau d'Alger de 1991 jusqu'à 1994, dans le cadre de la convention franco-algérienne sur le droit. Il a été nommé Directeur général de la CFCIA en 1994.