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Clarifications et mises au point au sujet des vérités occultées
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2008

Ma surprise est d'autant plus grande que j'avais rencontré Gérard Ermisse (2) en diverses occasions de 2000 à 2005, et en divers lieux dont Abu Dhabi, sans qu'il m'en ait parlé, sachant qu'il m'avait cité personnellement dans son article qui a pour origine une communication faite au colloque d'Ajaccio de décembre 2000.
Que mon collègue Ermisse défende la position française sur ce dossier, cela est normal, mais qu'il me cite nommément par deux fois, en page 60, dans ce contentieux, en tant que partie prenante, tout en m'attribuant un rôle personnel négatif, cela sort de la normale. Un contentieux entre deux Etats ne peut en aucune façon être réduit à un contentieux entre individus. La preuve : je ne suis plus directeur général des archives nationales d'Algérie depuis le 10 mars 2001, mais le contentieux entre les deux pays demeure, et il est toujours d'actualité ; ce ne sont pas les archivistes et historiens mobilisés des deux côtés de la Méditerranée, à la suite d'une nouvelle loi française sur les archives, qui risqueraient de me démentir !
Je me dois donc de répondre, même avec retard, aux écrits de Gérard Ermisse, non pour entretenir une polémique quelconque, mais pour apporter des précisions et corriger certains faits historiques. Mon objectif donc, à travers cette contribution, outre d'éclaircir quelques aspects du contentieux, est de verser une pièce dans l'historique de ce dossier afin d'en équilibrer le contenu. Tant il est vrai que selon des adages bien français :
«Qui ne dit mot consent», et «Les paroles s'en vont, les écrits restent». Et il va de soi, qu'il n'est pas question pour moi de conjuguer au présent ce contentieux, n'ayant plus qualité pour le faire depuis mars 2001 ! Je reprends donc les parties de l'article de Gérard Ermisse qui nécessitent clarifications et mises au point, et je joindrai en annexe le texte complet qui résume la version algérienne du «contentieux archivistique algéro-français», dont j'avais assumé la direction en 1995, et la diffusion en 1996 en trois langues, arabe, français, anglais (3).
1- Constantine, «1000 mètres linéaires d'archives transférées», page 52 :
En fait, il s'agit du double : 20 000 liasses d'archives extraites des archives départementales de Constantine, Batna, Annaba et Sétif, avaient été transférées en France entre 1961 et 1962, dont la moitié se trouvait encore en territoire algérien en septembre 1962, soit trois mois après l'indépendance ! Pour la petite histoire, notons que le premier préfet de Constantine de l'Algérie indépendante s'était impliqué en personne pour presser son personnel de terminer les opérations de transfert d'archives sur la base militaire de Telerghma, encore occupée par l'armée française.
De son côté, le conservateur régional des archives, resté en poste à Constantine après l'indépendance au titre de la coopération algéro-française, envoyait en septembre 1962 une série de télégrammes à l'ambassade de France à Alger pour procéder en urgence au transfert des archives en France avant la remise de la base militaire à l'armée algérienne !
Ces faits s'étaient déroulés durant l'été 1962, l'Algérie étant bel et bien indépendante, pendant que mes compatriotes chantaient et dansaient au rythme de «Aitiouni Dala Ya El Ikhouan» (4), avant de se tirer dessus pour des rivalités de pouvoir !
2- Restitution des archives ottomanes : «Comme je l'ai dit, les derniers éléments d'archives antérieures à 1830, soit les quelques pièces d'archives turques retrouvées en 1994 et les traités compris sous les anciennes cotes C 18-31 du Gouvernement général, soit 50 pièces, devraient être restituées», p.61.
Effectivement ont été restitués à l'Algérie quelques reliquats d'archives ottomanes, ainsi que les traités signés par l'Algérie avec une quinzaine de nations occidentales, et qui ne concernaient en rien la France.
Mais nous sommes encore loin du compte :
– Il manque encore les 59 traités signés avec la France elle-même du 17e au 19e siècles, sachant que ces traités avaient été établis en deux exemplaires originaux, un pour chaque pays, et la France détient toujours les deux exemplaires. Voir liste intégrale de ces traités algéro-français dans l'ouvrage d'un ancien diplomate français, édité en 1889. (5)
– Lors de la CITRA Washington de 1995, j'y reviendrai, Alain Erlande-Brandebourg, alors directeur des archives de France, avait déclaré publiquement qu'il subsistait encore l'équivalent de 80 mètres linéaires d'archives ottomanes au niveau des archives de France, et qu'il ne comprenait pas pourquoi ces documents, appartenant sans discussion à l'Algérie, n'avaient pas encore été restitués. Ce lot représente l'équivalent de 800 boîtes d'archives de 10 cm. Or, ce qui a été restitué selon les affirmations de Gérard Ermisse, ne représenterait pas plus de 50 boîtes au maximum. Où est passé le reste ?
3- «Summa divisio entre archives de souveraineté et archives de gestion» page 52 :
Lors des négociations algéro-françaises de juin 1980, la délégation française, dirigée par André Martial de la Fournière, alors directeur des archives au Quai d'Orsay, avait avancé cette distinction pour affirmer que seules les archives de souveraineté avaient fait l'objet de transfert vers la France, et que les archives de gestion étaient restées sur place. La délégation algérienne avait soutenu de son côté que les transferts avaient touché toutes les catégories d'archives, sans distinction entre «souveraineté» et «gestion».
Du reste, la liste intégrale et détaillée, article par article, des 20 000 liasses d'archives transférées des quatre départements de Constantine confortait la position algérienne, et confondait la partie française venue négocier sans connaître vraiment l'ensemble du dossier. Une synthèse des bordereaux de transfert des archives de l'Est algérien fut remise à la délégation française, soulignant notamment l'importance des fonds d'archives «de gestion».
En fait, ce que la délégation française entendait par «archives de souveraineté», à savoir les dossiers de cabinet, les archives des différents services de sécurité, les archives militaires, les dossiers des tribunaux de répression, les archives «sensibles», type dossiers des collaborateurs et harkis, ne représentaient que moins de 10% de la masse totale des archives transférées, en prenant comme exemple les archives de l'Est algérien. Alors, la position algérienne tenait en une seule phrase : «Rendez-nous les archives de gestion, qui représentent 90% des documents transférés, et négocions sur le reste, c'est-à-dire les 10% des archives que vous qualifiez de souveraineté !»
Là aussi, notons pour la petite histoire que, face à une délégation française qui n'en pouvait plus parce que peu informée de la réalité du contentieux, la délégation algérienne était en mesure d'exhiber les P-V des réunions civiles et militaires françaises relatives aux transferts en France de 1961 à 1962, où le seul motif invoqué pour justifier l'opération était de «procéder au microfilmage des archives des départements d'Algérie après avoir achevé celui des archives des départements de l'Ain et de l'Aisne, cela en optant pour un soi-disant ordre alphabétique (Ain, Aisne, Algérie, Allier, etc.) !
De même, la partie algérienne s'appuyait sur les listes des archives transférées, que ne semblait pas posséder la partie française, sans parler de la liste des agents ayant été rémunérés sur cette opération que pouvait exhiber la délégation algérienne, en même temps que les numéros d'immatriculation des camions militaires requis pour le transport, noms des chauffeurs en plus !
4- «La décision du président de la République française : A la suite des incidents de 1981 et 1985 et des campagnes de presse et d'opinion qui s'étaient développées autour de cette question, la France, sur décision du président de la République a, dans les faits, suspendu tout retour d'archives originales», page 60.
A ce niveau, Gérard Ermisse ne défend plus une position, mais de deux choses l'une : ou bien il n'avait pas été correctement informé sur la «décision du président de la République», ou bien il s'enfonce carrément dans la désinformation, ce qui n'est pas dans nos habitudes professionnelles en tant qu'archivistes. Je préfère opter pour la première hypothèse, plus vraisemblable, pas seulement par solidarité professionnelle, mais surtout parce que mon collègue ne semble pas avoir eu accès aux informations complètes sur le contentieux, et sur le déroulement des négociations de 1980-1981.
En fait, lors des négociations d'Alger de juin 1980, la délégation française avait pris des notes (écrites fébrilement au fur et à mesure que nous parlions) d'informations précises, décrites plus haut, dont elle n'avait pas eu connaissance préalable. A son retour en France, la délégation française avait dû rendre compte des discussions d'Alger, et force pour elle de reconnaître que la partie algérienne était mieux documentée, et que les transferts avaient concerné massivement les archives dites de gestion. Du reste, nous avions communiqué au conservateur du Centre des archives d'outre-mer à Aix, quelques références précises sur des fonds complets d'archives «de gestion» conservées en ses dépôts.
Il était apparu à cette occasion que les archives d'Aix conservaient les archives transférées d'Algérie, mais pas les inventaires y afférents que possédait la partie algérienne, au moins pour les archives de l'Est Algérien. Là également, notons pour la petite histoire que c'est grâce aux indications fournies par la direction des archives de la wilaya de Constantine, que le Conservateur d'Aix a pu localiser les fonds d'archives de gestion déjà classées avant transfert, ainsi que les dossiers des anciens assignés à résidence ! Et d'autres archives encore, telles que les dossiers de personnel … Ce qui avait fait dire au Conservateur d'Aix : «Ecoutez, donnez-nous des copies des inventaires en votre possession.» Ce à quoi avait répondu le Conservateur de Constantine : «C'est plutôt à vous de nous restituer ces archives !»
C'en était trop pour la partie française, d'où cette fameuse décision du président de la République française, prise peu de temps après les négociations d'Alger de juin 1980, et signée par… Valéry Giscard d'Estaing, encore président, lettre passée à la postérité sous le nom prétendument dissuasif de «La lettre de Giscard». Cette décision date donc du deuxième semestre 1980, et non d'après «les incidents de 1981 et 1985…» tel que rapporté par Gérard Ermisse.
Du reste, l'année suivante, en octobre 1981, à Alger encore, la France ayant entre-temps changé de président, la «Lettre de Giscard» fut brandie par la délégation française comme argument massue pour bloquer toute négociation, mais avec cette assurance de la partie française que «nous sommes prêts à vous écouter», cela dit, avec le sourire socialiste, prétendu plus amical que le régime précédent.
En fait, la délégation française était la même que celle de l'année précédente, toujours dirigée par André Martial de la Fournière, directeur des archives du Quai d'Orsay, avec toutefois la caution du nouveau régime symbolisée par la présence de Maurice Benassayag, originaire de Tiaret (6), chef de cabinet du secrétaire d'Etat français chargé des rapatriés. Elle était porteuse aussi d'une nouvelle approche du contentieux : «Le patrimoine commun , prétendument plus «libéral» pour parvenir à une solution.
5- «Un nouveau concept promu à un bel
avenir : Le patrimoine commun tel qu'il apparaît au plan international dans une résolution du Parlement européen de 1991», page 76.
En fait, ce concept n'est pas si nouveau que ça, tel qu'il apparaît dans une autre contribution de Gérard Ermisse : «La notion de “patrimoine commun” a été justement inventée et mise en avant à propos du sort des archives de l'AOF, par C. Kecskemeti dans son étude RAMP rédigée en 1977 pour l'UNESCO (7). Si la partie française considérait réellement que la notion de ” patrimoine commun ” était la plus adaptée, pourquoi ne l'avait-elle pas avancé lors des négociations de juin 1980, aux lieu et place de la distinction «Summa divisio entre archives de souveraineté et archives de gestion ?» Et que vient faire «La lettre de Giscard» dans cette affaire ? Là aussi, je me permettrais de citer un dicton bien français : «Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages !»
La vérité : au départ, la délégation française, mal informée, était convaincue que seules les archives de «souveraineté» avaient fait l'objet de transferts et que les archives dites «de gestion» étaient restées en Algérie. Elle s'était préparée donc à défendre bec et ongles sa conception de la «souveraineté». Mais, elle avait découvert à Alger la réalité du contentieux et s'était rendu compte qu'elle s'était piégée elle-même en avançant cette distinction.
Cela signifiait qu'il fallait discuter d'abord sur la restitution sans conditions des archives de gestion censées avoir été laissées sur place et qui représentaient la plus grande masse des documents transférés, avant de passer aux archives de souveraineté qui pesaient moins de 10% du contentieux.
D'où «la lettre de Giscard» interdisant toute sortie hors de France d'archives originales quelle qu'en soit l'origine. D'où aussi cette nouvelle approche du contentieux le qualifiant de «Patrimoine commun», non pas pour en partager la propriété entre les deux Etats concernés, mais pour en justifier la conservation intégrale en France, les discussions ne devant porter que sur les modalités de consultation de ces archives.
6- Mémorandum de l'Algérie sur le contentieux : «La demande algérienne date des premières années de l'indépendance. Elle a été formulée de façon aiguë lors de la négociation de 1980-81, puis résumée sous forme de mémorandum dans une brochure rédigée le 29 août 1995, largement distribuée à l'occasion de la CITRA de Washington et depuis lors», page 53.Là encore, je relève l'inexactitude des affirmations de Gérard Ermisse lorsqu'il écrit : «Largement distribuée à l'occasion de la CITRA…» Le seul délégué à la «CITRA Washington 6-7 septembre 1995», qui avait pris connaissance de cette brochure, était Alain Erlande-Brandebourg, directeur des archives de France. Nous lui avions justement demandé son avis sur la distribution éventuelle de ce document au cours de cette conférence qui portait sur le thème : «Archives, guerre et le concert des nations», l'axe principal étant «les contentieux d'archives».
Le chef de la délégation française nous avait clairement signifié qu'il n'apprécierait pas la distribution du mémorandum. Nous avions alors renoncé à sa distribution, afin de favoriser une atmosphère amicale avec la délégation française tous les délégués présents s'attendant à une rude empoignade entre nos deux délégations en raison du caractère exceptionnel de notre contentieux, tant par la dimension historique, 1830-1962, que par son ampleur, nous parlons bien de 200 000 liasses d'archives transférées en France et non 53 000, comme avancé par Ermisse.
Et nous sommes allés plus loin dans cette voie :
– L'empoignade tant attendue n'eut pas lieu, la sagesse ayant prévalu de part et d'autre, et l'archiviste nationale des Etats-Unis d'Amérique, Mme Trudy Huskamp Peterson, hôte de la CITRA, était venue à ma rencontre à la fin de la séance pour me dire en français : «Merci.»
– Une réception-dîner en l'honneur des deux délégations française et algérienne fut organisée à la résidence de l'ambassadeur d'Algérie à Washington, sur instructions du secrétaire général de la présidence de la République, mon département relevant de son autorité.
– Lors de la séance consacrée aux résolutions, les deux délégations algérienne et française surprirent l'assemblée générale de la CITRA en proposant une résolution commune qui préconisait de «laisser le contentieux archivistique aux diplomates des deux pays et encourager la coopération technique entre les Archives nationales d'Algérie et de France».
Il est vrai toutefois que l'année suivante, la brochure fut imprimée et distribuée au même titre que toutes nos publications, en visant en particulier notre lectorat national : «Nous espérons que cette version définitive réponde aux nombreuses questions que se posent légitimement nos compatriotes», préface de la brochure.
7- Une nouvelle période de tension : 1995-1998 : «Cette période est marquée par les interventions publiques du directeur des Archives nationales d'Algérie, M. Badjadja…», page 60. «Pendant cette période et jusqu'en 2000, et malgré les actions de coopération technique qui se poursuivaient quasi normalement, les relations entre les deux institutions nationales d'archives demeurèrent tendues et proches de la rupture, de l'aveu même des intéressés», page 61.
Sobhan Allah ! (8). J'avoue être tombé des nues en lisant ces affirmations péremptoires. De quoi parle Gérard Ermisse en évoquant «une nouvelle période de tension»? N'est-il pas en contradiction avec lui-même, lorsqu'il souligne que durant cette même période «les actions de coopération technique se poursuivaient quasi normalement entre les deux institutions» ? Il en rajoute même, lorsqu'il affirme que : «Les relations entre les deux institutions nationales d'archives demeurèrent tendues et proches de la rupture, de l'aveu même des intéressés.»
Mais enfin M. Ermisse, d'où sortez-vous ces turbulences qui n'auraient pu se produire que si nos bureaux étaient mitoyens et nos relations «tendues» quasi quotidiennes ? Tel n'étant pas le cas, et si l'on ajoute qu'il n'y a pas eu de négociations sur le contentieux durant cette période, ni même de 1981 à 2000, sachant de plus que je n'ai effectué aucune mission en France du mois d'avril 1993 au mois de janvier 2000, ni entretenu une quelconque correspondance hostile, je me demande légitimement quand, où et comment se seraient manifestées ces «tensions» ?
Et de plus, je me demande qui sont ces «intéressés» que vise M. Ermisse en affirmant «de l'aveu même des intéressés» ? En tout cas, M. Ermisse me rendrait bien grâce en précisant qu'il ne m'a jamais demandé mon avis, et que par voie de conséquence je ne fais pas partie de ces «intéressés» qui se limiteraient donc à un seul son de cloche, le «minaret» n'ayant pas été consulté !
Je tiens à souligner que lors de ma visite en France en avril 1993, j'avais reçu un accueil amical de Jean Favier, directeur des Archives de France, qui avait organisé mes contacts avec le Service historique de l'armée de terre (SHAT) à Vincennes et facilité mes recherches professionnelles au Centre des archives d'Outre-mer d'Aix — avec un accueil tout aussi amical de Mme Elisabeth Rabut, conservateur — où j'avais pu consulter des archives non encore communicables, cela grâce à une autorisation exceptionnelle de Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur.
Du reste, mes rapports en tant que directeur général des Archives nationales d'Algérie de 1992 à 2001, avec les directeurs des Archives de France qui s'étaient succédé durant cette même période : Jean Favier, Alain Erlande-Brandebourg, Philippe Belaval, Mme Martine de Boisdeffre, ainsi que les contacts que j'ai eus avec mes collègues archivistes français rencontrés en France ou lors des conférences internationales en divers pays, ont toujours été empreints de courtoisie, compréhension et solidarité professionnelle.
Les dernières rencontres en date : Christine Martinez (9) et Bruno Delmas (10) à Abu Dhabi en 2006, et mon bon ami de toujours, Arnaud Ramière de Fortanier, (11) en novembre 2007 au Caire, ce même collègue ayant assisté à la réception de l'ambassade d'Algérie à Washington en 1995 et ne manquant aucune occasion de me le rappeler !
Il était clair pour tout le monde que le volet politique du contentieux archivistique, qui reste du ressort des responsables politiques des deux pays, ne pouvait en aucune façon entraver une coopération technique, encore moins susciter une quelconque tension, sauf pour Gérard Ermisse !
8- La France absente au colloque international d'Alger de 1998 :
«Organisation par le gouvernement et les Archives nationales d'Algérie d'un grand colloque à Alger en février 1998 sur ce sujet, au cours duquel, M. Badjadja tint à préciser qu'«il n'y avait aucun contentieux avec aucun pays, sauf la France». La cible étant ainsi clairement désignée, naturellement aucun représentant français officiel n'assista à ce colloque». p.60.
Là franchement, j'en perds non pas mon latin, mais ma rationalité, tant je ne suis pas arrivé à comprendre que l'on puisse justifier une absence décidée «a priori» par des déclarations faites «a posteriori» !
La France aurait décidé donc de ne pas participer au Colloque d'Alger où elle était invitée, en même temps que 35 autres pays, à cause des déclarations faites par M. Badjadja au cours du colloque !
J'ai déjà relevé plusieurs incohérences dans les écrits de Gérard Ermisse, inutile d'insister davantage sur celle-ci. Toutefois, il faut ajouter que la France n'était pas le seul pays occidental absent du colloque, mais tous les pays occidentaux invités s'étaient abstenus également, y compris les Etats-Unis d'Amérique qui nous avaient gratifiés pourtant de la meilleure communication du colloque (90 pages de références d'archives envoyées par voie postale).
Mais, aucune des institutions d'archives nationales occidentales n'avait justifié son absence par mes déclarations faites «a posteriori», je le répète. En fait, le seul motif évoqué par certains collègues occidentaux relevait des préoccupations sécuritaires, l'Algérie vivait à l'époque, il est vrai, une période troublée, mais qui ne portait pas atteinte aux rencontres et séminaires nationaux et internationaux. N'empêche que vingt pays envoyèrent des délégations : Europe de l'Est, pays arabes, africains et asiatiques.
Tous les archivistes étrangers présents au colloque peuvent témoigner, si besoin est, que le thème principal portait bien, comme annoncé deux ans auparavant, sur : «Les archives concernant l'histoire de l'Algérie conservées à l'étranger», et en aucun cas sur le contentieux archivistique algéro-français.
Si j'ai été amené au cours du colloque «à préciser qu'il n'y avait aucun contentieux avec aucun pays sauf la France», c'était pour stopper les ardeurs des journalistes algériens qui s'étaient fourvoyés en écrivant au sujet de «nos archives détenues à l'étranger qu'il faut récupérer». Il s'agissait donc d'une mise au point faite en marge des travaux du colloque, et non d'une accusation quelconque qui n'avait pas sa place dans une rencontre à caractère scientifique. Conclusion : à la lecture de ce commentaire, qui se présente comme un droit de réponse dont j'ai usé pour avoir été cité nommément, Gérard Ermisse pourrait estimer que j'en ai peut-être abusé, tant la taille du texte dépasse ce qui pourrait être admis habituellement en guise de réaction.
En fait, s'il ne s'agissait dans mon esprit que d'une polémique Ermisse-Badjadja, je me serais contenté d'un paragraphe amical qui lui aurait été envoyé «single» par mail. Mais, au risque de me répéter, je considère qu'il s'agit en l'occurrence d'un contentieux juridique impliquant deux Etats, l'Algérie et la France, qui mérite d'être abordé avec beaucoup de clarté et de précisions, ce qui n'exclut pas des différences d'approche, à chacun ses arguments, puisés non dans la propagande nationale, mais dans les références juridiques internationales.
A travers ce texte, transformé en contribution pour une étude sereine du contentieux archivistique algéro-français, je vise aussi à éclairer l'opinion nationale en Algérie et en France si prompte à s'enflammer sur les séquelles d'un passé récent, encore mal assumé de part et d'autre de la Méditerranée. Enfin, je tiens à remercier vivement mon collègue Gérard Ermisse pour m'avoir offert ainsi, certainement sans le vouloir, l'opportunité de livrer un pan de ma mémoire, au moment d'un retour sur le passé annonciateur d'une fin de carrière que je me dois d'achever par «un testament archivistique».
Notes :
(1) Archives et patrimoine , vol. 2, sous la direction de Marie Cornu et Jérôme Fromageau, Paris, L'Harmattan, 2004 , voir communication de Gérard Ermisse au colloque d'Ajaccio de décembre 2000 : «l'actualité des contentieux archivistiques».
(2) Gérard Ermisse a été nommé en 2004 directeur des Archives nationales à Paris
(Centre historique des Archives nationales) après avoir été, de 1996 à 2004, inspecteur général puis chef de l'Inspection générale des Archives de France.
Depuis 1984, il s'est beaucoup investi dans les affaires internationales au sein du Conseil international des archives d'abord, puis en tant que chargé de coordonner la politique de coopération de la direction des Archives de France aux côtés des directeurs successifs.
(Source : Portail International Archivistique Francophone)
(3) Le Contentieux archivistique algéro français, en arabe, en français et en anglais, 10p. + 23p, publication n° 03/ 1996 des Archives nationales d'Algérie, sous la direction de Abdelkrim Badjadja, directeur général des Archives nationales d'Algérie. La version française sera publiée dans mon blog au journal Le Monde :
http://badjadja.blog.lemonde.fr/
(4) ” Aitiouni Dala Ya El Ikhouan, Natlaâ Ledjebel Guebala “, chant populaire signifiant ” Laissez-moi mon tour mes frères, je monterai au maquis directement “.
(5) ” Correspondances des deys d'Alger avec la Cour de France, 1579-1833 “, par Eugène Plantet, attaché au ministère (français) des Affaires étrangères, deux tomes : 1- de 1579 à 1700, 2- de 1700 à 1833, Ed. Félix Alcan, Paris, 1889.
(6) Maurice Benassayag, ” Fait partie de ces figures nées à Tiaret…Conseiller d'Etat, membre de la CNIL : Je suis issu d'une famille juive d'Algérie, ce qui signifie que ma famille était en Algérie depuis toujours”.
Source : Alta Network 2006, Interview Maurice Benassayag.
(7) ” Archives, archivistes, et archivistique française à l'épreuve des relations internationales “, Gérard Ermisse et Christine Martinez, in Gazette des Archives, n°204, 2006-4.
(8) «Sobhan Allah» : formule religieuse pour exprimer une énorme surprise.
(9) Christine Martinez : «Je suis Toulousaine d'origine espagnole. J'ai fait mes études à Paris, à l'Ecole nationale des chartes. J'ai ensuite passé quatorze ans à la direction des archives du ministère des Affaires étrangères… J'ai pris la responsabilité du centre de formation continue de l'Association des archivistes français. Je préside également le comité pour la formation professionnelle du Conseil international des archives. Depuis la fin 2002, je travaille à la Direction des archives de France où je suis responsable des relations internationales.»
(Source : Portail international archivistique francophone, PIAF).
(10) Bruno Delmas est professeur d'archivistique, de diplomatique et d'institutions de l'époque contemporaine à l'Ecole nationale des chartes. Diplômé de cette école, de l'université et de l'institut d'études politiques, il a exercé le métier d'archiviste aux Archives nationales, aux Archives de la marine et à la Direction des archives de France.
(Source : Portail international archivistique francophone, PIAF).
(11) Arnaud Ramière de Fortanier ; je l'avais connu comme conservateur des archives de la ville de Marseille à la fin des années 1970, puis comme inspecteur chef du service technique des Archives de France, enfin comme directeur des archives départementales des Yvelines, son dernier poste avant une retraite bien méritée.


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