Pour un journaliste, le Festival de Cannes, c'est le plein-emploi. A peine sorti d'une salle, le voici dans les files d'attente d'une salle voisine. L'aventure continue. Il y a aussi des pistes à explorer la nuit venue, les réceptions sur les plages ou dans les bateaux qui ont jeté l'ancre dans le petit port. Tout le monde ici connaît le rituel du Cannes Circus. Il y a le cercle des grands voyageurs qui ne ratent pas une occasion, ici ou ailleurs aux quatre coins du monde, Venise, Toronto, Tokyo, San Francisco, Berlin, Dubaï..., de se ruer là où une ville témoigne de la vivacité du cinéma en ouvrant ses larges écrans. Ici, à Cannes, tout a commencé il y a 62 ans. Et de génération en génération, la fête continue. C'est chaque fois une fête à tendances multiples et jamais avare de surprises, bonnes ou mauvaises. On peut passer des films exceptionnellement réussis comme Fish Tank (aquarium) de l'Anglaise Andrea Arnold ou celui du Kurde Bahman Ghobadi, qui a réussi à filmer une singulière comédie musicale en cachette à Téhéran, à d'autres spectacles délibérément ennuyeux comme Bright Star de Jane Campion montré vendredi matin à la presse. Aussi belle et forte qu'elle soit, la poésie de John Keats, poète romantique anglais du XIXe siècle, n'est pas si facile à filmer. Il faut une certaine maîtrise et beaucoup de finesse, choses qui manquent cruellement dans le travail de Jane Campion. Bright Star est souvent d'un ennui total. La mise en scène s'englue dans les vicissitudes des films d'époque, vieux décors, vieux costumes, langage ampoulé. On est là pour la poésie de Keates, mais ça ne passe pas. L'histoire se passe à Londres en 1818. John Keates est amoureux de sa voisine Fanny Brawn et lui enseigne la poésie. Ils ont à peine 20 ans. Leur passion est supposée très forte, mais Keates tombe malade, atteint de tuberculose, il part se soigner en Italie et meurt à Rome, à l'âge de 25 ans. En filmant cette histoire, Jane Campion avait des ambitions très hautes. Bright Star ne produit pourtant aucun choc, pas le moindre émoi. Il faut toujours se méfier des dossiers de presse que les producteurs distribuent à gogo aux journalistes. La plupart sont luxueusement faits. Ils annoncent toujours des films magnifiques, des chefs-d'œuvre à ne pas manquer. En voyant les films en question, on voit souvent les choses d'un point de vue très différent ! Ainsi, pour Bright Star, Jane Campion n'hésite pas à écrire dans son dossier : « A mes yeux, le monde de Keats et de Fanny est empreint de lumière. Il s'illumine littéralement et irradie. Et même si Keats meurt à la fin, la flamme allumée par son génie de la poésie et son esprit unique ne peut être éteinte. » Telle est l'ambition de Bright Star : sensibiliser le public à cette lumière, allumer une flamme. Mille fois hélas, on a vu son film et on a le sentiment que Jane Campion a pris grand soin d'éteindre la moindre étincelle poétique.