« L'ampleur du désastre fait rire ». Chawki Amari, en bon Algérien « made in Berbérie », connaît bien cet adage berbéro-algérien aujourd'hui universel. Les nouvelles de son recueil A trois degrés, vers l'Est (2) forcent le malheur enfoui dans le tréfonds de nos cœurs, essorent notre tristesse, font couler nos chaudes larmes et les refroidissent soudain pour… « faire jaillir notre rire » le plus bruyant, le plus « malheureux » ! Depuis quand les Algériens pleurent-ils ? Depuis quand sont-il malheureux ? Depuis quand rient-ils ? Depuis la naissance du premier homme sur… notre terre, convoitée par les colonisateurs et violée par nos dirigeants surtout depuis… 1962 ! Les héros de Chawki Amari sont tristes, parfois bêtes, quelquefois méchants, mais tous nous poussent à réfléchir avant que notre rire incontrôlable ne fasse couler nos « larmes bien algériennes ». « Merci mon fils. Tu iras au Paradis ». C'est la « daâwa » du bien que lance la mère de l'inspecteur Drid à Raho, le « dérangé » (parce qu'il s'est dérangé pour expliquer à l'inspecteur Drid son… devoir !) en squattant son… appartement. Un appartement payé par le « sang de rêve » qui coule dans les veines du pauvre Raho qui n'a rêvé que d'être « bon citoyen ». C'est le prix à payer pour « les vérités verticales » (p. 7). C'était écrit. Non, « c'était écrit dans le journal », lance le terroriste à Boukentosh, ce malheureux qui s'est réveillé dans une Algérie « vidée de ses habitants » (p.37). Avant, un vieillard sage lui a expliqué la vie de l'heureuse… Algérie : « …les problèmes que nous vivions, ce sont les hommes qui en sont responsables. Sans hommes pas de crises, pas de problèmes, pas d'attentats, pas de crimes, pas de sang, rien. Un pays vide est un pays heureux. » Quelle sagesse… berbéro-arabe ! Et pourtant, Boukentosh ne l'a pas prise aux sérieux. Il a voulu comprendre. Il a voulu chercher « un être humain dans son pays... vidé ». Comprendre ? Adam n'a-t-il pas voulu comprendre en mangeant cette… « maudite pomme ? » Chassé du Paradis, il « ne dort plus » parce qu'un terroriste algérien « décédé » hante ses nuits. « C'est le rêve de tout un peuple que d'être commerçant (…) comme les importateurs, commerçants-rois au pays des acheteurs vassaux » (p. 52). Mais le vieil Alik a choisi de sculpter… des clous. Etrange ! Qui achète les clous en Algérie ? Cambriolé, trop suspect, il apprendra à mettre des clous dans « les... fesses de ses détracteurs ». « Des hommes debout » ? Vous vous rappelez ? Ils se sont convertis en « dragueurs », comme Amin, cet « homme trop debout » piégé par un policier. Quelle bêtise. Donner sont téléphone mobile au mari de sa bien-aimée ! Enfin « la vie est ainsi faite, c'est dans ces moments de bonheur que tout peut basculer », (p. 203). « La chose aux yeux mouillés » (p.201) ? ça n'existe qu'en Algérie ! Chawki Amari ? Même si… un Chinois le lit, il ne peut dire que… « c'est un bon écrivain ». Ses nouvelles atteignent cette tendresse qui nous fait rêver, cette cruauté qui fait frissonner nos corps ou cet humour qui fait sécher nos bouches… de rire ! Il est sur le chemin « lumineux » de Dino Buzzatti et Gabriel Garçia Marquez. (1) Célèbre poème d'Abou El Ala El Mouari (IXe siècle). (2) Edition Chihab, Alger 2008