Ces deux professionnels de l'art nous disent tout l'enjeu du théâtre de marionnettes et dévoilent une vision étriquée de la culture. L'année passée, avec moins de candidatures, vous avez sélectionné une liste de dix troupes pour le festival. Cette fois, vous avez eu du mal à arrêter une liste de huit spectacles. Missoum Laroussi : Pour être plus explicite, disons que si certaines troupes ont réalisé des progrès, d'autres, par contre, ont régressé. Par ailleurs, certaines se sont contentées de reprendre tels quels d'anciens spectacles dont la recréation s'imposait alors que d'autres qui avaient été recalées lors de la précédente édition, sont revenues à la charge avec les mêmes spectacles dont elles n'ont modifié que les titres. Cette fois, aucune troupe n'a investi le théâtre d'objet, ce qui, l'année passée, a suscité une polémique après l'annonce du palmarès M. Laroussi : Lorsque nous avions visionné Sisbane de Masrah Elleil de Constantine, nous avons été agréablement confrontés à une expérience nouvelle en Algérie. Nous l'avions sélectionnée pour susciter le débat, la réflexion et la recherche. Il se trouve que le jury du festival a adoubé notre choix en gratifiant Sisbane du grand prix. En fait, sur cette polémique quant à la distinction entre théâtre de marionnettes et théâtre d'objets, la divergence est entre praticiens, pas entre les théoriciens. Après tout, la marionnette est elle-même un objet. Hamza Djaballah : En vérité, la question de l'innovation n'est pas propre au théâtre de marionnettes, elle concerne également le théâtre d'acteur. Ceux qui la récusent au nom de critères et de normes, oublient que la société, ses besoins et ses attentes ont évolué. On ne peut pas édicter des règles et des normes immuables, c'est bloquer toute créativité et par conséquent scléroser la création. A mon avis, le jury, lorsqu'il a distingué Sisbane, il l'a fait en regard de l'idée à la base du spectacle et du potentiel de créativité dont elle est porteuse. Qu'avez-vous à dire de l'usage abusif de la musique et du chant ? M. Laroussi : Cela vient du fait que les troupes se produisent toutes dans des écoles. C'est d'ailleurs leur principal, sinon unique, circuit de distribution. Et dans ces établissements, ils font de l'animation, ce qui fait qu'elles ne différencient plus entre un spectacle d'animation et une représentation théâtrale. La dérive vient de là. Question texte, d'un spectacle à un autre, ce sont généralement les mêmes fables. H. Djaballah : Ce n'est pas une crise du texte mais de la création. C'est la même problématique que pour les autres éléments du spectacle : la scénographie, la mise en scène ou l'interprétation. Je dirais qu'avant de faire du théâtre de marionnettes, il faut que ceux qui se sont lancés dans sa pratique apprennent d'abord ce que c'est que le théâtre tout court. Ensuite, il faut qu'on identifie les besoins du public et que l'on commence par connaître ce public. On présente Chahrayar de la même façon que dans les années 1970. C'est inconcevable alors que le public actuel est nourri aux Mangas et branché sur les nouvelles technologies, le téléphone portable et la multitude de chaînes satellitaires. Avec ce public dont les références et les repères sont autres, on reste à la Cigale et la Fourmi… M. Laroussi : Précisément, à propos de cigale, pourquoi la stigmatiser ? N'est-elle pas l'archétype de l'artiste ? L'artiste demeure-t-il le méprisable Ajajbi ? Le comble dans tout cela, c'est que ce sont des artistes qui promeuvent cette vision d'une vie où il nous faut être tous des fourmis et nous soustraire aux plaisirs de la vie ! Le théâtre de marionnettes ne paie-t-il pas le prix fort d'avoir pour circuit de distribution les cours et salles polyvalentes des écoles ? M. Laroussi : Bien évidement, il y a toujours un directeur d'école qui veille au grain. Et gagne-pain oblige, les troupes s'appliquent à respecter le conformisme et le moralisme de rigueur. Pour son salut, le théâtre de marionnettes devrait se constituer un circuit autre que scolaire et qu'il ait un public d'enfants et non d'écoliers. Il faut que ce théâtre passe dans de vraies et belles salles, équipées comme il se doit, et qu'on respecte le public juvénile au lieu de le confiner dans des lieux de représentation de misère. La scénographie est chez nous le parent pauvre du théâtre de marionnettes H. Djaballah : Effectivement ! Faut-il obligatoirement user d'un castelet de 1,20 m, selon les normes, un castelet planté sur une scène généralement trop élevée même pour le théâtre d'acteur ? Les enfants des premiers rangs souffrent le torticolis. Et puis, c'est toujours le même castelet, avec quatre tubes, du tissu autour et une toile de fond figurant un bout de ciel et quelques arbres. Pourquoi les troupes viennent-elles au festival toutes avec un castelet ? Il suffirait d'utiliser celui de la maison de la culture et l'on soulagera beaucoup de monde ! J'exagère peut-être mais à voir les mêmes fables, les mêmes marionnettes, les mêmes personnages et leur constant recyclage, il y a nécessité de faire le ménage. On s'est installé dans la routine au nom de certaines normes. Il faut dépasser cela. On perd de vue que la scénographie, c'est d'abord l'aménagement de l'espace alors que l'esthétique est une question de proportions comme on le sait du temps de la Grèce antique. Il faut que le castelet se fonde dans la salle et qu'il fasse un avec la scène. Ne devrait-il pas être utilisé uniquement pour une représentation en plein air ? H. Djaballah : Certainement ! Il faudrait à cet égard que le festival n'attribue plus un prix du castelet, selon la tradition, mais un prix « espace marionnettes ». La représentation a après tout lieu dans une salle à l'italienne, dans un espace clos et non en plein air. Tout spectacle dans un tel cadre doit être conçu par rapport à la salle et sa scène. Si j'ai une pièce qui a pour thème la nourriture, pourquoi mon castelet n'aurait-il pas la forme d'un bol ou d'un couteau ? Pourquoi la manipulation des marionnettes ne passerait pas par l'utilisation de perches ? Et le recours presqu'exclusif au play-back ? M. Laroussi : C'est la solution de facilité ! Et cela s'est imposé à cause du circuit de distribution scolaire des spectacles. C'est très pratique pour une troupe qui se produit dans une cour d'école, mais l'inconvénient en cela, c'est que le play-back empêche toute interactivité avec le public ainsi que toute possibilité d'improviser. On l'a bien vu lors de la précédente édition, les meilleurs spectacles ont été ceux qui étaient en live. Repères Avec un bac science, Hamza Djabbalah, 28 ans(à dr. de la photo), a préféré s'orienter vers l'art. Scénographe issu de l'INAD, son parcours est parsemé de travaux à l'esthétisme soigné, à l'instar de sa contribution à la pièce Falso, grand prix 2009 du Festival de théâtre professionnel. Missoum Laroussi, 33 ans, est depuis 1996 professeur d'enseignement des techniques d'animations (arts dramatiques) à l'Institut national de formation supérieure des cadres de la jeunesse de Tixeraïne. Bardé de diplômes, fortement impliqué dans la société civile et l'action culturelle, on lui doit de nombreuses mises en scène. Comme l'an dernier, ces deux professionnels ont procédé aux sélections pour la 3e édition du Festival culturel national de théâtre de marionnettes qui se déroulera du 10 au 16 juin prochain à Aïn Témouchent. Le jury de la précédente édition a lancé un signal fort par le biais du palmarès en vue d'encourager la création et la créativité au détriment d'une pratique routinière. Le festival a révélé deux tendances, la première issue de la période de « El hadiqa essahira », émission enfantine de télévision des années 1970, avec sa démarche infantilisante et moralisatrice. Cette orientation s'est aggravée depuis les années 1990 avec l'ouverture du champ théâtral à l'initiative privée, tant pour le théâtre d'acteurs destiné aux enfants que pour celui de marionnettes devenu exclusivement un théâtre pour enfants. Cette pratique est encouragée par le fait que les troupes ne sont pas dans l'obligation de conquérir un public, celui-ci étant acquis, car il est plus enclin à aller au théâtre parce que chez lui le besoin de nourrir sa vie fantasmatique est primordial. Fait non négligeable, il est en Algérie le seul public qui paie sa place. Mais à la décharge des troupes, l'écrasante majorité de leurs éléments sont sans formation ni contact avec la pratique de par le monde. La seconde tendance, plus prometteuse, est encore très minoritaire. C'est dire la titanesque mission du festival.