Le professeur Charles Robert Ageron est né en 1923 dans la ville de Lyon où il entreprit ses études. Il enseigna au lycée Gautier d'Alger en 1947. Son épouse Suzanne était aussi enseignante de lettres françaises. Après un séjour de dix années à Alger, il poursuivit son enseignement au lycée Lakanal de Seaux près de Paris, avant de rejoindre le Centre national de la recherche scientifique entre 1959-1961. Il fut nommé professeur adjoint en histoire à l'université de la Sorbonne jusqu'en 1969, date à laquelle il obtint le diplôme de doctorat sur la base d'un travail de recherche intitulé «Les musulmans algériens et la France», sous la direction du professeur Charles André Julien. Le professeur Charles Robert Ageron rejoint l'université François Rabelais de la ville de Tours et fut promu enseignant émérite. Ce professeur est réputé pour sa maîtrise de l'histoire coloniale dont il domine toutes les problématiques, à l'image de son maître Charles André Julien. C'est un fin connaisseur de l'histoire de l'Algérie durant la colonisation française. Et sa thèse intitulée «Les musulmans algériens et la France 1871-1979» s'attache à étudier l'Algérie sous le régime de la 3e République qui s'attela à franchir notre pays et à détruire les repères de notre personnalité nationale. Quant au second volet de la thèse, il concerne le gouvernement du général Berthezène à Alger 1831. Le professeur Charles Robert Ageron rédigea une histoire de l'Algérie contemporaine 1871-1954 qui constitue un complément à l'œuvre de Charles André Julien sur le même sujet. Il faut dire que les travaux de cet historien sont d'une grande importance. Qu'il s'agisse de Gambetta et la poursuite de la conquête coloniale, les politiques de de Gaulle, l'anticolonialisme, l'histoire de la France coloniale, la décolonisation. La même observation peut être faite à l'égard de ses 120 articles qui traitent de divers aspects de l'histoire de l'Algérie de 1830 jusqu'après 1962. Parallèlement à cette opulente activité académique, le professeur Charles Robert Ageron dirigea des publications scientifiques, des conférences de recherche et présida des associations historiques, telle l'association française d'histoire d'outre-mer. Il fut membre de l'Académie des sciences d'outre-mer et demeure incontestablement un grand spécialiste de l'histoire contemporaine grâce à son sens critique, sa parfaite compréhension de l'histoire. Il fit l'objet d'un colloque et d'un ouvrage qui lui furent dédiés en hommage à ses contributions et apports par la fondation Tamimi de la recherche scientifique de Tunis. Charles Robert Ageron fit la connaissance de l'Algérie dans le cadre de son service national qu'il effectua en 1945. Il vécut, dès sa jeunesse, des événements douloureux dont les échos lui parvenaient : les péripéties de la Seconde Guerre mondiale et leurs retombées sur la société algérienne musulmane tant sur les plans économique, social, politique et l'oppression coloniale. Il ne fait aucun doute qu'il en fut marqué, au point de susciter son intérêt, son étonnement, à plus forte raison lorsqu'on est profondément imprégné d'idéaux républicains, convaincu par la formation académique que lui prodiguèrent ses deux maîtres à penser, en l'occurrence Henri Irenée Marrou et René Mandouze, spécialiste rigoureux de Saint Augustin. Ce sont deux Français libres qui dénoncèrent la torture pratiquée en Algérie. René Mandouze fut d'ailleurs un ardent défenseur de la question algérienne et il en paya le prix par son emprisonnement. Ces deux universitaires militèrent au sein du mouvement Témoignage chrétien, dont le journal porte le même nom. Ce mouvement chrétien de gauche soutient les causes justes, condamne la violence, le diktat de l'homme sur l'homme. Sur la base de ce que nous venons d'évoquer, nous pouvons saisir les principaux facteurs qui ont contribué à la formation de la pensée du professeur Charles Robert Ageron, déterminé ses prises de position contre le colonialisme et ses politiques, ses orientations dans le domaine de la recherche et des études. Tout cela fut grandement approfondi quand il retourna en Algérie en 1947. Le séjour du professeur Charles Robert Ageron est marqué par des événements de violence politique, de fraudes électorales, de fermeture du jeu politique face aux hommes politiques autochtones engagés en faveur de la liberté et de l'indépendance. Il vécut les événements du 8 Mai 1945, ceux du 20 Août 1955, les années sanglantes de la Bataille d'Alger. Charles Robert Ageron se rangea du côté des Français libres, des intellectuels qui rejettent la violence et soutiennent les causes justes. Il défendit la cause algérienne à travers ses ouvrages, ses articles de presse et milita pour la vérité historique. Pour le professeur Charles Robert Ageron, la fonction d'historien, l'écriture historique relèvent du sens de la responsabilité quant au souci d'éclairer le public, les lecteurs, de rechercher la vérité afin de les assener à prendre position, à émettre leurs jugements. L'historien doit jouir du sens de la citoyenneté véritable. II doit se dépouiller des idées reçues, des croyances rigides et des idéologies, ne pas en faire un mélange. La vérité doit être dévoilée, définie et proclamée. C'est ce que j'ai pu comprendre en correspondant ou en rencontrant le professeur et au travers des discussions que j'ai eues avec lui au sujet de certaines des idées consignées dans ma thèse. II s'efforça particulièrement à me convaincre de ne pas me satisfaire des sources françaises et qu'il fallait rechercher des sources arabes contradictoires dans la mesure du possible. II me conseilla de faire œuvre de clarté dans l'énoncé des idées. II me cita souvent l'exemple de son maître, le professeur Charles André Julien, qui demeure une référence en termes de clarté. Le professeur Charles Robert Ageron se distingua par sa modestie. Elle apparaît dans sa façon de livrer ses remarques avec humour, bonhomie, les gestes de ses mains, ses expressions du visage. On ressent de la sérénité à son contact qui incite à mieux bénéficier de sa science. C'est un homme d'écoute et de réceptivité. Une autre caractéristique du professeur Ageron. Elle a trait à son autonomie vis-à-vis de toute école idéologique. Cela ne veut pas dire qu'il défend aux autres le droit d'appartenir à un courant idéologique. II vous juge uniquement à l'aune de votre travail et de vos efforts qu'il respecte et apprécie en tant que spécialiste, sans tenir compte de l'appartenance idéologique de la croyance religieuse. C'est une particularité qui faisait défaut chez certains de ses collègues français qui mettent au premier plan d'autres critères d'attribution des diplômes. Je ne veux pas terminer mon propos sur le professeur Ageron sans affirmer son amour pour l'Algérie, sa passion pour les étudiants, notamment ceux qui sollicitent sa direction et ses orientations scientifiques, son empressement à fournir toutes les facilités d'ordre scientifique ou administratif. II suffit d'une recommandation de sa part de citer son nom, pour que les portes s'ouvrent en guise de reconnaissance de sa compétence universitaire. Comment ne pouvait-il pas se lier avec les Algériens quand toutes ses études convergent vers eux et leur pays. II connaît leurs habitudes, leurs coutumes, leur psychologie peut-être mieux qu'eux. Même leurs aspirations à travers l'étude de leur passé et de leur présent. II suit régulièrement les informations qui lui parviennent d'Algérie, son état, par l'intermédiaire de la presse et, en particulier, le journal El Watan. II n'a donc pas rompu les liens qui l'unissent à notre pays en tant que chercheur. II aime les bons et les mauvais souvenirs de l'Algérie, et surtout ceux qui ont laissé des traces et qui ont une relation avec des comportement raciaux ; les attitudes de ségrégation comme ceux qui l'ont marqué en 1945 dans le cadre de son service militaire. II a formé un pathos à cause es «des pieds-noirs» qui ont fait preuve de rudesse à son égard, car il était respectueux d'une femme algérienne voilée à qui il a cédé son siège dans un autobus. IIs lui ont reproché cette attitude «contraire» aux us et coutumes chez la minorité européenne. II était, à leurs yeux, un petit canard sans expérience. II m'interrogea sur la signification du terme «pathos» avec inquiétude et préoccupation, même s'il riait. Je fus surpris par la question et avouai mon ignorance. II me donna le sens de ce mot avec force détails. Encore une fois, je ne veux pas clôturer mon propos sans remercier son épouse qui m'informa de sa disparition par écrit. Je lui adresse mes condoléances les plus attristées et l'incite à faire preuve de patience. Je n'oublie pas son accueil chaleureux à chacune de mes visites chez eux en leur domicile, sa courtoisie et ses délicieuses réminiscences ainsi que les souvenirs algériens du temps où elle était enseignante de français au lycée (Descartes ?). Des élèves continuent encore à évoquer Suzanne Ageron comme la moudjahida et avocate, membre du Conseil de la nation actuellement, Mme Z'hor Drif, épouse du défunt Rabah Bitat. Ainsi fut Charles Robert Ageron à travers ces quelques lignes. Je conclus en m'inspirant d'un mot de Gilbert Meynier, professeur émérite d'histoire à l'Université de Nancy II dans l'oraison funèbre qu'il prononça à la mémoire de notre maître disparu, publiée dans les quotidiens El Watan et L'Humanité. «L'écriture de l'histoire continuera sans lui ; mais grâce à lui, elle se poursuivra sans relâche.»