Regue Benamar, directeur régional des Douanes d'Alger-ouest, tire la sonnette d'alarme sur un phénomène « très dangereux » qui prive le pays d'une importante manne financière. Il s'agit de « la majoration de valeur » pratiquée par les sociétés pour transférer la devise à l'étranger. Les services des Douanes viennent de déposer plainte contre des personnes ayant procédé à des transferts de devises vers l'Espagne sans passer par le canal bancaire. Comment expliquer que de telles sommes puissent échapper à la vigilance des services des douanes ? D'abord, il est important de rappeler que la loi et la réglementation relatives au contrôle des mouvements de capitaux de et vers l'Algérie sont très claires. Les voyageurs peuvent avoir sur eux une somme égale ou inférieure à 7500 euros, en la justifiant par un avis de débit délivré par la banque. Au-delà de ce montant, les fonds doivent passer par le canal bancaire. La violation de ces dispositions entraîne une poursuite judiciaire, la confiscation de la somme non déclarée et une pénalité d'un montant égal à deux, allant jusqu'à dix fois la valeur totale. Maintenant, dans la pratique, nous avons de tout temps arrêté des personnes qui ne déclarent pas l'argent qu'elles transportent. En 2007, nous avons saisi 2 millions d'euros, 1,4 million d'euros en 2008, et pour l'année en cours 700 000 euros. Contrôler 2,4 millions de voyageurs et au moins 10 millions de bagages par an, c'est utopique. Le scanner décèle uniquement la drogue, les produits pyrotechniques et le métal. Il ne peut détecter les billets de banque ; alors nous agissons en ciblant des voyageurs sur renseignements. Une fois, nous avions reçu une information sur un Algérien qui s'apprêtait à faire sortir 200 000 euros. Nous l'avions interpellé et fouillé, mais nous n'avions rien trouvé sur lui, alors que l'information était sûre. Lorsque nous avions déchiré ses baskets, il y avait dans la semelle une somme de 10 000 euros. Entre-temps, son seul bagage était parti en direction de la France. Nous avions alerté les services des Douanes, qui l'ont ouvert et n'ont trouvé qu'un jean, un pull et une trousse de toilette. Ils l'ont renvoyé sur Alger et nos douaniers ont trouvé le reste de la somme dissimulé dans le deuxième fond du cabas. Certaines personnes cachent les billets sur leur corps à des endroits auxquels il est impossible de penser. Néanmoins, même si des personnes arrivent à faire sortir des sommes importantes de devises, la balle n'est pas perdue. Le contrôle a posteriori et la coopération douanière nous permettent de rattraper les indélicats, même des années après, surtout s'il s'agit de transfert lié au blanchiment d'argent… Pensez-vous que c'est le cas ? Pour certains, peut-être, mais ce que je peux vous dire, c'est que ceux qui ont été présentés sur la liste des douanes espagnoles représentent un menu fretin par rapport à ceux qui ont mis l'argent exporté illégalement dans l'économie espagnole. A ce titre, l'exemple de l'importation des produits pyrotechniques de l'Asie est révélateur. En effet, comment expliquer que des produits dangereux puissent être embarqués sur un bateau, si l'armateur et le port d'embarquement ne sont pas complices ? Les cargaisons arrivent en Algérie avec le consentement de nos partenaires économiques. Vous savez que le quart des produits subventionnés par l'Etat pour aider les Algériens fait vivre les peuples des pays riverains. Et que recevons-nous en échange ? De la drogue et des produits contrefaits... Mais il n'y a pas que les Algériens qui font sortir des devises illégalement ? Effectivement, mais moins mainenant, du moins pour ce qui est d'Alger. Avant, nous avions remarqué que de plus en plus d'étrangers déclaraient des sommes importantes en devises à leur entrée en Algérie. Quelque temps après, ils retournaient chez eux en rapatriant les mêmes sommes. Nous avons décidé d'instaurer une mesure qui oblige les voyageurs à montrer le montant déclaré après la signature de la déclaration. Il s'est avéré que la majorité n'avait pas la somme. Ce qui veut dire que ces personnes étaient chargées de couvrir des opérations d'exportation de devises. Une dizaine d'étrangers ont été d'ailleurs présentés à la justice et depuis, le phénomène a sensiblement diminué. Nous sommes en train de chercher les moyens les plus efficaces pour contrecarrer « ces passeurs », qu'ils soient algériens ou étrangers, pour endiguer définitivement ce fléau. Nos éléments vont être dotés prochainement de moyens techniques et scientifiques pour détecter les billets au niveau des frontières. En attendant, nous avons décidé d'opérer des changements ou permutations du personnel dans les ports et aéroports qui ont plus de 5 ans dans le poste. A Alger, ce mouvement de changement de poste a touché 125 éléments, en plus des 150 autres affectés ailleurs. Ces « déplacements » ont pour but d'éviter que des agents indélicats puissent assurer une quelconque complicité aux trafiquants. Cette exportation peut-elle se faire également par le canal bancaire ? Oui. Il s'agit d'opérations de fuite de capitaux pratiquées par des sociétés à travers la majoration des valeurs. Pour nous, c'est une pratique répandue qui nuit dangereusement au Trésor public parce qu'il s'agit de l'argent du pétrole. Vous savez que le un tiers du montant des 40 milliards de dollars (soit 10 milliards de dollars) consacré à l'importation de biens d'équipement et de produits de consommation part dans les comptes des sociétés ouverts à l'étranger, grâce à la majoration des valeurs des produits importés. Le phénomène de la minoration des valeurs est moins grave que celui de la majoration, parce que les auteurs veulent éviter de payer les impôts. Mais ceux qui majorent les prix, détournent l'argent du pétrole. C'est un appel que nous lançons pour conjuguer les efforts et préserver la manne pétrolière du pays.