Nous voulons, par cette contribution, livrer un éclairage en direction du corps médical, de l'opinion publique, des pouvoirs publics, tout particulièrement la justice, d'autant que la condamnation n'est pas définitive, afin de clarifier, un tant soit peu, ces concepts, mais surtout des liaisons dangereuses que font certains médecins entre les «thérapies traditionnelles» et l'exercice de la médecine. Sans nul doute, certaines pratiques sociales tirent leurs sources et leurs référants dans la nature de la société dans laquelle elles naissent et se développent jusqu'à devenir une réalité sociologique bien ancrée dans les esprits et les traditions. II en est ainsi de la pratique de la «rokia», de la «hidjama». Du point de vue culturel, ces pratiques sont consubstantielles à la société algérienne dans son soubassement avec l'Islam. Sans porter de jugement ni nous prononcer, car cela n'est pas dans nos prérogatives en tant qu'Ordre des médecins sur ses vertus, réelles ou supposées, il est néanmoins utile de rappeler que la «rokia» légale ou «char'iya» est réputée être une thérapie visant à guérir des souffrances de l'âme ou du corps par la lecture des versets du Saint Coran. Elle nécessite, pour mériter le qualificatif de «char'iya», un «raqui» aux qualités morales irréprochables et aux connaissances, voire une érudition indiscutable dans les sciences du Coran, du hadith et de la sunna. II est, par ailleurs, admis par ceux qui la pratiquent que ses effets s'exercent non par l'acte lui-même de la «rokia», mais à travers la volonté d'Allah. Alors que cette pratique, tout comme celle de la «hidjama», était plutôt rurale et le fait de «raqui» ou «hidjamiste», se recrutant parmi les hommes du culte, mais aussi auprès de citoyens lambda, qu'il soit coiffeur, barbier, camelot, guérisseur et autres charlatan de tout bord et de tout genre, ayant des connaissances plutôt rudimentaires, voire quasi nulles dans les sciences islamiques. Nous assistons, depuis quelques années, à un double phénomène d'urbanisation de ces pratiques avec des «raquis» et «hidjamistes» dans les grandes villes, parfois dans la rue, avec téléphone, fax, adresse mail et, plus grave, de «médicalisation» de ces pratiques impliquant des médecins proposant à leurs patients de telles thérapies, alors que le corps médical s'en était tenu à l'écart jusque-là. Cette intrusion d'une pratique, à fondement religieux dans un domaine scientifique, interpelle les pouvoirs publics, ministères de la Santé, des Affaires religieuses, de l'Intérieur, de la Justice, l'Ordre des médecins et la société. Elle est, le moins qu'on puisse dire, antiréglementaire et ethiquement condamnable. Le médecin, en vertu de son diplôme, dispose d'une attribution générale ou omnivalence ; c'est-à-dire qu'il peut accomplir tout acte médical à condition qu'il soit conforme à la réglementation, à l'éthique et à la déontologie médicale. Pour autant, la «rokia» et la «hidjama» sont-elles des actes médicaux ? Qu'est-ce que l'acte médical ? En quoi sont-elles antiréglementaires et non conformes à l'éthique et à la déontologie médicale ? Les pratiques de la «rokia» et de la «hidjama» ne sont pas des actes médicaux. Bien qu'il n'existe pas de définition légale de l'acte médical, sa définition ne pourrait être que celle qui définit l'exercice de la médecine, puisque l'un est consubstantiel de l'autre. La «rokia» ou la «hidjama» ne sont ni enseignées dans le cursus des études médicales ni pratiquées dans les services publics de la santé de notre pays. La nomenclature générale des actes médicaux des médecins, qui est un répertoire non exhaustif des actes professionnels à but diagnostic ou thérapeutique, ne fait nullement mention de ces actes. Les actes de thérapie à soubassement religieux ne sont pas, stricto senso, des actes médicaux, quand bien même ils seraient pratiqués par un médecin ; si tel était le cas, ils devraient exercer leurs vertus sur toute personne, indifféremment de son soubassement culturel, religieux et civilisationnel, comme le fait un comprimé d'aspirine sur toute fièvre, en toute circonstance et en tout lieu. La pratique de la «rokia» et de la «hidjama» dans un cabinet médical n'est pas réglementaire. Il y a lieu de marteler que du point de vue réglementaire, l'autorité officielle compétente délivre au médecin une autorisation d'ouverture d'un cabinet médical pour un exercice exclusif d'actes médicaux, de diagnostic et de thérapeutique. Du point de vue réglementaire, un médecin spécialiste doit exercer exclusivement sa spécialité et exclure de sa pratique régulière l'exercice des autres spécialités et la médecine générale. Comment pourrait-il en être autrement de l'exercice médical et de la pratique de ces «thérapies» non médicales ? Le médecin doit faire un choix entre la blouse blanche et l'habit d'un taleb. Ces pratiques existent par le vide que laisse la réglementation de l'exercice de la médecine. Malgré le nombre en augmentation constante de ces situations et bien que portées à la connaissance de l'opinion publique, il y a lieu de regretter l'absence de réactions des services du ministère de la Santé. Il est urgent de réglementer, de façon plus précise, les contours et les limites de l'exercice médical dans un cabinet privé afin d'imposer, sous peine de sanctions sévères et dissuasives, l'obligation d'un exercice exclusif de la médecine. La pratique de la «rokia» et de la «hidjama» par un médecin dans un cabinet médical n'est ni éthique ni déontologique. L'article 2 du décret 92/276 du 6 juillet 1992 portant code de déontologie médicale (CDM) énonce expressément que «les dispositions de ce dernier s'imposent à tout médecin autorisé à exercer la profession dans les conditions prévues par la législation et la réglementation en vigueur». L'exercice médical et la pratique de thérapies traditionnelles par un médecin dans un cabinet dédié pour un exercice exclusif de la médecine sont une infraction à cet article. Dans le domaine propre de l'exercice médical, l'article 16 du CDM énonce que «le médecin ne doit pas entreprendre ou poursuivre des soins ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses compétences et ses possibilités». Comment en serait-il autrement avec circonstances aggravantes pour un médecin s'aventurant dans une pratique où son diplôme de médecin ne lui confère aucune compétence. L'incompétence avérée de la plupart, voire de la quasi-totalité d'entre eux dans le domaine des sciences islamiques, les met en situation de pratique de charlatanisme. Toute pratique de charlatanisme, qui est le fait de proposer à un malade comme salutaire un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé, est interdite à tout médecin (art 31 du CDM). Le médecin ne doit pas profiter de son statut dans la société, du respect, de la considération que lui vouent ses patients pour abuser de leur confiance et de leur crédulité. «Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.» Le médecin ne doit pas par cupidité proposer à ses patients autre chose qu'un acte médical, car la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. (art 20 du CDM) L'Ordre des médecins doit assumer sa mission qui est celle de veiller au respect par tous les médecins des règles de déontologie médicale. Il ne doit pas hésiter, si nécessaire, à prendre les sanctions en son pouvoir (art 217 du CDM). Il apparaît clairement que la pratique de la «rokia» tout comme la «hidjama» n'est ni un acte médical, ni réglementaire, ni éthique et ni déontologique. L'exercice concomitant par un médecin de la médecine est incompatible avec celui des thérapies de médecine traditionnelle. Le médecin ne doit pas proposer aux patients, parallèlement à son activité officielle, d'autres activités classées dans le chapitre de médecine traditionnelle. Cette nouvelle situation, que la communauté médicale dans son écrasante majorité réprouve, est à endiguer dans les meilleurs délais ; elle interpelle de façon immédiate les pouvoirs publics compétents, tout particulièrement les ministères de la Santé et de la Justice ainsi que l'Ordre des médecins. De par sa nature consubstantielle à notre société, elle interpelle aussi tout l'Etat dans ses différents démembrements et la société, afin de résorber les principaux facteurs qui participent à sa genèse : analphabétisme, sous-médicalisation, absence d'éducation sanitaire, chômage, précarité économique, vide juridique.