L'Afrique de Abdourahmane Waberi est différente. Elle est riche et prospère. Les autoroutes vont de Dakar à Djibouti, et de Tanger au Cap. La poste fédérale achemine le courrier par voitures électriques. Aux Etats-Unis d'Afrique, dernier roman de l'écrivain djiboutien, qui vient d'être réédité par les éditions Chihab dans la collection «les littératures voisines», permet de rêver et de s'amuser. «J'ai inversé les choses», a expliqué, mardi soir au Centre culturel français (CCF) à Alger, le romancier lors d'une conférence-débat. Dans ce nouveau 0monde, les harragas sont européens venant s'échouer «sur les plages de Djerba ou dans la baie bleu cobalt d'Alger». «Ces pauvres diables sont en quête de pain, de lait, de riz ou de la farine distribués par les organisations caritatives afghanes, haïtiennes, laotiennes ou sahéliennes», écrit-il. «Je me suis dit que la Méditerranée pouvait être traversée à l'envers», a-t-il noté. Ainsi, Yacouba, «né dans une insalubre favela des environs de Zurich», vient vivre à Asmara, la capitale des Etats-Unis d'Afrique. Mais pourquoi Asmara, l'actuelle capitale de l'Erythrée ? «Par provocation, j'ai choisi cette ville parce qu'elle est moins connue que Addis Abeba et par parallélisme aux USA. Le centre historique des Etat-Unis est l'Est, entre Boston et New York. Asmara, à l'allure à peu près italienne, n'est pas une ville historique», a-t-dit, ajoutant n'avoir jamais visité cette cité. Et, il ecrit : «Un professeur de la Kenyatta School of European and American Studies, éminent spécialiste de l'africanisation, le concept en vogue dans nos universités qui donnent le "la" à la planète entière, soutient que les Etats-Unis d'Afrique ne peuvent plus accueillir toute la misère de la Terre». Manière à lui de se moquer de cette Europe qui aujourd'hui fortifie ses murs contre «l'invasion» des migrants et des sans-papiers. «Les nouveaux migrants propagent leur natalité galopante, leur suie millénaire, leur manque d'ambitions, leurs religions rétrogrades(…) en un mot, ils introduisent le tiers-monde directement dans l'anus des Etats-Unis d'Afrique», se plaît-il à noter. La presse parle dans ce monde-là de «péril blanc» : «White Trash, back home !», crie le Lagos Herald. A sa manière, Abdourahmane Waberi ridiculise la théorie contestable de l'Américain Samuel Huntington sur «le choc des civilisations» où il est question de périls «vert et jaune». Le roman, qui emprunte aussi à l'essai, se veut politique et polémique, «sérieux et léger». «J'ai travaillé sur le négatif», dit-il, se référant à une technique des photographes. Il y a également de la musique avec cet hommage appuyé au King du Reggae. «Bob Marley fait partie de la culture populaire africaine. Cet artiste est un point commun entre un Algérien et un Malawite. Je suis devenu professeur d'anglais en écoutant Bob Marley», a-t-il confié. A travers des noms de rues, de lieux, de bâtisses, le romancier a établi «une cartographie» des cultures du Continent. Le long des pages, il cite Abebe-Bikila, le coureur éthiopien, Habib Bourguiba, l'ancien président tunisien, Chéri Samba, le peintre congolais, Farid Belkahia, plasticien marocain, Nelson Mandela, l'ancien chef d'Etat sud-africain, Kateb Yacine, le romancier algérien et Kankan Moussa, roi malien du Moyen-Âge. A travers le personnage de Malaïka la Normande, prénom qui signifie «anges» en arabe, il immortalise Myriam Makeba dont l'une des plus célèbres chansons fut Malaïka justement. Le texte n'est pas construit d'un seul bloc. «Je ne voulais pas rester dans la même tonalité. J'utilise toutes les formes d'écriture. La linéarité m'embête. Le roman balzacien est dépassé», a précisé l'auteur de Balbala. Yasmine Belkacem, des éditions Chihab, qui a animé le débat avec Rachid Mokhtari, critique littéraire, a estimé que Aux Etats-Unis d'Afrique» est «un récit de voyage jubilatoire accompagné d'une musique en mode mineur». Abdourahmane Waberi est signataire du Manifeste des 44 écrivains plaidant pour une ‘‘littérature-monde'' en français». Manière de sortir de l'habit collant et étroit de «la francophonie». Ce Manifeste, signé entre autres par Boualem Sansal, Amin Maalouf, JMG Le Clézio (Nobel 2008), Michel Le Bris et Alain Mabanckou, a été qualifié comme «une attaque» contre la Francophonie. Le romancier djiboutien dit avoir «le complexe de Dib», du nom de l'écrivain algérien. «Je suis tombé dans la littérature algérienne dès mon enfance», a-t-il dit, citant Mouloud Mameri, Assia Djebbar, Rachid Boudjedra et Amara Lakhous. Il compare Chawki Amari à Kafka à Alger. «Chaque deux phrases de ses textes peuvent donner lieu à un traité de sociologie», a-t-il appuyé, avant d'ajouter plus loin. Il se dit fier que l'artiste-peintre algérien Rachid Koraïchi illustre un extrait d'une lettre, «retrouvée» par la police maritime dans la poche d'un candidat à l'exil gisant sur la plage de Port Soudan, passage du roman Aux Etats-Unis d'Afrique. Interrogé sur le drame de Ghaza, il a estimé qu'Israël est un Etat colonialiste. «Ma compassion va à la population de Ghaza. Mais, je n'ai pas assez de muscles pour arrêter les chars. Je sais qu'il y a des écrivains israéliens qui sont contre cette guerre. Il faut les écouter», a-t-il souligné. Abdourahmane Waberi, 43 ans, est fier de dire qu'il est né le même jour, 20 juillet, que Frantz Fanon. Il est l'auteur de plusieurs romans, récits et poèmes dont Les Nomades, mes frères vont boire à la Grande Ourse et Rift, routes, rails. Depuis 2007, il enseigne à Boston (Etats-Unis). Il visite l'Algérie pour la deuxième fois. – Aux Etats-Unis d'Afrique A. Waberi : Ed. Chihab 2009. 199 pages. 450 DA