Les Algérois avaient pris l'habitude de faire leurs achats dans les banlieues. C'était sans compter sur le retour de Bab El Oued, qui avec des marges très serrées, s'est rappropriée sa clientèle. Imbattable. 9h du matin. La mer est toute proche et une quiétude iodée flotte encore dans ce quartier populaire. Café, thé, jus de citron, à cette heure-ci, on a du mal à croire que Bab El Oued est un quartier surpeuplé. Mais ça va très vite, quelques minutes de temps mort et les premiers camions débarquent leurs fruits et légumes, les premiers prix tombent. Le kilo de cerise est à 220 DA, la pêche à 60, la sardine est à 100 DA, les escargots à 120 DA la grosse douzaine. Au marché Nelson ou aux Trois Horloges, les marges se serrent, comme les vendeurs et les clients, tous dans le même sachet. Les bouchers démarrent leur journée et affichent les prix directement sur leurs viandes. Le mouton est à 600 DA, les côtes de veau 499 DA. 10h. Les marchés spécialisés dans l'alimentation sont déjà pleins tandis que les autres vendeurs s'installent dans toutes les ruelles. Des baskets chics, fausses Diesel à 600 DA, le khimar est à 100 DA tandis que le string est à 200, on fait comme on veut. Il est déjà midi, il faut manger, et là aussi, Bab El Oued est imbattable. Le « frites-omelette », Dow Jones du fast-food et plat national est à 60 DA, imbattable. La tranche de pizza est à 20 DA, le plat de sardines à 100 DA et celui de rougets ou merlans à 200, les mhadjebs se font sur place, 20 DA, et se vendent comme des petits pains. Même le chawarma est moins cher, 75, voire 70 DA dans des échoppes moins chics. Il est déjà 14h et l'informel a envahi le quartier, pas une ruelle sans tables, présentoirs, des vendeurs qui vendent de tout, à même le sol, se disputent les places. C'est le moment d'acheter autre chose, sans aller jusqu'au Hamiz ou au marché Dubaï de Bab Ezzouar. Un four électrique à 3500 DA, une petite machine à laver à 7000. De superbes perruches bleues ou vertes, vivantes, sont cédées à 850 DA. La fièvre acheteuse s'est emparée tout le monde, un jeune homme vend des films en DVD à 50 DA tout en criant « Tahia el Djazaïr ». Tout le monde vend d'ailleurs quelque chose et tout le monde achète. Une rue s'est spécialisée dans le high tech ; par terre, sur le trottoir, un ordinateur portable Sony Vaio, un caméscope dernière génération, avec graveur DVD incorporé. A côté, une Mazda rouillée vend des pommes de terre, 25 DA le kilo, quelques mètres plus loin, d'énormes marteau-piqueurs, neufs, sont en vente directe au consommateur. Un vendeur de serviettes de plages a tout vendu, il est parti s'acheter un maillot chic et un parasol avec son bénéfice. La journée est finie, chacun remballe sa marchandise et tout le monde est épuisé. Aujourd'hui encore, on a joué très serré et attiré beaucoup de monde. Même les mendiants, qui sont nombreux à occuper des emplacements stratégiques, serrent leurs marges. 5 ou 10 DA suffisent, eux aussi jouent aussi sur le nombre.