L'amnistie générale est dans l'air du temps. Le temps d'une campagne électorale où l'opinion est préparée à assimiler sans rejet l'idée de l'amnistie. De toutes les amnisties. La récente décision du président candidat d'effacer les dettes de plus de 120 000 agriculteurs ne procède-t-elle pas de cette optique ? En tout état de cause, elle a fait de l'effet. Un effet d'entraînement chez de nombreux autres corps de métier qui revendiquent eux aussi une «part d'amnistie». Au point où le très sérieux Forum des chefs d'entreprise fait sienne et endosse la revendication de nombreux opérateurs économiques adhérents d'une «amnistie fiscale». Commerçants, entrepreneurs, chauffeurs de taxi, bouchers… et même journalistes, tous prétendent à leur «dose» respective d'amnistie personnalisée. Le concept qui souffre, par ces temps électoraux, l'orchestration de sa propre banalisation, est pourtant plus dangeureux. En témoignent ces propos du président Bouteflika tenus samedi à Tlemcen. Prudent, le candidat Bouteflika se garde bien de se hasarder sur ce terrain miné, mais préfère lancer un ballon-sonde. «Dans le troisième mandat, la réconciliation nationale sera encore plus vaste, mais les intéressés (repentis ou terroristes encore en activité, ndlr) doivent être patients. Déjà que j'ai eu du mal à convaincre le peuple de pardonner… et puis la réconciliation sera suivie d'aides (lire El Watan du 22 mars 2009).» «Réconciliation plus vaste», serait-ce le fin mot de la campagne 2009 ? Préfigure-t-il de la transformation prochaine du projet réconciliateur en projet amnistiant ? Possible. L'homme a déjà fait la preuve de ses talents d'adaptateur de projets réconciliateurs. A son arrivée à la Présidence en 1999, il s'attellera vite à transformer la loi sur le repentir, la Rahma (clémence) initiée par le président Zeroual, son prédécesseur, en loi sur le rétablissement de la concorde civile. En 2000, il promulgue le premier décret portant grâce amnistiante pour les éléments de l'Armée islamique du salut (AIS). Les conditions de l'accord signé avec l'AIS demeurent à ce jour un mystère. 6000 terroristes auraient rendu les armes à l'issue de cette trêve dite «unilatérale». Pour son deuxième mandat, en septembre 2005, Bouteflika passe un cran au-dessus et fait adopter par référendum la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Plus de 2000 terroristes détenus ont été automatiquement élargis. Le projet de charte pour la réconciliation nationale initialement limité à six mois, qui devait prendre fin en août 2006, est reconduit indéfiniment et les «portes du repentir» laissées entrouvertes. «Nous voulons aller au bout de ce projet. A l'amnistie générale», déclarait samedi Djahid Younsi. Le patron du mouvement El Islah, le seul candidat à porter sans complexe le projet islamiste lors de cette campagne, prêche sans détour et avec insistance l'amnistie. Tout comme l'avaient fait avant lui les leaders de la mouvance islamiste, les cheikhs Abdellah Djaballah, Mahfoud Nahnah, Boudjerra Soltani, etc. «La réconciliation nationale n'a pas encore donné les résultats escomptés par le peuple algérien», a estimé le candidat à la présidentielle lors d'un meeting tenu lundi dernier à M'sila. «Nous pourrions aller jusqu'à l'amnistie générale si cela est nécessaire pour mettre un terme à l'effusion de sang des Algériens.» «Cette question, s'engage-t-il, sera soumise aux Algériens par voie référendaire.»