Amoureux des textes ensoleillés et des musiques méditerranéennes, ils savaient mieux que tout le monde regarder ailleurs sans éprouver le besoin de quitter leur humus social. Chantres d'une seule et unique muse, Blaoui Houari et Ahmed Wahbi (de son vrai nom Diche Ahmed Tidjani) ne peuvent être lus séparément même si les deux artistes possèdent individuellement un répertoire de musiques et de chants admirables. Les deux représentants de la chanson oranaise de l'après-Seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui constituent indéniablement les deux faces du fabuleux legs poétique et musical des chioukh de la région ouest du pays. Conjuguant racines et talent, leur contribution musicale et poétique traverse la vie comme on traverse l'éternité. La teneur musicale et poétique de Zend'ha ichali et Bakhta ne pouvait leur échapper. Imprégnés de terroir populaire jusqu'à la moelle, ils ont réussi le pari de remorquer leur apport culturel au fonds universel commun en compagnie de Abderahmane Aziz, Rouiched, Keltoum, Missoum, Mohamed Touri, Mahiedine Bachtarzi, El Hadi Rajab et de bien d'autres illustres artistes algériens avec lesquels « ils ont partagé le pain et le sel ». Ya del marsam et Touil regba sont d'abord lieu de mémoire communautaire et de tissage de sentiments nobles avant d'être cachet spécifique d'une portion du pays profond qu'on appelle l'Oranie par référence à la ville-phare, Oran, El Bahia de Lili Boniche et de Djelloul Bendaoud, de toutes les idoles musicales mondiales qui dans leurs tournées mondiales se faisaient une obligation de fouler les scènes oranaises. Nostalgie Avant d'être des chansons nostalgiques qui disent les douleurs des séparations, Bya dak el mour et Fet li fet sont expression réitérée d'un immense attachement à la tradition orale, celle-là même qui les a bercés, enfants, dans le mythique quartier de M'dina J'dida, là où se rencontraient précisément les chioukh de l'arrière-pays des pâtres et des poètes ambulants. Blaoui Houari était contemporain à Hachemi Ben Smir, Tino Rossi, Hajira Bali (femme de Abdelhalim Raïs), M'hamed Benzerga, Tayebi Tayeb, Ahmed Saber et cheikh El Jamoussi. Ils étaient familiers de Abdelkader El Khaldi, Maurice Médioni, El Anka et cheikh Hamada. Ils étaient proches de Youssef Wahby, de Charles Aznavour, complices de Mohamed Abdelwahab et de la diva Oum Kaltoum. On les écoute avec un plaisir à chaque fois réaffirmé, impérieux. Portées par de puissantes voix, H'mama et Lesnamia sont avant toute chose hymne à l'amour. L'amour dans ses dimensions métaphysiques et ses lectures profanes. L'amour dans ses parties visibles, ses parcelles d'intimité déclinées en clair-obscur et ses faces cachées. Nos deux authentiques marchands de l'espoir ont su mieux que tout le monde inscrire l'art de la chanson dans l'émancipation de leurs semblables. Pariant obstinément sur l'émancipation de leur peuple tout comme Khelifi Ahmed, Rahab Tahar ou Ourad Boumediène, les deux paroliers interprètes et compositeurs ont participé de manière active aussi bien au mouvement national (avant 1954) qu'après en continuant le combat (en tant que chefs d'orchestre après 1962) pour justement revaloriser encore et toujours le patrimoine auquel ils appartiennent. Envoûtement Exprimant une puissance d'envoûtement à chaque fois renouvelée des œuvres comme Ach bkali et Ouahran Ouahran, ils revivifient régulièrement la langue chantée. Ils lui insufflent un élan supplémentaire, des itinéraires linguistiques jusque-là peu explorés et une structure imaginaire capable d'enrichir grandement le patrimoine immatériel mondial. Ils ont su mieux que quiconque apprivoiser une langue, la rendre accessible, lui imprimer indéfiniment la chaleur humaine qui la caractérise. Blaoui et Wahbi savaient dire leurs textes, les textes des chioukh qu'ils n'ont jamais cessé de fréquenter. Sous leurs conseils, la gasba (flûte) était régulièrement conviée à faire cause commune avec le violon, la guitare, le luth ou encore l'accordéon. Convaincus qu'ils se devaient de toucher à tout pour prétendre à la consécration, les deux maîtres du cachet oranais étaient également à l'aise tant dans les styles haouzi, aroubi chaâbi que sahraoui. Leurs vibrations de voix sont aptes à saisir les multiples nuances qui savaient dire l'Algérie dans sa diversité. Ils lèguent, à eux deux, aux générations montantes plus de 1000 chansons et une immense chaîne de reconnaissance. Leur héritage musical est la preuve irréfutable de leur postérité.