Jeudi 16 juillet. Dernier jour de la campagne électorale. Dernière ligne droite avant le vote de samedi. A première vue, il est difficile de prédire le « choix » des Mauritaniens. Nouakchott se met entièrement à l'heure et aux couleurs de l'élection présidentielle. Les rues de la ville connaissent une effervescence qui n'a d'égale que la chaleur torride qui envahit le moindre coin de la capitale. Nouakchott (Mauritanie) : De notre envoyé spécial Des haut-parleurs placés, par-ci par-là, propagent la « bonne parole » des candidats, des jeunes et moins jeunes arpentent les artères de la ville, habillés en tenues frappées à l'effigie du candidat de leur « choix », des cortèges de voitures sillonnent les rues en klaxonnant et arborant posters et portraits de leur « futur probable » président. La musique fuse également des centaines de tentes érigées sur les principales avenues. Les neufs candidats en lice n'ont pas lésiné sur les moyens pour faire de grands shows électoraux. Comme dans le commerce, la compétition électorale s'avère, cette fois-ci, des plus rudes que la Mauritanie n'ait jamais connues de par son histoire jalonnée de coups et de contre-coups d'Etat. Contrairement aux précédentes, cette compétition électorale se joue non pas entre candidats, mais plutôt entre deux fronts nés du coup d'Etat du 6 août 2008 ayant renversé le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Le premier est le front des putschistes du 6 août 2008 mobilisés derrière leur candidat, le général Mohamed Ould Abdelaziz, qui a ôté en avril dernier son uniforme de militaire pour enfiler le costume du présidentiable. Le second est le front anti-putsch qui participe avec deux candidatures : d'un côté celle du FNDD (coalition hétéroclite de 14 partis) représentée par le candidat Messaoud Ould Boulkheir, président du parti centriste APP, porte-étendard des ex-Harratines et président de l'Assemblée nationale et de l'autre, la candidature de Ahmed Ould Daddah du RFD des forces progressistes, demi-frère de l'ancien président mauritanien Mokhtar Ould Daddah. Entre ces deux candidats, un pacte écrit a été signé : si l'un d'eux passe au second tour, l'autre le soutiendra. En plus de ces trois candidatures, il y a un autre postulant et pas des moindres. Il s'agit de Ely Ould Mohamed Vall, ancien président du Comité militaire pour la justice et la démocratie (CMJD, qui a eu à gérer la période de transition post-candidat du 3 août 2005 ayant déposé le président Sid Ahmed Ould Taya), qui a laissé bonne impression chez de larges pans de la société en remettant le pouvoir à un civil démocratiquement élu. Mohamed Vall joue le juste milieu. Il n'est ni avec les putschistes ni avec les anti-putsch. Il se présente comme le candidat de l'« espoir », le candidat qui ramènera la sérénité dans le pays. Sa campagne électorale, il l'a axée sur la période de transition qu'il a menée sans faille. Ses partisans vantent son bilan à la tête de l'Etat de 2005 à 2007 et le présentent comme « l'homme de la situation » qui peut faire revenir la stabilité au pays. Un saut dans l'inconnu « Si le général Aziz gagne, les partisans de Daddah et de Boulkheir vont investir la rue. Et si Daddah ou Boulkheir passent, il y aura un autre coup d'Etat. Dans les deux cas, le pays ira vers une guerre civile. Le seul homme qui est au-dessus de la mêlée, c'est Ely. Il est compétent, honnête et dispose d'un projet de société pour le pays. Il n'est aucunement partie prenante de la crise qui a éclaté au lendemain du dernier coup d'Etat de août 2008 », prédit Mohamed Fateh, sympathisant d'Ely. D'autres supporters abondent dans le même sens. « C'est le seul parmi les neufs candidats qui est capable de ramener définitivement la stabilité et de mettre un terme à l'affrontement de la classe politique », tonne Hassan Ould Mohamed Vall Ould Ismaïl, 64 ans, chauffeur. L'inquiétude des partisans d'Ely est partagée par nombre de Mauritaniens qui disent n'avoir jamais vu autant d'animosité entre les partisans des candidats que cette fois-ci. « La campagne a été beaucoup plus marquée par des attaques entre candidats que par des discours programmes. Les partisans des différents candidats se trouvent ainsi chauffés à blanc et prêts à allumer le feu à la moindre étincelle », explique un éditorialiste travaillant pour un journal mauritanien. La campagne électorale a drainé beaucoup de monde. Les derniers meetings des candidats à Nouakchott ont connu une participation record. Des milliers de personnes se sont déplacées pour y assister. De grands moyens ont été employés pour en faire des spectacles grandioses. Cette mobilisation citoyenne en dit long sur l'enjeu de ce scrutin duquel dépend l'avenir de la Mauritanie. Les partisans du général Ould Abdelaziz comme ceux d'Ahmed Ould Daddah sont les plus offensifs et engagés dans la compétition. Pour eux, c'est presque une question de vie ou de mort. Ils l'affichent clairement : « La place de l'institution militaire est dans la caserne. Elle ne doit plus s'immiscer dans les affaires civiles. Elle ne doit pas participer à des élections. Il y va de l'intérêt de notre pays », s'époumone Saâd Bouh Ould Ahmed, 23 ans, étudiant à l'université de Nouakchott, rencontré au dernier meeting de son « idole ». Pour lui, Ahmed Ould Daddah, s'il passe, est en mesure de renvoyer les militaires dans leur caserne. « Son long parcours de militant pour la démocratie plaide en sa faveur », ajoute-t-il. Maryam Ould Ment Brahim, professeur de sciences, met en avant la « longue résistance » de son « candidat » Ould Daddah : « On l'a dépourvu de sa victoire en 1992, mais on ne le fera pas cette fois-ci, car tout le peuple est avec lui. » Une autre femme, en melahfa traditionnelle, lance ceci en hassaniya (dialecte local) : « Ecrivez que Aziz comme président, c'est un suicide pour la Mauritanie. Il a fait deux coups d'Etat et il est prêt à en faire d'autres. » Comme elle, d'autres militants considèrent que l'élection de « Aziz » conduira inéluctablement la Mauritanie vers une guerre civile. C'est le cas de Mohamed Fadel, 32 ans, qui estime que « le général Abdelaziz, s'il est élu, va précipiter le pays dans un cycle de règlements de comptes aux conséquences incalculables ». Aziz, Chavez de Nouakchott La solution pour lui est entre les mains de Messaoud Ould Boulkheir « qui a milité pour l'abolition de l'esclavage et l'acceptation des différences ». Face à ces attaques répétées, les partisans du général Abdelaziz se montrent inébranlables. « Ce qu'il a accompli, durant les dix mois qu'il a passés au pouvoir, n'a pas été fait depuis l'indépendance. Il est le premier à se tourner vers les pauvres et à les aider », lâche Fetah Eddine, qui précise que « 95% des Mauritaniens sont pauvres ». Pour ce septuagénaire, « Aziz est la voie du salut pour la Mauritanie : Il va rétablir la classe moyenne et réduire les privilèges des riches qui détiennent l'essentiel des richesses du pays ». Comme lui, un autre Nouakchottis, Mohamed Ould Abdeldayam, vivant dans le bidonville Haï Sakan, estime que « la Mauritanie se portera mieux avec Aziz ». Epaules voûtées sous le poids des ans et du travail, ce sexagénaire affirme que « grâce à Aziz, les couches pauvres comme moi bénéficient de l'Etat. Il a distribué des produits de premières nécessité, des terrains, des maisons et de l'argent au profit des plus démunis ». Dès son arrivée au pouvoir par un coup d'Etat, le général s'est lancé dans un programme « de rectification » avec notamment la lutte contre la gabegie, corruption, détournement de biens publics et défense des institutions. Ainsi, dans les quartiers pauvres de Nouakchott, on ne jure que par son nom. Il est surnommé le « Chavez » de la Mauritanie. Mais cette grande mobilisation pour ce candidat, par lequel la crise est arrivée, sera-t-elle traduite par les urnes ? Difficile de parier tant la compétition est des plus serrées. « Dans une telle compétition, l'argent est un élément capital pour celui qui veut s'assurer la victoire. Et celui qui semble le mieux outillé sur ce plan est bien le général Ould Abdelziz », conjecture Yahya Ould Albar, politologue et anthropologue, enseignant à l'université de Nouakchott. Mais, affirme-t-il, le tour n'est pas joué : « Avec les fissures provoquées par la candidature de Ely dans le camp de Aziz, Daddah a une chance de passer au second tour, car son parti est populaire. Ainsi, il pourra créer la surprise, à condition qu'il soit soutenu par les autres formations de l'opposition. » Si le choix électoral des Mauritaniens diffère selon le statut et la situation socioéconomique de chacun, leur inquiétude est la même ; celle de voir leur pays sombrer à nouveau dans la violence. Les craintes de la fraude ont été exprimées par les candidats de l'opposition dont Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir qui mettent en garde le général. La présence de quelque 300 observateurs internationaux et la constitution d'un gouvernement d'union dont les principaux portefeuilles ministériels (ministère de l'Intérieur, de la Communication et des Finances) sont détenus par l'opposition, ne rassurent pas pour autant. Pour les Mauritaniens, le verdict des urnes montrera à coup sûr une voie à suivre. Dans le bon ou le mauvais sens.