« Ce soir, je suis avec mes amis, je suis invité chez eux, sahra... ! », a chanté Khaled, à l'endroit d'un public en or qui l'a accueilli magistralement dimanche soir, à l'esplanade de Riadh El Feth et ce, comme hôte de marque... déposée. Lui, la superstar, la légende, la gloire nationale et le king of raï. C'est un concert à marquer d'une pierre blanche dans les annales de la musique algérienne « live ». Un événement dépassant toutes les espérances ! Au vu du casting de rêve et de la constellation de stars s'étant relayées dans cet espace d'expression directe foncièrement panafricaine, musicalement parlant, tels Youssou N'dour, Salif Keïta, Mory Kanté, Ismaelo, Bilal, Manu Dibango ou encore Kassav, on croyait qu'après eux, il serait difficile de faire mieux en matière d'affluence. Que nenni ! Khaled a drainé un monde fou... de sa musique. Khaled a explosé l'audimat. Il a cassé la baraque ! Il a fait fort ! Il a fait mieux encore ! Il a battu le record d'audience ! Il a rempli le « stade » de Riadh El Feth ! Sold out (il a affiché complet). Des milliers de personnes à perte de vue. Cela nous rappelle le fameux concert de Hasni, au stade du 5 Juillet, en 1993. Un meeting « surpeuplé », digne d'un souverain du raï. C'est que ses « sujets » le lui ont bien rendu. Et puis, Khaled le vaut bien ! Le programme ne pouvait être que royal ! Et ce, all night long (toute la nuit) comme dirait Lionel Richie. Une sahra, une soirée à tout casser... encore une fois la baraque ! Une rave (rêve) party ! Aussi, Khaled se lâchera en toute Liberté (son nouvel album), mais pas provisoire. Devant cette foule des grands jours et plutôt des grandes nuits... blanches. Khaled se sentira pousser des... airs de l'amour pour son bon public et des racines. Ainsi, Khaled, compulsera-t-il l'album de sa vie : his...story (son histoire), filialement avec son fan-club grandeur nature. Au grand bonheur de ses admirateurs de la première heure... de gloire, Khaled amorcera un retour au raï ancien et premier, celui qui l'a nourri, sevré, porté et transporté. Le raï traditionnel acoustique, ici, electro en live. Khaled, la cinquantaine juvénile, un « cheikh » qui semble nous dire qu'il veut « retomber » en enfance. Un retour aux sources à destination d'Oran. La patrie, la place et la tête de pont du raï, celui de cheb Khaled. D'ailleurs, le son du nouvel opus n'est pas celui de Khaled mais de cheb Khaled. L'album aurait pu s'intituler cheb... Khaled, le « highlander », l'éternel jeune... premier du raï. L'accordéon en bandoulière, scintillant et frappé au nom de Khaled, affichant son sourire légendaire, grand et large comme ça – sa marque de fabrique – il donnera la chair de poule en entonnant un istikhbar choral long, puissant et émouvant comme à l'époque de El Marsam. La voix est toujours là, haute, altière et parfaitement intacte. Il a du coffre... fort, Khaled ! Aussitôt, il embrayera surYamina du maître du ch'ir el melhoun (poésie) Mostefa Benbrahim, déjà enregistré dans les années 1990 sous le label Disco Maghreb et enchaînera avec Liberté, la chanson-titre de cheikha Rimitti, El Marsam, un hit de 1981, issu du terroir, Bakhta du maître et prince des poètes du ch'ir el melhoun, Abdelkader El Khaldi (celui de Mascara, pas junior de Mostaganem), du wahrani copieux, Abdelkader Ya Boualem du trio 1,2, 3 Soleil formé par Khaled, Rachid Taha et Faudel, Raba Raba de Boutaïba Seghir alias Mohamed H'fif, pionnier du raï ou encore l'incontournable Trig Lycée (la route du lycée), sorti aux éditions Anwar en 1974, alors qu'il n'avait que 14 ans. Flash-back et nostalgique trompette « bellemouenne ». C'est que Khaled affiche, revendique et se revendique, clame et réclame son appartenance au raï des pionniers de cheikha Rimitti, Bouteldja Belkacem et Boutaïba Seghir, aux grands maîtres du wahrani Ahmed Wahby, Blaoui El Houari, Ourad Boumédiène, Benzerga, Ahmed Saber, aux chouyoukh de ch'îr el melhoun. La foule est chauffée et surchauffée à blanc. Khaled fait monter le mercure en passant à la vitesse supérieure. Melha (in l'album Kenza, produit par Steve Hillage), Sahra, Sheba immortalisée par son alter ego et comparse Safy Boutella, sur le mythique Kutché – mais l'auteur de Sheba est le regretté Ahmed Zergui, le raïman electro de Sidi Bel Abbès – N'ssi N'ssi, le truculent et « hardcore » Hada Raïkom – (où les filles se rebiffent et leurs liaisons dangereuses) appartenant à la pionnière du raï cheikha Rimitti – choisi à la carte par un admirateur parmi le public (c'est cela la générosité de Khaled). Subito presto, c'est la montée en puissance des décibels ! Une ambiance survoltée par Didi, le tube planétaire, Ouine El Harba Ouine, une cover (reprise) de Zwit Rwit en kabyle du grand Idir dont les paroles en arabe sont signées Mohamed Angar. Une K7 qui sera censurée en 1986 car réfractaire, rebelle, radicale et frontale pour le pouvoir de l'époque. Ambianceur très « show », Khaled encouragera les spectateurs du « stade » : Afouss Afouss, Achtah A Taoues ! La foule est en « délirium » ! Oueli Darek (Retourne chez toi, in Sahra, 1996) fut une destination rastafa... raï. Du reggae-raï ! Oran-Kingston. Un aller simple vers le fameux Tuff Gong Studio, l'antre du « greatest » Bob Marley. Un titre enregistré avec les I-Three, les choristes attitrées de Bob, Marcia Griffiths, Judy Mowatt et Rita Marley, alors sa femme. Le riddim (rythme en patois jamaïquain) du groupe de Khaled n'avait rien a envier aux autres groupes africains. Du très bon son roots ! (déclinaison spécifique reggae). Et puis, c'était tellement un bonheur qu'on était « Irie » (sentiment de bien être et de bienvenue en patois jamaïquain) ! En guise de bouquet final, Khaled interprètera Aïcha composée par Jean-Jacques Goldman, introduite par un long istikhbar poétique wahrani de la chanson Lahaoulouni de Bouteldja Belkacem. Un clin d'œil au cheikh d'El Hamri (quartier populaire d'Oran). A travers cette muse et cette musique, Khaled rend hommage aux femmes : « Sans elles, nous ne sommes rien. Vive les femmes algériennes, maghrébines et toutes les mères. Et puis, ma negrita (sa femme) aussi... ». Du coup, l'esplanade de Riadh El Feth est devenue un immense karaoke à ciel ouvert : « Comme si je n'existais pas... » Les paroles ne lui appartiennent plus. Le public numériquement en or... massif aura chanté, communié, vibré, bougé, raillé et dansé « kolé-séré » (comme aux Antilles) en chœur et cœur avec Khaled. Simply the best (simplement le meilleur), comme dirait Tina Turner.