La guerre des tarifs, qui fait rage entre les USA et la Chine, a été le focus principal de la rencontre entre Xi Jinping et Donal Trump lors du G20 à Buenos Aires en Argentine. Cette guerre commerciale touche les marchés traditionnels de l'économie, comme l'automobile ou l'acier. Elle touche aussi un secteur beaucoup plus névralgique et important pour le futur : celui de la technologie (réseaux informatiques, intelligence artificielle) et des semi-conducteurs. C'est bel et bien dans l'industrie des puces que le leadership industriel américain et les ambitions de la suprématie chinoise clachent le plus frontalement. La Silicon Valley tire son nom du silicone, l'un des plus importants éléments chimiques qui composent les puces électroniques. La région californienne était d'ailleurs fortement soutenue par le Pentagone, car une des premières applications des puces électroniques sortant de la Silicon Valley était le système de guidage des missiles nucléaires. Ces puces sont aujourd'hui la base de l'économie numérique et de la sécurité nationale. Les voitures sont devenues des ordinateurs roulants. Les banques sont des ordinateurs qui gèrent le flux d'argent, d'ailleurs, un directeur d'une grande banque européenne avait récemment dit : «Les banques aujourd'hui traitent plus de données que de cash.» Les armées aujourd'hui considèrent le cyber-domaine comme un terrain de guerre, tout comme la terre, la mer et le ciel. Les entreprises américaines et leurs alliés, comme la Corée du Sud et Taïwan, dominent les secteurs les plus avancés de l'industrie. La Chine, en revanche, reste dépendante du monde extérieur pour son approvisionnement en puces électroniques de qualité. D'ailleurs, elle dépense plus sur les importations de semi-conducteurs que sur l'importation du pétrole. La liste des 15 plus gros vendeurs de semi-conducteurs mondiaux ne contient pas une seule entreprise chinoise. Et la Chine compte bien agir. Bien avant que Donal Trump n'entame sa guerre des tarifs, la Chine a fait part de son intention de rattraper son retard. En 2014, Pékin a annoncé la création d'un fonds d'investissement d'un milliard de yuans (126 milliards d'euros) pour améliorer son industrie nationale. Elle a aussi créé le National Integrated Circuit Industry Investment Fund, un autre fonds d'investissement d'environ 17 milliards d'euros, censé soutenir l'industrie des semi-conducteurs. Ces derniers ont une place importante dans le plan de développement national «Made in China 2025», publié en 2015. La Chine veut multiplier son industrie nationale de fabrication de puces électroniques par 5, en passant de 57 milliards d'euros en 2016 à près de 270 milliards d'euros en 2030, avec un approvisionnement majoritairement national (aujourd'hui, le tiers seulement est d'origine national). Les ambitions de la Chine de créer une industrie de pointe ont inquiété Barack Obama et son administration, confrontés au cours de son dernier mandat, à une vague d'appels d'offres chinois pour des sociétés de semi-conducteurs. Ils ont traité les dossiers au cas par cas, par le biais du Cfius, un organisme de réglementation peu connu mais puissant du département du Trésor américain. Le Cfius examine les répercussions sur la sécurité nationale des investissements étrangers dans des entreprises ou des opérations américaines. Barack Obama a notamment empêché Intel de vendre certaines de ses puces les plus performantes à la Chine en 2015, et empêché l'acquisition du fabricant de puces allemand Aixtron par le fonds d'investissement Fujian en 2016, car l'expertise d'Aixtron dans le domaine de la technologie-clé pour la fabrication de semi-conducteurs avancés utilisés pour l'éclairage Led, les lasers et les cellules solaires a également des applications militaires que la Chine pouvait utiliser, et que les USA ne pouvaient mitiger. Deux semaines avant la fin de sa présidence, ses conseillers ont publié un rapport complet titré : «Assurer un leadership a long terme dans l'industrie des semi-conducteurs», qui suggère qu'au moins une partie de la technologie des semi-conducteurs devrait être traitée comme un secret d'Etat, car «…l'industrie des semi-conducteurs est critique aux systèmes de défense et à la puissance militaire américaine…» Le rapport recommande aussi de prendre des mesures contre les subventions chinoises et le pillage technologique. D'autres pays aussi s'inquiètent, notamment Taïwan et la Corée du Sud, qui ont des réglementations en place pour arrêter les achats d'entreprises de semi-conducteurs par les Chinois et le pillage de la propriété intellectuelle. L'administration Trump, qui s'est rendue compte du pouvoir que lui confère son avantage technologique sur la Chine, n'a fait qu'intensifier cette guerre. Le président Trump a bloqué l'offre de Broadcom, firme singapourienne, de prendre part dans Qualcomm, par peur de la concurrence chinoise. Il a aussi ordonné l'interdiction d'exporter des puces et des logiciels américains à ZTE, fournisseur chinois d'équipements de télécommunication, après que celui-ci a fourni du matériel à l'Iran. Le fabricant étant complètement dépendant de ses fournisseurs américains, il a été pris par surprise et totalement paralysé du jour au lendemain. La multinationale était quasiment au bord de la faillite en quelques jours. Ce n'est qu'après l'intervention personnelle de Xi Jinping que Donal Trump a décidé de reculer et de faire «une faveur personnelle». Le président Trump a aussi imposé des restrictions à l'exportation à Fujian Jinhua, une autre entreprise chinoise, accusée de voler des secrets industriels à Micron, un fabricant américain. La Maison-Blanche réfléchit à des interdictions plus larges sur les technologies émergentes. Après l'épisode de ZTE, la Chine est devenue plus agressive dans sa course pour devenir autosuffisante dans le domaine des semi-conducteurs. Ses géants de la technologie se sont tous mis à financer l'industrie : Alibaba, Baidu et Huawei. La Chine a aussi montré qu'elle peut répliquer. Au début de l'année, Qualcomm a abandonné son offre de rachat de XNP, une entreprise néerlandaise de fabrication de puces électroniques, après que les régulateurs chinois n'eurent pas rendu la réponse à temps. Les entreprises attendaient depuis près de deux ans que leur accord franchisse les obstacles réglementaires mondiaux. La prise de contrôle avait été approuvée dans huit autres juridictions, dont l'Union européenne et la Corée du Sud. La Chine était la seule résistance. Et la situation n'est pas sur le point de changer. Les Etats-Unis sont préoccupés par les conséquences sur leur sécurité nationale, de leur dépendance à l'égard des puces chinoises et de leur vulnérabilité au piratage chinois. Le cas de «The Big Hack», où des espions Chinois ont utilisé une minuscule puce pour infiltrer près de 30 entreprises américaines, dont Amazon et Apple, en est un exemple. Les prétentions de la Chine à être une superpuissance ne seront que des mots, tant que l'Amérique pourra attaquer et suffoquer ses entreprises à volonté. La Chine veut rattraper son retard et l'Amérique est déterminée à rester leader. La question difficile est de savoir jusqu'où l'Amérique est prête à aller dans cette guerre. Le courant protectionniste au sein de la Maison-Blanche veut sans doute déplacer la chaîne d'approvisionnement des semi-conducteurs aux USA. Ce n'est pas forcément possible. L'industrie des semi-conducteurs est l'incarnation même de la mondialisation. Une entreprise américaine a 16 000 fournisseurs, dont plus de la moitié à l'étranger. La Chine est un énorme marché pour de nombreuses entreprises comme Qualcomm, qui y réalise les deux tiers de ses ventes. Essayer de scinder l'industrie en deux ferait du tort aux producteurs et aux consommateurs américains. Et ce serait un acte carrément antagoniste, qui ne ferait aucune distinction entre concurrence déloyale et concurrence réelle. Aujourd'hui, l'Amérique a l'avantage sur la Chine dans la conception et la fabrication des puces haut de gamme. Avec cette guerre, les USA peuvent sans doute ralentir la Chine, mais les progrès seront difficiles à arrêter. Les attaques vont même rendre la Chine encore plus déterminée. Tout comme l'émergence de la Silicon Valley reposait sur le soutien du gouvernement américain, la Chine combine les ressources de l'Etat et des entreprises dans la poursuite de ses objectifs. Elle a mis en place des programmes de soutien et d'incitation pour attirer des ingénieurs d'autres pays, notamment de Taiwan. Des entreprises comme Huawei ont prouvé leur capacité à innover, le blocage des puces Intel en 2015 n'a fait qu'inciter la Chine à développer son industrie nationale des super-ordinateurs, comme le «Taihu-Light», qui est de fabrication chinoise. De plus, l'ambition de la Chine pour devenir une puissance mondiale dans le domaine des semi-conducteurs arrive au bon moment. Depuis des décennies, l'industrie de la puce est régie par la loi de Moore, qui dit que les capacités d'une puce d'une taille donnée doublent tous les deux ans, et son prix baisse de moitié. Cependant, la loi de Moore a atteint ses limites physiques et n'avance plus comme avant. Le monde d'aujourd'hui se concentre sur l'informatique quantique et les puces dotées d'intelligence artificielle spécialisée. La Chine va saisir cette rare opportunité pour rattraper son retard, notamment grâce aux marchés des semi-conducteurs des smartphones, de l'internet des objets et du cloud. De son côté, l'Amérique va continuer à travailler avec ses alliés en Europe et en Asie pour repousser les pratiques chinoises déloyales, comme le pillage technologique et le vol de la propriété intellectuelle. Elle va aussi continuer à minutieusement contrôler les investissements chinois. Elle va se préparer à un monde dans lequel les puces chinoises sont plus puissantes et omniprésentes, en mettant au point des procédures d'essai standardisées et appropriées pour garantir la sécurité des produits fabriqués en Chine et renforcer les normes de traitement des données afin que les informations ne soient pas diffusées. C'est ce à quoi va ressembler le monde de l'industrie informatique de demain.