Allez-y, foncez ! Rentrez dedans ! » Tel est l'ordre qui aurait été donné aux éléments des gardes-côtes, nous raconte l'un des harraga rescapés du drame qu'il a vécu avec ses 33 compagnons dans la nuit de jeudi dernier et qui a coûté la vie au jeune Ikram Hamza. Annaba. De notre bureau Nous avons rencontré Mehdi dans la soirée de samedi, à son domicile. Avant d'entamer son terrible récit, il exige que notre téléphone soit éteint, effectuant une fouille minutieuse de notre sac à main en raison des poursuites judiciaires dont il fait actuellement l'objet pour d'autres affaires. Vêtu d'un kamis noir, Mehdi est dans un état hystérique et n'arrive pas à contrôler ses gestes et à coordonner ses propos. Les traces de ce qu'il vient de vivre subsistent : ses membres inférieurs et supérieurs portent de graves brûlures. Il n'a pas hésité à nous montrer l'horrible trou profond, d'un diamètre d'environ deux centimètres, au niveau de sa hanche gauche, faisant réagir ses quatre amis également présents, dont Hicham, le frère du défunt Ikram. « Je vais vous raconter ce qui s'est passé, mais je tiens à ce que mon nom ne soit pas cité, je suis recherché et je risque d'être arrêté. Ce sont mes amis qui m'ont aidé à m'enfuir de l'hôpital où on m'a évacué avec les 17 autres blessés », nous dit-il. Puis, Mehdi, dans un français très correct, nous décrit au détail près les conditions dans lesquelles est survenu le drame. « Nous étions au large de Oued Samhout et il était minuit 15, soit près d'un quart d'heure après avoir appareillé, lorsque nous avons été surpris par trois unités semi-rigides des garde-côtes, dont une impressionnante semi-rigide 360. Deux de ces unités sont parties pourchasser les deux autres embarcations. La troisième est restée sur place. Nous savions que nous ne pouvions plus bouger. "Errayes" (le passeur) a dû arrêter le moteur et nous nous apprêtions à rejoindre la terre ferme. C'est à ce moment-là que les gardes-côtes ont commencé à nous lancer des bombonnes d'eau de 20 litres et des bouées de sauvetage. Nous n'avons à aucun moment douté de ce qui allait nous arriver. Ordre a été donné aux gardes-côtes de l'unité 360 d'entrer en collision frontale avec notre embarcation, dotée d'un moteur d'une puissance de 40 chevaux et où nous étions au nombre de 34 », raconte-t-il. Toujours selon notre interlocuteur, le choc a été tel qu'il a provoqué un tourbillon. Celui-ci, précise-t-il, a aspiré l'embarcation et les 34 harraga au fond de la mer. « En l'espace de quelques secondes, je me suis retrouvé dans les profondeurs. Je me suis débattu, m'accrochant aux débris de bois. J'ai pu remonter à la surface et lorsque j'ai voulu m'accrocher à leur embarcation, l'un d'eux m'a asséné un coup de pied en plein visage tout en m'insultant. Puis il m'a lancé une bouée de sauvetage et c'est à ce moment-là que j'ai pu apercevoir Ikram qui se noyait en tenant sa tête d'une seule main et en criant Mehdi, Ali... avant de marmonner la chahada. C'était horrible, je ne peux vous le décrire. » Mehdi éclate en sanglots, puis reprend son récit pour indiquer qu'ils étaient tous trois assis côte à côte, pas loin du moteur. C'est la raison pour laquelle Ikram a été le premier à subir l'impact de la collision. Hicham, le frère de la victime, intervient : « Lorsque j'ai vu mon frère à la morgue, il portait de graves blessures au niveau de la tête et aux hanches. » Il est interrompu par Mehdi, qui a du mal à se tenir debout du fait des brûlures et des ecchymoses. Le témoin du drame des 34 harraga ajoute : « Nous avons tous avalé de l'essence qui s'est dégagé des jerricans. Nous en avions emporté 300 litres. Une fois sur l'engin des garde-côtes, on m'a donné une couverture. Les effets de la quantité d'essence avalée m'ont fait sombrer dans un profond sommeil. Je me suis réveillé aux urgences de l'hôpital Ibn Rochd. » Mehdi a subitement mis fin à l'entretien tout en prenant le soin de vérifier les téléphones portables de l'assistance. Contrairement aux autres harraga, c'est pour d'autres motivations qu'il a tenté cette périlleuse aventure. Mehdi est, en effet, issu d'une famille aisée et connue à Annaba. Ses parents font partie du monde des affaires.