Les rapports entre le politique et le militaire sont-ils condamnés à être toujours négatifs, opposés ? Peuvent-ils être, dans certaine situation, positifs, complémentaires ? Il ne peut y avoir de réponse «absolue» ou «définitive» à ces questions, estime l'ancien secrétaire général du FLN et signataire du contrat de Rome en 1994. Le 20 août 1956, le «centraliste» Abdelhamid Mehri était déjà membre de la délégation extérieure du FLN, établie au Caire. A l'issue du Congrès de la Soummam, il sera désigné membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) et siégera ensuite dans le Comité de coordination et d'exécution (CCE). «Primauté du politique sur le militaire», «l'intérieur sur l'extérieur» : deux principes cardinaux de la Révolution, entérinés à la Soummam, qui ne résisteront pas à l'épreuve du temps et des hommes… assoiffés de pouvoir. «Au Congrès de la Soummam, je n'y étais pas. Je n'avais aucune qualité pour y être. Mais pour ce qui est du principe de la primauté du politique sur le militaire, je suis ‘'pour'' sans aucune réserve. Ce n'est pas le cas de l'autre principe, à savoir : la primauté de l'intérieur sur l'extérieur qui, à mon avis, visait à écarter certaines figures du mouvement national.» Le Caire, août 1957. La réunion du CNRA «abroge» ces deux principes fondateurs de la plateforme de la Soummam. Dans son analyse, circonspecte et prudente, – qualifiée par certains débatteurs d'anecdotique –, Abdelhamid Mehri fait peu cas des luttes d'appareils au sein du FLN-ALN, de la guerre de leadership qui minait le commandement de la Révolution. Si les principes énoncés par le Congrès de la Soummam avaient suscité autant de polémique et de divergence profonde, c'est d'abord la conséquence d'une «absence de débat», d'un manque d' «information », « un malentendu » né d'une « mauvaise interprétation » des énoncés de la Soummam. «Certains ont interprété le principe de la primauté du politique sur le militaire comme étant la prééminence des politiques sur les militaires.» Une interprétation pourtant démentie, selon lui, par l'esprit et la lettre de l'ensemble des décisions du Congrès. «Les colonels, chefs des Wilayas instituées par le Congrès de la Soummam, étaient des commandants politico-militaires». Cette culture de la «double casquette» remonte à la création, en 1947, de l'organisation paramilitaire, l'Organisation secrète (OS), chargée de préparer la lutte armée. La genèse des rapports conflictuels entre politique et militaire, est «à situer» précisément à cette période, «bien avant la Soummam». «Les membres de l'OS, explique le conférencier, avaient une double formation militaire et politique très poussée et bien qu'on avai,t à l'époque, pris soin de cloisonner, de couper l'organisation paramilitaire de l'organisation politique, cela n'a pas empêché l'émergence d'oppositions qui ont éclaté après le démantèlement de l'organisation début des années 1950 et cristallisées à la veille du déclenchement de la lutte armée, le 1er Novembre 1954.» Mehri rappelle, à ce titre, que le «groupe de Six», les «déclencheurs» de la Révolution, «tous membres de l'OS», avait produit, en la proclamation du 1er Novembre, un texte «éminemment politique». Autre événement, sujet à «interprétation» erronée : la création de l'état-major général de l'Armée de libération nationale (ALN), en janvier 1960. La décision de créer l'EMG et d'unifier le commandement de l'ALN, affirme Mehri, doit être «replacée dans son contexte historique». «Les décisions prises à cette époque constituaient les premiers jalons de l'Etat indépendant. Elles ont été décidées pour répondre à un projet national. Bien sûr, à ce moment-là, on avait dit qu'on a créé l'état-major pour faire une place à Boumediène, pour contrer le GPRA dominé par les 3 B. Bien sûr, chaque décision prise à cette époque était interprétée par des gens qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.» A propos de la conduite et la conclusion des Accords d'Evian, le conférencier mettra en évidence l'opposition frontale de l'EMG au GPRA. «L'EMG refusera de prendre part à la délégation, de signer les accords et remettra en cause ses dispositions.» Il a fallu, toutefois, attendre le coup d'Etat du 19 juin 1965 pour voir les «militaires» propulsés au-devant de la scène. Boumediène, alors ministre de la Défense et auteur du coup d'Etat contre Ben Bella, s'arrogera la totalité des pouvoirs. Il les gardera jusqu'à sa mort en 1978. «S'il y a une leçon à tirer, soulignera Mehri, ce n'est pas que les politiques ont toujours raison et que les militaires ont toujours tort. Entre les deux, il n'y pas de débat ni de dialogue. Et transposer le schéma de la guerre de Libération à aujourd'hui, nous amène forcément à commettre des erreurs.» Mehri citera, pour exemple, les réformes post-révolte d'Octobre 1988, proposées par Chadli : une nouvelle Constitution, une nouvelle Assemblée… «Ces réformes n'ont pas été suffisamment maturées. Et pour cause. Certains officiers supérieurs pensaient que le changement se bornait à changer de président de la République.» Toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé serait fortuite et indépendante de la volonté de l'auteur !