Le public du Dimajazz a été bluffé mercredi par l'instinctif Ithrene et l'«éthérien» Anis Benhallak. Deux concerts pour une soirée gravée du sceau de la découverte. Deux voyages que tout oppose a priori, mais approuvés en définitive pour le bonheur qu'on en tire. Le choix de la programmation relevait du mystère pour les uns, de l'aventure pour d'autres. Le menu du jour mélangeait en effet deux éléments différents. L'eau et l'air. A l'instar des natifs du scorpion, Ithrene a déployé un art passionné, guidé par les pulsions, par l'instinct. La musique de Benhallak, quant à elle, est aérienne, excentrique par moments, presque insaisissable. Un trait commun ou même deux : les deux groupes respirent la liberté et sont rebelles, incontestablement. Les premiers sur scène sont Ithrene. Les titres d'El Mahfel, leur dernier album, sont au menu. Blues, rock n'roll et poésie chaouie. Les «rockers» d'Oum El Bouaghi s'affichent avec une nouvelle formation «greffée» d'éléments qui apportent des nuances nouvelles et surtout, davantage d'assurance au band. Le départ de deux des frères Ferrah, fondateurs du groupe, n'a finalement pas affecté Ithrene qui retrouve de la fraîcheur grâce à la fougue de Abdelkrim (Kikim) Mechaar à la batterie et Wassim Remache aux claviers. Mieux ! Ajouter une section cuivre est finalement une idée géniale, d'autant que Omar Khiter (saxophone) et Amir Bouzidi (trompette) ne se contentent pas de fournir des accords de remplissage. Les solos du trompettiste, entre autres, donnent à Ithrene ses couleurs jazzy et lui ouvrent des pistes et des possibilités musicales plus grandes. Et pendant que Mohsen Ferrah balaie subtilement le manche de sa guitare, le chanteur, Aziz Rabia, joue sur la scène comme on marche sur l'eau, les bras ouverts à la manière des aigles indomptables, symbole de la terre chaouie. Et puis vint le septet de Anis Benhallak. L'enfant de Chelghoum Laïd joue pour la première fois à Constantine et pour la deuxième fois seulement en Algérie, alors qu'il tourne partout dans le monde depuis de longues années et s'impose comme l'un des musiciens les plus originaux et les plus talentueux sur la scène jazz de l'Hexagone. Décidément, nul n'est prophète en son pays ! Au menu, Apes Theater, son dernier album, enregistré à New York et sorti en novembre dernier. Démarrage en douceur. Le public retient son souffle et ouvre grand les oreilles. Anis caresse sa startocaster et libère des notes qui définissent son cosmos. La musique de Benhallak est un périple dans les limbes stratosphériques. Des voyages en long courrier (Whispers), des pauses (Petit-déjeuner à Damas) et des digressions improbables (Majnoun Leîla). Le théâtre de Benhallak se découvre par petites et savoureuses touches. Son univers se décline par ces morceaux d'introspection (Insomnia, Midnight borders) et par le regard intime qu'il pose sur des chansons tirées du répertoire algérien (Belaredj, Usfan, Nesraf). La voix lyrique de Kawthar Meziti forme un contrepoint parfait avec les mélodies du guitariste. Derrière, la section rythmique – composée de Karim Ziad à la batterie, Adel Khababa aux percussions et Mauro Gargano à la contrebasse est aussi performante que subtile. Les envolées fender du claviériste Max Helle-Forget (dernière recrue de l'ONB) et les solos libertaires de Damien Hennicker complètent l'identité du concept Apes Theater. Le public exulte et applaudit les performances des musiciens. Le bonheur est réciproque. Terminus. Tout le monde descend. On se félicite entre public et artistes et on se dit à une prochaine fois… la résistance l'emporte encore.