Parce qu'elle constitue une des plus importantes affaires de corruption, l'audition des sept personnes, dont le secrétaire général du ministère des Transports, présentées au parquet d'Alger, a duré plus de douze heures. Elle s'est terminée par leur mise sous mandat de dépôt pour, entre autres, corruption et trafic d'influence. Au centre de l'affaire, deux représentants de sociétés chinoise, française et japonaise ayant obtenu des marchés de réalisation de l'autoroute Est-Ouest, en contrepartie de pots-de-vin estimés à des dizaines de millions de dollars. Le scandale financier au centre duquel se trouvaient les dirigeants du Fonds algéro-koweïtien d'investissement (Faki) ne semble pas connaître son épilogue. L'arrestation par les services de sécurité d'un des anciens actionnaires de ce défunt fonds, le 17 septembre dernier, a fait exploser un autre dossier de corruption auquel serait lié de nombreuses personnalités civiles et militaires, que le mis en cause aurait cité lors des investigations. Son arrestation a été opérée à la suite de la plainte d'un autre homme d'affaires, lui-même représentant des intérêts de sociétés étrangères activant dans le même domaine que l'ex-cadre du Faki. Confrontés, les deux hommes se sont accusés mutuellement en levant le voile sur leurs réseaux de contact au sein des institutions de l'Etat qui leur permettaient d'avoir des entrées pour bénéficier d'une manière « complaisante » de gros marchés. La contrepartie est bien évidemment en monnaie forte, transférée vers des comptes à l'étranger ou d'achats de biens immobiliers et fonciers. Les deux mis en cause auraient cité de nombreux cadres des travaux publics, dont le secrétaire général du département de Ammar Ghoul, des hommes d'affaires, des fonctionnaires de l'Etat, mais également des militaires, dont un colonel du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), qui occupe le poste de conseiller du ministre de la Justice et qui lui a vendu une villa à Oran, offerte par la suite à une star de la chanson. Entendu dans le cadre de l'enquête (menée par la police judiciaire du DRS), puis confronté au mis en cause, l'officier a été écarté du dossier « faute de preuves ». Hier soir, l'ensemble des personnes citées dans l'affaire, dont le secrétaire général du ministère des Travaux publics, ont été présentées au parquet d'Alger, et leur audition ne s'est terminée qu'hier en fin de matinée par leur mise sous mandat de dépôt pour, entre autres, corruption et trafic d'influence. Pour nos sources, cette affaire est un vrai défi pour la justice, parce qu'il s'agit de mettre la lumière sur le phénomène de la corruption dont les ramifications ont atteint les plus hauts cadres des institutions de l'Etat. Il est important de rappeler que le scandale du détournement du Fonds algéro-koweïtien d'investissement (75% de capitaux koweïtiens et 25% appartenant à des parties algériennes) s'est avéré être lié à une immense opération de blanchiment, dans laquelle étaient impliqués les dirigeants même de la banque, à commencer par son ancien directeur général. Au total, ce sont 30 millions d'euros qui ont disparu des comptes, avant que le patron ne quitte l'Algérie en 2005, en direction de la France, et qu'une plainte ne soit déposée à son encontre. Une bonne partie de ces fonds aurait été transférée vers une banque luxembourgeoise où il résidait, depuis des années. Lors du procès tenu en 2006, 18 prévenus sont cités à comparaître devant le tribunal de Bir Mourad Raïs, près de la cour d'Alger. Parmi eux, les actionnaires du fonds, et l'ex-DG du Faki, Mounir El Mili, fils d'un ancien ministre et son épouse toujours en fuite. Le tribunal a également ordonné la confiscation de leurs nombreux biens immobiliers et fonciers situés dans les quartiers huppés de la capitale, et qui auraient été achetés avec l'argent de la banque. Les dirigeants de cette institution, dont l'ancien actionnaire fait objet de la plainte, accordaient illégalement des crédits financiers à des particuliers, alors que le fonds était destiné à l'appui des projets d'investissement. Plus grave, des sommes colossales en devises auraient été vendues sur le marché informel au lieu de passer par le circuit bancaire. L'argent aurait été blanchi dans l'achat de logements, villas, terrains et de niveaux de tours en construction, mais aussi dans l'achat de 15% des actions du groupe Saidal, en novembre 2004. L'implication présumée de cet algéro-luxembourgeois dans une autre affaire de corruption, après avoir été condamné dans un premier temps, laisse supposer qu'il détient un réseau de connaissance assez important et tellement puissant, qu'il avait ses entrées partout, au sein des institutions de l'Etat, pour peu qu'il se montre « généreux » auprès de ses contacts. Le parquet d'Alger aura à élucider une affaire aux dessous vraiment hallucinants…