Malgré la possibilité de récupérer tous ses biens culturels se trouvant à l'étranger, l'Algérie n'adhère à la Convention internationale sur les biens culturels volés ou illicitement exportés que depuis le mois de septembre. Quel est l'état des lieux dans notre pays et que va changer cette convention ? Enquête. Il aura fallu plus d'une dizaine d'années de tergiversations pour que notre pays décide enfin d'adhérer à la convention internationale d'Unidroit (institut international pour l'unification du droit privé basé à Rome) sur les biens culturels volés ou illicitement exportés. Ainsi, en ratifiant cette convention du 24 juin 1995 entrée en vigueur trois années plus tard, l'Algérie a rejoint les 59 Etats déjà membres, dont l'Egypte, la Libye, la Tunisie et le Maroc. C'est ce que fait ressortir le contenu du communiqué de la présidence de la République du 3 septembre dernier énumérant les décrets relatifs à la ratification des conventions internationales. Outre celui d'Unidroit, l'Algérie a également signé deux autres engagements internationaux, à savoir le deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé et la convention sur la protection du patrimoine subaquatique adoptée lors de la 31e session de la conférence générale de l'Unesco du 2 novembre 2001. Pourtant, elle avait été représentée à la conférence diplomatique organisée en juin 1995 à Rome pour l'adoption du projet de cette convention. Une rencontre lors de laquelle, à l'exception de la délégation algérienne, les représentants de tous les pays participants avaient remis l'inventaire de leurs biens culturels volés ou illicitement exportés. Interrogé sur la portée pour l'Algérie de telles adhésions, Kamel Rahmaoui, un doctorant en sciences juridiques et chercheur en droit international sur la protection des biens culturels, affirme : « Il faut reconnaître que l'Algérie a longtemps hésité à adhérer à la convention d'Unidroit pour des raisons inexpliquées. Elle se contentait de la convention de l'Unesco de 1970 qui est, faut-il le préciser, une convention de droit public. Elle s'adresse aux Etats et n'est pas self-executing. Elle a besoin d'être transposée au droit national. C'est-à-dire, il faut une législation nationale de plus qui se base sur la convention de 1970. » Selon lui, pour protéger son patrimoine culturel, notre pays a continué à se baser sur cette dernière dont le seul objectif consiste à énoncer les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites de biens culturels. Pourtant, son échec en tant qu'accord à vocation internationale n'est plus à contester, souligne le juriste. Pour lui, l'adhésion au moment opportun à la convention d'Unidroit, qui est un partenariat international dans le domaine culturel, aurait permis à notre pays de récupérer à temps de nombreux biens culturels volés ou illicitement exportés, et ce, moyennant une indemnité équitable de leurs possesseurs s'ils sont de bonne foi. Pour appuyer ses dires, notre interlocuteur a cité l'exemple de l'Irak. En effet, bien que récente, l'adhésion de ce pays à ladite convention lui a quand même permis la récupération de pas moins de 6000 objets d'art sur un total de 15 000 volés depuis son invasion par les Américains et cédés à l'étranger. En Algérie, c'est le parc national du Tassili qui demeure le plus en vue par les trafiquants de l'intérieur comme de l'extérieur du pays. A propos de cette première réserve de la biosphère saharienne au monde pillée de certaines de ses richesses, Kamel Rahmaoui est formel quant à la possibilité pour l'Algérie de récupérer plusieurs objets illicitement exportés, dont ceux ayant trait à l'affaire dite « Frobenius » (voir encadré). Etant désormais signataire de la convention Unidroit et avec les dispositions novatrices introduites, notre pays pourra demander le retour des objets d'art illicitement exportés vers les pays membres. En effet, dans certaines de ces dispositions nouvelles, il est stipulé : « L'Etat contractant peut demander au tribunal ou à toute autorité compétente d'un autre Etat contractant le retour d'un bien culturel illicitement exporté de son territoire. » Cependant, toute demande de retour doit être introduite dans un délai de trois ans à compter du moment où l'Etat requérant a eu connaissance de l'endroit où se trouvait le bien culturel ainsi que l'identité du possesseur. Et, précise Kamel Rahmaoui, dans tous les cas, dans un délai de 50 ans à compter de la date d'exportation ou de la date à laquelle le bien aurait dû être retourné s'il avait fait l'objet d'une autorisation légale d'exportation temporaire à des fins de recherches, de restauration ou d'exposition. Bien qu'elle soit désormais membre de la convention d'Unidroit, l'Algérie est dans l'impossibilité de récupérer les échantillons du Tassili, à ce jour « confisqués » par l'institut Frobenius (il dispose de 3000 points GPS de sites archéologiques de grande importance du Tassili) sachant que l'Allemagne, où il est basé, l'a certes signée mais ne l'a toujours pas ratifiée. « Notre pays pourrait-il, néanmoins, rapatrier une grande partie de ces objets d'art – inscrits sur l'inventaire laissé lors du départ du colonisateur – volés ou illicitement exportés depuis 1962 à ce jour, quand on sait que la convention d'Unidroit n'a pas d'effet rétroactif ? », s'interroge notre source qui ajoute que 30% des biens culturels d'origine illicite sont mis aux enchères par les plus grandes maisons de vente de Genève, New York, Paris ou de Londres dont les célèbres Christie's et Sotheby's. En outre, plusieurs spécialistes du domaine contactés imputent la multiplication de pôles spécialisés dans la vente de biens culturels à la disparité et la discordance des lois dans la majorité des pays de la planète. Ils trouvent que l'évolution inquiétante de ce trafic est étroitement liée à des enjeux politico-économiques. Au plan économique justement, Nacer-Eddine Ziani, docteur en sciences financières de l'université Connecticut aux USA, estime, de son côté, que les plus importants facteurs encourageant cette évolution sont l'envolée vertigineuse des prix des biens culturels sur le marché mondial de l'art, l'émergence de nouvelles nations riches permettant à de nouvelles couches sociales d'accéder au marché de l'art (exemple de la nouvelle bourgeoisie russe) et surtout le blanchiment de l'argent provenant du trafic de drogue en l'injectant dans le commerce de l'art ainsi que la perméabilité des frontières nationales. wwwPour le cas de l'Algérie, soutient en outre Kamel Rahmaoui, les trafiquants dits de « très haut niveau » et grands connaisseurs des arcanes du monde de l'art, jouent sur la diversité des législations nationales sachant que les interdictions d'exportation ne peuvent être appliquées dans d'autres Etats. Ils jouent également sur l'insuffisance des traités bilatéraux et régionaux en matière de lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Kamel Rahmaoui (Doctorant en sciences juridiques, chercheur en droit international sur la protection des biens culturels) : « Les Allemands refusent de rendre les échantillons » « En devenant membre de la convention d'Unidroit, l'Algérie sera en droit de récupérer les échantillons de contenus archéologiques pris pour analyses par des chercheurs archéologues de l'Institut allemand Frobenius qui ne veut toujours pas les restituer. Ces échantillons avaient été légalement prélevés et exportés à la suite d'une convention signée à Frankfurt en août 1994 entre l'Office du parc national du Tassili et l'institut allemand Frobenius spécialisé en archéologie. Des équipes de chercheurs avaient alors pu repérer pas moins de 3000 sites de grande importance sur le Tassili. Dans la même convention, il était question de la réalisation d'un programme de recherches au terme duquel des mesures de valorisation des biens culturels et naturels devaient être arrêtées. Or, souligne le juriste, il s'est avéré qu'en fait d'études d'échantillons de contenus archéologiques trouvés sur les 3000 sites repérés par Frobenius, notre pays s'est fait déposséder de son patrimoine. Dans cette même affaire, deux chercheurs algériens qui agissaient pour le compte de cet institut avaient bénéficié d'une autorisation spéciale qui leur a permis d'exporter 23 sacs d'échantillons d'ossements à des fins d'analyses payées en monnaie forte par l'Etat algérien. Les échantillons sont toujours chez Frobenius qui refuse catégoriquement de les restituer. »