La justice indienne vient de lever le voile sur une série d'assassinats d'Indiens musulmans, crimes longtemps présentés par la police de l'Etat du Goujarat et de la région contestée du Cachemire, comme des opérations anti-terroristes menées contre des activistes islamistes. Afin de gravir plus rapidement les échelons d'une carrière prometteuse et de percevoir des primes importantes, des agents de la police indienne, opérant surtout dans l'Etat du Goujarat (gouverné par l'extrême-droite nationaliste hindoue), auraient organisé de vrais faux accrochages, appelés en Inde « fake encounters », contre de pauvres citoyens coupables de professer l'Islam. Abattues aux armes à feu, les victimes musulmanes, étaient alors présentées comme des activistes, membres de groupes terroristes. Des armes, étaient soigneusement placées à côté des corps, comme preuve de cette version fallacieuse. Un juge indien vient de rendre public un rapport de 300 pages qui établit que les policiers, dans les deux Etats, le Goujarat et le Cachemire, se sont rendus coupables de véritables assassinats jouissant d'une totale impunité. Flash-back. 2004 : Dans une rue de Ahmedabad, capitale du Goujarat, l'Etat du Nord de l'Inde où les musulmans sont traités comme l'étaient les Noirs en Afrique du Sud durant le régime de l'apartheid, quatre habitants musulmans sont abattus par des policiers. Parmi eux se trouvent une jeune étudiante de 19 ans, Ishrat Jahan. Les parents de cette dernière n'ont, depuis, eu de cesse de soutenir que leur fille était victime d'un assassinat arbitraire, et de réclamer que les responsables de sa mort soient traduits devant la justice. A l'époque, la police avait défini la mort de Ishrat et des trois autres musulmans comme « une victoire contre le terrorisme », accusant les quatre victimes de faire partie du groupe de Lashkar-e-Taiba (Armée des Pieux), le mouvement radical islamiste pakistanais. Les armes trouvées à côté des cadavres témoignant, selon le rapport des investigateurs de l'époque, d'un complot terroriste destiné à tuer le Premier ministre de l'Etat du Goujarat, le très décrié Narendra Modi, chef de file du parti ultra-nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP). Mais face à la détermination de la mère de Ishrat, la justice indienne s'est penchée de nouveau sur le dossier et a établi qu'il s'agissait d'un énième faux accrochage fomenté par la police et démontré que les victimes étaient de simples citoyens sans aucun lien avec le terrorisme. Alors que les armes trouvées avaient été mises là pour les inculper injustement. Shaamima Kausar, mère de Ishrat, s'est dite finalement soulagée de cette révélation et a demandé que les auteurs du crime, des policiers promus à l'époque, soient condamnés à une peine exemplaire. « Personne ne me rendra ma fille, mais l'accusation infamante de terrorisme lancée contre elle a brisé la carrière et la vie de ses frères et sœurs », a dénoncé Kausar. Dans une autre affaire, la justice avait également inculpé la police du Goujarat pour l'assassinat d'un autre groupe de musulmans en 2006, et l'Etat a dû indemniser leurs familles. Le parti communiste indien a demandé au Premier ministre, Narendra Modi, de démissionner de son poste car tenu pour responsable moral de « l'assassinat par la police d'Etat de membres d'une communauté minoritaire ». Modi a également été jugé responsable du massacre de 2000 musulmans en 2002, lors d'une épouvantable chasse au musulman, perpétrée par des hindous fanatiques dans l'Etat du Goujarat où des centaines d'innocents furent brûlés vifs. Plus de 41 policiers furent poursuivis pour complicité dans ces massacres, alors que la justice a obligé le gouvernement local à réexaminer le cas de 1594 assassinats de musulmans lors des attaques hindouistes. Les ONG indiennes dénoncent les conditions inhumaines dans lesquelles 5000 familles musulmanes, (250 000) déplacées après ces émeutes, vivent encore. Et dire que le Mahatma Gandhi, natif de cette région, avait prêché la cohabitation pacifique entre musulmans et hindouistes, toute sa vie. Mais les premières victimes de ces exactions se sont les femmes. Déjà en 2003, l'organisation internationale pour la défense des droits de l'homme, Amnesty international avait dénoncé les graves violations perpétrées par la police, au Goujarat. « Plus d'un an après le début des massacres visant la communauté musulmane, ni le gouvernement du Goujarat ni le système de justice pénale de l'Etat n'ont officiellement reconnu à quel point et avec quelle force les femmes avaient été prises pour cibles au cours de ces troubles ». Même scénario au Cachemire Les musulmans indiens (160 millions, dont 100 millions vivent dans des Etats à majorité hindous) sont également victimes d'une violence policière inouïe dans l'Etat du Jammu-Cachemire, qui compte 12 millions d'habitants, dont la majorité sont musulmans. Des milliers d'entre eux étaient descendus dans les rues de Shopian et d'autres villes du Cachemire, durant tout le mois de juin dernier, pour dénoncer le viol et le meurtre de deux jeunes musulmanes. Aasiya Jan, âgée de 22 ans, et sa belle-sœur Niloufer Jan, âgée de 17 ans, ont disparu alors qu'elles se rendaient au verger le 29 mai à Nagbal près de Shopian. Leurs corps ont été retrouvés le lendemain à côté d'un petit cours d'eau passant près d'une caserne de la police. Cette dernière a été accusée d'être, encore une fois, à l'origine de viols et de crimes restés impunis. La justice a décidé, cette semaine, sous pression des familles des victimes, de réexhumer les corps pour une nouvelle autopsie. Les forces centrales de réserves de la police, envoyées dans le territoire du Cachemire secoué par la violence opposant les séparatistes et l'armée, sont souvent mises en causes par les habitants. Accusés de graves violations des droits de l'homme, comme les arrestations arbitraires, disparitions forcées, agressions sexuelles et homicides, les policiers indiens et les forces paramilitaires recrutés se sentent protégés par la loi sur la sécurité qui leur confère des pouvoirs discrétionnaires. Amnesty international et des organisations indiennes pour la défense des droits de l'homme ont demandé au gouvernement central de retirer cette loi qui garantit l'impunité aux policiers opérant au Cachemire, région habitée principalement par les musulmans. Lundi passé, le Front uni des musulmans de l'Inde a tenu des manifestations dans la capitale New Delhi pour inviter les organisations islamiques internationales à se rendre au Cachemire et Jammu et constater sur place les graves violations des droits de l'homme commises contre les musulmans au nom de la lutte contre le terrorisme.