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Appel pour «s'opposer» à l'exploitation du gaz de schiste en Algérie
Publié dans El Watan le 14 - 02 - 2013

Et ce sont les Français qui vont le faire. Moi, ça ne me plairait pas. Comme citoyen du même écosystème méditerranéen, je vous demande respectueusement : s'il vous plaît, opposez-vous à ça ! Il n'y a pas seulement la fracturation hydraulique qui permet l'extraction du gaz de schiste qui est dangereuse. Il ne faut pas extraire les gaz de schiste. Il faut s'obliger à développer l'inventivité, les machines et les moyens qui nous permettent de nous passer du gaz de schiste et des énergies carboniques. Nous savons le faire. Quelle est la limite à l'intelligence humaine ? Il n'y en a pas», a plaidé Jean-Luc Mélenchon, lors d'une conférence animée mardi soir à l'Institut français d'Algérie (IFA) à Alger, à la faveur d'une tournée maghrébine sur le thème «L'éco‑socialisme, un nouvel horizon pour le XXIe siècle». Le leader français du Front de gauche faisait allusion à un contrat signé après la visite du président François Hollande à Alger sur l'exploitation du gaz non conventionnel en Algérie. «Nous nous opposons à l'exploitation du gaz de schiste en France. Exploitation qui pourrait faire de nous une Arabie Saoudite du gaz de schiste, selon Michel Rocard. Et, bien, nous, on ne veut pas devenir l'Arabie Saoudite. Rocard a toujours été exotique !
Le refus de cette exploitation n'est pas une décision politique facile à prendre. En Equateur, les camarades ont décidé de ne pas extraire le pétrole. Une décision unique au monde. C'est une manière d'économiser à l'humanité une certaine masse de CO2 qui ne sera pas émise. Dans ces conditions, les Equatoriens attendent de l'humanité de prendre une partie des coûts induits par cette décision. A cet effet, un fonds a été ouvert au niveau de l'ONU», a-t-il appuyé. Lors d'une rencontre avec la presse après la conférence, M. Mélenchon a soutenu : «Je ne suis pas d'accord sur le contrat signé entre Français et Algériens sur les gaz de schiste. Cela dit, nous n'avons forcé personne à le faire. Il y a bien deux autorités légitimes qui l'ont fait.» Le Front de gauche propose, selon lui, une thèse sur le renouveau de la pensée progressiste appelée «éco-socialisme». A ce propos, un sommet mondial est prévu à Quito, en Equateur. «Il s'agit du Forum mondial de la révolution citoyenne. Après Rome, Londres et Tunis, c'est à Alger que je viens proposer quelque chose qui sort de l'ordinaire de la politique. L'éco-socialisme ne nie pas les anciennes doctrines progressistes. Il les reformule en les contextualisant. Car, souvent, le discours progressiste semble figé alors que tout a changé dans le bon sens. Je ne suis pas un homme politique qui peint noir sur noir», a-t-il souligné devant un public nombreux.
D'après lui, l'humanité est en proie à des bifurcations anthropologique, écologique et autres. «Le mot bifurcation remplace celui de révolution. Manié dans tous les sens, ce mot a fini par ne rien pouvoir dire», a ajouté cet adepte du «matérialisme historique».
Pour étayer son propos et situer les enjeux, Jean-Luc Mélenchon a cité des chiffres actuels : 7 milliards d'êtres humains, 60% de la population mondiale vit en ville (66% pour l'Algérie), 80% des humains savent lire et écrire (77% en Algérie), 60% des femmes accèdent à la contraception (2,5 enfants par femme en Algérie), 30% de la population mondiale accède à internet (13% en Algérie), 450 millions d'habitants autour de la Méditerranée, 50 centimètres d'élévation du niveau de la mer dans cent ans… «Cette humanité nombreuse est à une nouvelle étape de sa socialisation. Il y a un accès à un savoir global gigantesque. Nous sommes des êtres de culture (…) L'individuation des rapports sociaux n'est pas en contradiction avec l'accélération de la socialisation», a-t-il observé.
Les gens de gauche doivent, d'après lui, modifier leurs points de vue sur la question écologique. «L'écologie est un défi concret, ce n'est pas une question idéologique. Il y a un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Un système entré dans une grave perturbation, c'est celle du climat. Si nous voulons mettre un terme au dérèglement climatique, nous devons sortir des énergies charbonnées. C'est un défi politique extraordinaire. Ce n'est pas le retour à la bougie. Il faut continuer à faire vivre notre société avec d'autres méthodes. C'est pour cela que l'éco-socialisme est un défi intellectuel et technique. Cela veut dire une transformation profonde des processus de production et des modes de consommation», a-t-il relevé, critiquant le système publicitaire qui crée les «frustrations». Pour lui, l'air et l'eau purs relèvent de l'intérêt général humain.
«Domestication collective par la peur»
Il a analysé ensuite la financiarisation de l'économie assimilée à un mur. Il a démarré de l'abandon par les Etats-Unis de l'équivalent matériel (l'or) au dollar à partir des années 1970. «Pour nous, une monnaie décrochée de la valeur matérielle n'existe pas. Eh bien, cette monnaie a existé, c'est le dollar ! On a imprimé par milliards le papier-monnaie créant un effet de thrombose. La libéralisation du mécanisme global de la finance a fait que l'argent s'est mis à produire de l'argent comme si cela était possible. Aujourd'hui, 4000 milliards de dollars circulent par jour. Cent fois plus que la valeur des biens qui sont produits (…) Le jour où ce système se purgera, les Etats-Unis s'effondreront. Le capitalisme d'aujourd'hui est marqué par la finance «transnationalisée. Dans les entreprises, l'argent va plus au dividende qu'à l'investissement», a-t-il noté mettant en garde contre «un pillage aggravé» sur la base «d'un dumping social généralisé». Selon lui, il existe une organisation générale de la précarité ou «le précariat». «Cela va du marchand de fleurs dans la rue à l'ingénieur.
On parle de CDD, de contrat de projet… Des personnes de haut de niveau, des bac + 10, sont prises comme des travailleurs à la tâche ! Chaque jour, elles se demandent si elles vont avoir du travail la semaine d'après. C'est un système de domestication collective par la peur», a-t-il souligné. «Je suis un Français de gauche qui vient rencontrer des Algériens progressistes. On est très heureux de l'existence d'un front populaire en Tunisie. La révolution, c'est un processus. Les Tunisiens n'ont pas encore fini avec leur Constituante et toute une série de problèmes. Ils les règlent pacifiquement et font preuve d'un sang-froid extraordinaire. Je suis optimiste pour la révolution tunisienne. La Tunisie ne sombre pas dans le chaos. J'en reviens. La Grèce et l'Espagne sont bien plus dans le chaos que la Tunisie. Par conséquent, les Européens devraient baisser un peu le ton», a-t-il soutenu.
Interrogé sur la situation au Mali, Jean-Luc Mélenchon a estimé que la décision de la France d'intervenir militairement est discutable. «Je suis un citoyen français. J'ai posé des questions et j'attends les réponses. Quand je les aurais, je dirais si c'était une erreur ou pas. Avant de coller des étiquettes sur le sens de l'intervention, il y a des questions qu'un citoyen responsable doit se poser. La première est : au nom de quoi on agit ? Et j'ai constaté que les motifs de l'action ont changé à plusieurs reprises. Tantôt c'était une résolution de l'ONU (résolution 2085), tantôt c'était un article de la Charte de l'ONU (article 51), tantôt c'était une demande du gouvernement malien. Les deux premiers se sont avérés erronés et pour le troisième le gouvernement malien n'a aucune légitimité», a-t-il déclaré.
Selon lui, les objectifs de guerre au Mali sont également discutables. «On nous a dit qu'il fallait intervenir rapidement. La rapidité est un problème puisqu'elle a interdit l'existence d'un débat parlementaire. Dans une démocratie, la guerre ne peut être faite qu'avec un mandat parlementaire. Nous ne pouvions pas être pris par surprise dans un territoire (malien, ndlr) que nous connaissons depuis le ciel. Les Nord-Américains, qui ont des bases au Sahel, ont consacré des moyens énormes de surveillance. L'armée algérienne, qui est une armée professionnelle, a installé à Tamanrasset un état-major qui coordonne l'action des pays limitrophes pour garantir la sécurité», a-t-il souligné lors d'une discussion avec les journalistes.
Il a estimé que les buts de la guerre ont également changé. Au départ, il était question d'arrêter l'avancée d'une colonne de djihadistes. «Ensuite, on a dit qu'on fait la guerre au terrorisme. Le terrorisme, en matière militaire, est un concept inutile. Le terrorisme recouvre des réalités tellement différentes qu'on peut dire que le mot n'éclaire rien, mais obscurcit les problèmes. Et puis, on a appris qu'on veut libérer le nord du Mali. Au nom de qui ? Et à qui va-t-on remettre le nord du Mali ? La légitimité du gouvernement malien est très discutée», a relevé le député européen indiquant que la guerre au Mali coûte deux millions d'euros par jour. «Tout coûte cher sauf la guerre !», a-t-il lancé.
«Perte de temps»
Concernant les relations algéro-françaises, M. Mélenchon a relevé que des manques existent des deux côtés. «La vie des nations est également faite de contrats et d'accords. Si les Algériens ne sont pas contents de ces contrats, ils n'ont qu'à en signer d'autres. La République française doit y trouver son compte», a-t-il soutenu.
Il a plaidé pour une relation amicale et égalitaire. «Il y a une faible conscience de la communauté de destin en région méditerranéenne. Il y a aussi un poids de l'histoire mal géré. Je trouve cela désolant», a-t-il ajouté.
Pour lui, demander des excuses à la France pour les crimes commis durant la période coloniale est une perte de temps. «Ceci n'a pas de sens. C'est un subterfuge pour ne pas parler d'autres choses. C'est-à-dire les problèmes du moment auxquels nous sommes confrontés. Il y a des vrais chocs d'intérêt. La France est aussi moi. Et moi, je n'ai martyrisé personne. Une partie des habitants de la France sont des binationaux, de jeunes Français qui ont des problèmes assez compliqués pour les deux pays en même temps. Vous n'allez pas demander à vos enfants ou à vos petits-enfants de venir s'excuser», a-t-il déclaré en réponse à une question d'un journaliste. En conférence, il a assimilé la période coloniale française en Algérie à une guerre civile.


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