– En absence de chiffres et de statistiques, comment mesure-t-on la paupérisation de la société ? La pauvreté apparaît pour nous, sociologues, comme un phénomène social. Nous avons du mal à trouver une méthode pour le quantifier. Comment aller dans une famille et tirer des conclusions en disant qu'elle est pauvre ? Certaines familles ne payent pas d'impôts et ne figurent donc pas dans les fichiers. La médecine gratuite ou le logement social nous empêchent de nous reposer sur certaines données pour identifier la pauvreté.
– Quels sont les indices qui permettent de juger si telle famille ou tel individu est pauvre ?
Dans les sociétés occidentales, la pauvreté est facilement identifiable par le travail. Chez nous, on ne peut pas reprendre le même schéma. Quelqu'un qui ne travaille pas n'est pas nécessairement pauvre. Notre société fonctionne à l'envers. Le travail n'est plus une source de richesse. C'est le système informel qui l'emporte. Le problème est le même avec le logement. Quelqu'un qui habite dans un bidonville est-il considéré comme pauvre, alors qu'il a une voiture ou un commerce ?
– Quels sont les facteurs d'appauvrissement ?
La pauvreté apparaît au sein des familles qui se sont intégrées dans un système dit individualiste, où la solidarité n'existe plus. Ce sont les personnes âgées qui en subissent les conséquences les plus graves, car les retraites sont maigres.
– Comment expliquez-vous que ce soit les associations qui prennent en charge l'aide aux personnes en difficulté, en se substituant à l'Etat ?
C'est positif et représentatif d'un processus de démocratie. La société civile est la seule capable de venir en aide à ces personnes. L'Etat pose problème parce qu'il a inculqué à l'individu l'idéologie de l'assistanat. Le travail associatif est un moyen par lequel on peut détecter la pauvreté. Ce sont les seules à pouvoir nous aider dans ce domaine.
– En 1995 (derniers chiffres disponibles), les populations les plus pauvres sont en majorité rurales. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Ce n'est plus le cas. L'agriculture est un moyen plus efficace pour s'enrichir que l'industrie. Dans les sociétés rurales, les gens sont au centre de la production agricole. C'est plutôt dans les cités-dortoirs que l'on peut identifier des familles pauvres.