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SILA 2009-Tribulations livresques : Sous le grand chapiteau
Publié dans El Watan le 05 - 11 - 2009

Comme chaque année, Abderrahmane Zakad* nous livre son impayable journal de bord du Salon du livre
Les Algériens sont-ils devenus spécialistes du dénigrement ? A peine décidé la tenue du Salon près du stade olympique, des voix se sont élevées, des bras se sont agités et des critiques acerbes ont fusé. Mon Dieu, pourquoi pas là ? L'important est qu'il se tienne et que le pari soit gagné. Echah ! Le grand chapiteau est impressionnant, prouesse technique réussie, puisque toutes les commodités sont assurées, parole d'ingénieur, avec un bémol pour l'humidité ! Au parking, on accède et on sort avec quelques difficultés, c'est vrai. Mais intelligent que je suis, je gare sur le parking du lycée Amara Rachid. Quand on rentre sous le grand chapiteau, on ne peut rater en face « Esprit Panaf », le stand de nos amis africains. ça danse, ça bouge, ça déclame. Jorus Mabiala mène la danse, Evelyne Ngoo Maa veille au rythme, les enfants, sidérés, jubilent et claquent des mains sous le regard des parents satisfaits. Voilà comment on apprend à lire à des enfants. En les approchant des choses de la culture pour qu'ils s'en imprègnent. Je pousse la chansonnette avec eux, tape des mains en me tortillant un petit quart d'heure. Puis je m'éclipse en achetant un livre Le Petit enfant de la forêt . Politesse oblige.
Dans le même stand, un homme vaque à ses affaires. Je m'approche et l'aborde. C'est Michel Cadence fondateur des éditions Ndze à Libreville (1995), de La Case (1996) et de l'association Alfa (1997). Cadence, un Français qui présente des livres africains, ça invite nos exportateurs à aller faire un tour vers le bas de notre carte de géographie. Bilan du conciliabule : c'est un prof de maths qui a publié de nombreux livres pédagogiques avant de virer dans l'édition et la distribution. Il a eu le coup de foudre pour cette dame nommée Africa et chantée par Miriam Makéba. Après la Tunisie, il s'installe au Cameroun. Chapeau, il a vu juste. Je le mets en contact avec Aïcha Ayadi, gérante des éditions Livre d'Esprit. Les affaires, c'est les affaires ! Michel Cadence me dit que dans les années 1970, il venait avec sa femme et ses enfants camper dans les montagnes d'Algérie. Jamais de problème ni d'agression. Ah ! Ya Dzayer ! Je lui propose un couscous à la maison. Il accepte, touché.
Je le laisse et saute aux Editions Dahleb. Mustapha Mékidèche signe son livre L'économie algérienne à la croisée des chemins. On se remémore les années 1980 et je le laisse à ses dédicaces. Halte au stand de la Palestine. Amine Zaoui déboule traînant derrière lui Rabéa Djalti, sa femme, notre poétesse. Au Salon, elle ne lui appartient plus, elle appartient aux livres. – « Salut » – « Salut Abdou, quoi de neuf ? » Je réponds : « Ce n'est pas Si Likoum Vallée, mais les Algériens se défoncent, y'a de la réflèche ! ». Il sourit comme sait sourire Amine et je le laisse avec sa souris. Le temps d'une courte déambulation et je m'apostrophe Achour Cheurfi cherchant la vérité dans ce lieu où tout est écrit noir sur blanc sur des livres, qu'une foule assoiffée cherche à accaparer. Que de bousculades ! Le Salon du livre d'Alger est l'un des salons les plus fréquentés au monde par une jeunesse assoiffée de savoir, frustrée aussi. Pourquoi ?
Après analyse, il ressort que les gens viennent en masse parce que c'est ici, en ce lieu et à cette occasion seulement, qu'on est près du livre. Les gens ne vont pas dans les librairies par éloignement ou par paresse, mais par manque de communication. Les habitudes en librairie ne sont pas « encrées ». Alors on va au Salon. En un jour, on est au courant de ce qui se produit. Je vise une femme là-bas : « Salut, Khalti ! Wech, le Salon ça va ? » – « Ya âazik, avec tout ce monde, tu ne viens que vers moi ». Ya hafidh, je la laisse et m'éclipse. Je ne veux pas être accusé de harcèlement sexuel, h'chouma. La circulation est bonne. Malgré la cohue, on se retrouve facilement dans les allées jalonnées d'indications. On ne risque pas de se perdre. Ce qui gêne, ce sont ces quidams qui stationnent et encombrent les allées en téléphonant. Le mobile, voilà l'ennemi ! Nedjma, aïch la vie, est la femme la plus haïe d'Algérie. Elle ruine les ménages à force de puces. Kateb Yacine penserait à changer le titre de son livre. Chez Dalimen, je rencontre Fadéla Mrabet. Elle est en discussion avec la directrice.
Mal poli, je les coupe, reportage oblige. Fadéla, souvenir de son livre des années 1960, La Femme algérienne. Comment qu'elle s'en souvient ! ça avait fait du grabuge, une femme qui osait parler des femmes. C'était la première intrusion dans le domaine de l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. Elle avait tout chamboulé, Fadéla. Je saute vers les éditions Alpha, mes amours. Assia Saâdoune est dans sa Singerie, je la salue et la laisse à Sidi Fredj. J'achète un livre chez Alpha et on m'offre, gratis, un CD nouvellement sorti de Hamid Grine déclamant, (texto perso : salut Grine, sans rancune, seule l'œuvre importe, le reste n'est que batifolage). Tout au fond, à hauteur du C 60, les éditions El Othmania de notre Flici barbu et nouvellement ventru. La réussite nuit à la ligne. L'édition fait face à un stand égyptien « Wafa ». La rencontre de foot est pour le 14 novembre. Je prédis : Algérie 2 - Egypte 1. Les Egyptiens s'emballent, se fâchent puis… m'offrent un livre.
Je me donne deux jours de balade, flirtant avec les stands, puis je reprends mes pérégrinations. Trois jeunes m'abordent : Rabia Makhlouf, Djenan Naoual du CCF de Annaba et Touil Nadia du CCF de Tlemcen. Salut-Salut. Ils m'invitent pour donner une conférence au CCF de Annaba – « Ca nous fera plaisir ainsi qu'à nos lecteurs de la bibliothèque. » O.K, je viendrai. Je charge Nadia Touil de saluer Mme Benmansour, présidente de la Fondation Dib à Tlemcen. Le chargé de la culture de l'ambassade de France sait y faire. Ils occupent le terrain, ils ont l'expérience depuis Buffon, Voltaire et Rousseau. Voilà pour la confiture. Mais nous, que faisons-nous ? Comment veut-on mettre les gens à la lecture si la communication n'est pas faite. Et comment intéresser le public si nous nous attardons sur le folklore et le « chtih ourdih ». Nous faut-il là aussi des coopérants ? Abadan ! Alors envoyons aussi les jeunes porter la bonne parole et occuper le terrain. A ciao, les jeunes ! Quel bonheur ! Je rencontre N. Mammeri, la fille du grand écrivain. Son cabas plein de livres lui fait pencher l'épaule. Elle achète les romans algériens. Elle sait de qui tenir. Rassure-toi, amie, on ne l'oublie pas, la Colline.
Deux femmes me demandent comment faire lire leurs enfants. Attention mesdames, problème sérieux. Ne pas commencer tôt à les obliger. La lecture commence vraiment vers 8/10 ans, mettons après le primaire. C'est à partir de là que l'avenir de l'enfant se joue, parole de prof ! C'est à ce moment qu'il faut les obliger à un rythme, à une gestion de leur temps, dont la lecture. Jusqu'à 12 ans, ils doivent s'imprégner de culture et apprendre par mimétisme ce que font les parents. Donc, c'est à vous de lire pour qu'ils vous voient lire. Faites semblant s'il le faut ! Vous pouvez aussi leur faire la lecture, IMPORTANT : leur apprendre à gérer un coin à eux avec une petite boîte-bibliothèque, quelques petits livres, des jouets et laissez faire, ils se débrouilleront. Mes petits-enfants, que j'adore, commencent à lire aisément. Ils ont 10 ans, mais leur grand-père est écrivain, me diriez-vous.
Walou ! Rien à voir. C'est une responsabilité parentale et environnementale (l'école et le quartier). Imposez-leur des heures de sortie pour jouer et des heures de trituration de livres et de travaux pratiques qu'ils doivent inventer. Et puis, Mesdames, commencez d'abord par lire vous-même et dites à votre voisine de lire et à la voisine de le dire à sa voisine, et toute l'Algérie lira ! Bon, revenons à nos moutons, les livres. La radio, chaîne 4, m'agrippe et me soumet à une émission en direct concernant justement la lecture, alors que la belle Hakima de Canal-Algérie me propose un rendez-vous pour une émission en direct. Mais bien sûr, Hakima. Que ne ferait-on pas pour les belles de la radio et de la télé ? Je tourne dans les allées comme si j'étais là depuis mille ans. J'arrive au stand de l'OPU. Kaddour M'hamsadji signe son nouveau livre : le tome 2 de Casbah, Zman – Le mariage. Chers amis, achetez ce livre que vous ne retrouverez pas dans 5 mois. Pour son contenu exceptionnel mais aussi pour sa couverture : une illustration très rare, expliquée en page 11 : estampe du commandant Leblanc en 1835, lors de la conquête de Constantine. Vous remarquerez les qabqab en bois de la mariée. J'ai gardé celles de ma mère lors de son mariage en 1936. Et en 1938, je suis né, sinon je n'aurai pas l'honneur et le plaisir de vous raconter tout cela. A l'année prochaine, pour un autre Salon du livre. Bisous !
*Vient de publier Une femme dans les affaires. (Roman) Ed. El Othmania. Alger. Nov.2009.


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