Virgules en trombe* de Sarah Haïdar est une esquisse de roman, c'est-à-dire une manière d'histoire enchevêtrée, compromise entre diatribe poétique débridée et provocations ultimes (crimes, imprécations, tortures et dépravations diverses). Ce serait une sorte de roman gore si le parti pris poétique n'en annulait pas la scénographie sanguinolente. Ce serait une fable fantastique si la raison textuelle ne l'ancrait en permanence dans une sombre jouissance littéraire. Les trente premières pages sont un pur concentré d'ironie assassine, de sentences sulfureuses et de désespérance définitive que le lecteur reçoit comme une claque sur la gueule. Un rat, une araignée, une journaliste-écrivaine nègre et un pédophile métaphysicien forment des repères flous dans une écriture impressive et obsessionnelle. Le roman vaut davantage que son titre qui file plutôt une métaphore mécanique et la coquetterie générique de «presque roman», pour être originale, n'éclaire pas plus que cela le lecteur en mal de catégorisation littéraire. Les ruptures de style, les inserts fantasmatiques et des séquences de pur soliloque poétique perturbent évidemment une lecture planaire et suivie. Si certains effets (divagations textuelles, longues digressions sur l'écriture en acte, etc.) sont parfois répétitifs et un rien gratuits, le ton est généralement maîtrisé sans fausse ingénuité. Il y a immanquablement des associations littéraires qui s'imposent : l'absolu métaphysique d'un Georges Bataille, la fulgurance poétique noire d'un Lautréamont, le sacre de la cruauté d'Artaud, l'influx de la parole prophétique d'un Mohamed Kheir-Eddine dans «Histoire d'un bon Dieu». Mais au-delà des convergences et des rencontres possibles, ce texte de Sarah Haidar révèle un tempérament et une vraie empathie pour une écriture décalée et buissonnière. Il reste, comme nous y invite le final de Virgules en trombe, à en confirmer les possibles.
*Sarah Haidar, Virgules en trombe, préface de Lynda-Nawel Tebbani-Alaouache, Alger, Editions Apic, 2013.