Un brouillard ocre et dense enveloppait la ville du Caire hier matin. Il ne s'agit pas d'un caprice de la météo mais du résultat de la pollution qui touche de plein fouet cette mégapole survoltée où vivent plus de 20 millions d'âmes. L'Algérien qui débarque dans cet immense chaudron qu'est la capitale de l'Egypte doit fournir des efforts pour s'adapter rapidement. Votre serviteur s'est mis à apprendre l'égyptien frénétiquement. Le Caire (Egypte). De notre envoyé spécial Il faut parler et penser dans cette langue pour pouvoir communiquer avec ses interlocuteurs et, surtout, rester concentré pour absorber le débit rapide des autochtones. Ne comptez pas trop sur l'anglais, cette langue n'est maîtrisée que par une partie d'intellectuels du pays. En dehors de l'égyptien, point de salut. Il faut également s'adapter à la circulation démentielle, aux coups de klaxons incessants, à la cuisine locale, à ces satanés chiffres indiens aussi mystérieux que des hiéroglyphes et à la monnaie du pays qui est la livre égyptienne. En bref, il s'agit de se fondre au milieu d'un environnement inhabituel car, si les Egyptiens sont gentils et serviables, dans un pays de vieilles traditions touristiques, les étrangers sont plumés comme des pigeons. Aussitôt qu'ils sont reconnus, les prix passent du simple au triple. La presse égyptienne de ce samedi revient très largement sur la fameuse rencontre du 14 novembre. La tension commence véritablement à monter à mesure que le jour J approche. A lire les gazettes du Nil, en gros, les Algériens sont sommairement accusés de dépassements en tous genres. Le très sérieux Al Ahram fait cependant un distinguo entre les appels au calme et à la modération lancés par les officiels algériens et une presse accusée de « transformer un match de foot en bataille de guerre ». La guerre, si guerre il y a, on la trouve plutôt à la première page du journal Saout El oumma qui publie une caricature du « captain Shahata » juché sur un char qui tire des boulets en forme de ballon. Ce n'est pas le seul exemple de l'esprit guerrier qui anime certains médias égyptiens. Vendredi soir au cours de l'émission « El Kora Fi Dream » que diffuse une chaîne satellitaire, nous avons eu droit à un exemple type du chauvinisme version pharaonique. Usant d'un ton sans concession et d'un verbe à la limite de la crudité, le présentateur vedette du programme revendique ouvertement son sectarisme. En une heure d'antenne, il passe à la moulinette un nombre très appréciable de personnalités algériennes. Tout le monde en prend pour son grade : Hadjar, Saâdane, Azeddine Mihoubi, la presse algérienne, Warda, cheb Khaled et d'autres encore. « C'est vous qui avez commencé et il n'y aura pas de roses pour vous recevoir. Vous trouverez 80 000 guerriers dans les gradins et 11 ogres sur le terrain », dira-t-il en s'adressant directement aux Algériens. Zapping Loin des talk-shows transformés en tribunes d'invectives, l'Egypte semble beaucoup plus préoccupée par la montée en puissance du péril de la grippe porcine. Plus de 150 cas recensés dans les écoles seulement. Plus de 1500 cas dans tout le pays. Le gouvernement annonce que 8000 équipes médicales sont prêtes à suivre les élèves en cas de fermeture des écoles. Rien que pour cette journée de samedi, la télévision égyptienne vient d'annoncer 84 nouveaux cas. Il y a véritablement péril en la demeure. Le samedi est une journée fériée en Egypte. Voilà ce qui explique la fermeture de notre ambassade située à Zamalek et par laquelle nous comptions transiter pour avoir quelques informations sur les conditions de séjour des 2000 supporters algériens qui comptent se déplacer au Cairo Stadium pour jouer le douzième homme. Qu'à cela ne tienne, votre serviteur décide donc de mettre à profit cette journée pour partir à la découverte du Caire médiéval. Petite virée au fameux bazar de Khan El Khallili. Le souk est un extraordinaire lieu foisonnant de vie où l'on peut prendre le pouls d'une Egypte profonde, occupée à lutter contre les difficultés du quotidien. Loin, très loin de la rencontre du 14 novembre. C'est un étourdissement des sens au milieu des senteurs épicées, des fumets d'une cuisine locale variée, des cris des vendeurs ambulants, des porteurs de ballots, des vendeurs de thé ou d'eau, au milieu de ruelles étroites et enchevêtrées, où les échoppes d'objets traditionnels se serrent les unes contre les autres. Petite halte dans un minuscule café traditionnel où l'on fume la chicha en dégustant un thé rouge, en jouant aux dominos et en déjeunant sur le pouce. C'est ici que venait Naguib Mahfouz pour se ressourcer et s'imprégner de la substance nourricière de ses écrits. C'est également le marché privilégié des petites gens qui y viennent pour y dénicher la bonne affaire pour eux-mêmes ou leurs enfants. Non loin de Khan El Khallili, il y a le vieux Caire fatimide. Cette ville médiévale est un musée à ciel ouvert où d'extraordinaires monuments et des chefs-d'œuvre historiques s'alignent les uns à côté des autres. C'est l'occasion de voir, encore une fois, un lieu de rapprochement entre l'Egypte et l'Algérie étant donné que la dynastie fatimide a pris naissance au cœur des monts des Bibans, à Iguedjane, en Kabylie, avant de prendre son essor et de venir fonder Le Caire en 969. C'est un lieu où foisonnent les touristes occidentaux qui apprécient particulièrement cette plongée dans l'histoire au milieu des boutiques d'objets traditionnels et des artistes peintres. Soha, 20 ans, est étudiante aux beaux-arts. Assise sur un tabouret dans un coin tranquille, elle s'applique à peindre une vieille ruelle. Elle parle un très bon français et consent volontiers à partager ses impressions avec un journaliste algérien. Nous laissons Soha à son chevalet et ses toiles après avoir longuement conversé sur l'art, l'histoire et le football. Quelques minutes plus tard, deux policiers en civil m'abordent discrètement et me demandent l'objet de ma présence en ces lieux, ce que je photographie et la nature des notes que je prends. Apprenant ma nationalité et ma profession, ils me demandent, toujours gentiment, si j'ai une autorisation spéciale pour faire un reportage. Ne possédant pas ce document, ils me prennent ma carte de presse et mon passeport et me demandent de les suivre dans un bureau après avoir, au préalable, informé par téléphone leur hiérarchie qu'ils avaient débusqué un journaliste algérien prenant des notes et des photos. Quelques minutes plus tard, nous arrivons dans un minuscule bureau de la police touristique où se trouvent trois officiers qui m'interrogent toujours poliment. Votre serviteur explique dans un arabe littéraire mâtiné de quelques expressions égyptiennes fraîchement apprises l'objet de sa présence au Caire. On ne plaisante pas avec les antiquités De nouveau, je suis convié à suivre un officier vers un autre bureau où se trouvent d'autres gradés à qui il faut encore expliquer l'objet de ma démarche. Mes documents me sont rendus assez rapidement, mais on me recommande de m'adresser à un obscur service ministériel qui s'occupe de délivrer des autorisations pour les journalistes désirant effectuer un reportage sur les lieux touristiques. Apparemment, en Egypte, on ne plaisante pas avec les antiquités qui nourrissent tout un peuple. En civil ou en uniforme, les éléments de la police touristique sont déployés dans tous les sites sensibles. Heureusement que je n'étais pas à proximité du stade d'Assouan où le onze égyptien se trouve actuellement en stage bloqué, sinon, j'aurais certainement été accusé d'espionnage. Les chauffeurs de taxi du Caire viennent de lancer une opération d'encouragement au onze des Pharaons. Ceux qui se sont joints à cette opération ont repeint leurs taxis aux couleurs de leur équipe fétiche. Le chauffeur de taxi est le premier et souvent le dernier contact de l'étranger qui débarque sous d'autres cieux que les siens. Ceux de l'Egypte repèrent l'étranger en vous au premier coup d'œil. Dites seulement vous venez d'« El Gazaïr » et les langues se délient tout de go pour aborder ce fameux match qui déchaîne les passions et enflamme les esprits. Les plus directs vous diront : « Ha nekseb ! », ce qui veut dire : « Nous allons gagner ». Les autres vous diront exactement la même chose mais après vous avoir servi la sempiternelle tirade sur les liens de fraternité et d'histoire commune entre nos deux pays. Amr, chauffeur de taxi, n'y va pas par quatre chemins. Il est convaincu que l'Egypte va gagner parce que, dit-il : « Nous avons les meilleurs joueurs du monde. » Tout simplement. Cet admirateur de cheb Khaled écoute le King du raï à longueur de journée mais il ne comprend pas grand-chose à ce qu'il chante. Chemin faisant, Amr me demande de lui traduire en arabe le méga tube Aïcha et de transcrire les paroles sur un papier. Je m'exécute volontiers. Ce soir Amr va écouter cheb Khaled tout en rêvant du succès de son équipe. Quelques minutes avant de débarquer de son taxi, un ami du bled m'appelle pour me demander de lui ramener une cassette d'Oum Kaltoum. Lui, aussi, ne comprend rien à ce que chante la diva du Nil, mais il l'apprécie beaucoup. Certains jettent des passerelles alors que d'autres s'occupent à couper les ponts entre les deux pays. Ainsi va la vie entre l'Egypte et l'Algérie. Deux pays qui s'aiment autant qu'ils se détestent mais sans trop se comprendre.