C'est la délivrance pour ces dizaines d'étudiants algériens résidant en Egypte. Terrorisés par la haine de l'Algérien qui s'est déchaînée au pays des pharaons, ils sont contraints de retourner au pays. A l'aéroport du Caire, ils subissent les pires humiliations. Il est 21h 30 lorsque le Boeing d'Air Algérie, en provenance du Caire, atterrit à l'aéroport international d'Alger. Tous les passagers, une centaine, en majorité des étudiants, ont fui dans la précipitation l'Egypte. Certains, dès leur arrivée, éclatent en sanglots, d'autres encore sous le choc se murent dans un silence éloquent. Tous ont subi les pires humiliations à l'aéroport du Caire, juste parce qu'ils sont Algériens. Les hommes sont déshabillés et laissés debout pendant de longues minutes, les femmes « tripotées » à plusieurs reprises et leurs sacs vidés par des policiers en rage de l'Algérien et les bagages abandonnés sur le tarmac obligeant les passagers à les transporter jusqu'à la soute. Aucune distinction entre les femmes, les enfants ou les familles des diplomates, censées jouir de l'immunité. Des récits choquants et désolants qui donnent froid dans le dos et suscitent de l'inquiétude pour ceux qui sont encore bloqués dans de nombreuses villes égyptiennes et n'ont pas eu la chance de trouver une place sur les vols d'Air Algérie. Aïcha est étudiante en droit. Elle prépare depuis deux ans un magister en droit international au Caire. Elle jure de ne plus retourner là où elle pensait être chez elle. « Ils jurent tous de tabasser tout Algérien qu'ils trouveront sur leur route. J'étais au marché lorsqu'un groupe d'Egyptiens m'a interpellée. Je me suis enfuie la première fois. La seconde fois, j'étais avec une amie dans un salon de thé et le serveur m'a chassée des lieux. Le propriétaire du magasin d'à côté qui me considérait comme une bonne cliente est venu me dire de ne plus remettre les pieds chez lui, en me menaçant de mort. La propriétaire de la maison que je louais est venue me dire après deux années d'une relation plus qu'amicale, de lui remettre les clés. La haine de l'Algérien s'est vite répandue. J'avais peur de parler et d'être reconnue à mon accent. Je ne pouvais plus vivre dans un tel climat », dit-elle, les larmes aux yeux. Malika est dans la même situation. La gorge nouée, cette étudiante du centre de recherche et d'étude arabe raconte comment après le cauchemar qu'elle a vécu depuis le premier match au Caire, les humiliations se sont poursuivies à l'aéroport. « Ils nous ont parqué dans une salle et laissé pendant des heures, avant de procéder à deux reprises à une fouille corporelle. Aucun respect pour les femmes et les enfants. Ils nous parlaient avec haine. Mon sac a été vidé et même les tubes de dentifrice et de fond de teint. Ils m'ont pris mon parfum et mon déodorant et je passe sur les réflexions déplacées qu'ils nous lançaient. Ils voulaient à tout prix exprimer leur haine à notre égard », raconte Malika, avant de conclure : « Jamais je ne retournerai là-bas même s'ils me coupent les jambes. » Saïda fait partie d'un groupe d'une dizaine d'Algériens envoyés pour un stage de formation d'un mois. Selon elle, les vexations ont commencé dès le premier match joué au Caire, le 14 novembre. « Nous sommes arrivés le 2 novembre au Caire et tout s'est bien passé. Nous étions très bien considérés jusqu'à ce match du 14 novembre. Depuis, nous étions escortés à chaque fois par la police du tourisme. La situation s'est aggravée au point où notre escorte nous a déconseillé de parler ou de nous déplacer seuls. C'était invivable. Nous n'étions en sécurité nulle part. Nous ne pouvions pas continuer à suivre notre formation dans de telles conditions », souligne-t-elle. Samer est un médecin syrien, qui vit en Algérie et qui était en déplacement en Egypte, est la victime collatérale. Tout comme les Algériens, il dit avoir été humilié à l'aéroport du Caire, tout juste parce qu'il prenait le vol d'Air Algérie. « Ils m'ont fouillé à deux reprises avec la manière la plus indigne. Je ne pouvais supporter cet affront. Je me suis senti comme un délinquant. J'étais tellement en colère qu'une fois entré dans la salle d'embarquement j'ai crié de toutes mes forces, One two three viva l'Algérie, juste pour les narguer. » Ahmed est avec sa femme et ses deux enfants. Il rentre définitivement après un séjour de plusieurs années en Egypte. Il travaillait dans une compagnie pétrolière. Son contrat est arrivé à terme, mais il a refusé de le reconduire. Le climat, dit-il, n'est plus le même. Il est devenu dangereux pour les Algériens. Sa femme raconte son calvaire dans les marchés, les rues, les magasins et même dans l'immeuble où elle dit avoir vécu de bons moments avec ses voisins, devenus aujourd'hui ses pires ennemis. Depuis le match du Caire, c'est la chasse a l'Algérien « Je ne savais même pas qu'il y avait un match de football. Je faisais mes courses comme d'habitude et je voyais que les marchands, qui me recevaient à bras ouverts avant, me parlaient avec haine et m'insultaient. Je commençais à ne plus décliner ma nationalité. Je leur disais que j'étais Marocaine, et je ne comprenais pas pourquoi l'Algérien était devenu subitement un ennemi. Je suis partie voir des amis égyptiens et durant toute la soirée ils ne parlaient que football. J'ai entendu de tout. Je me suis sentie indésirable. Lorsque j'ai vu les chaînes de télévision égyptiennes et les flots d'insultes contre l'Algérie et les Algériens, j'ai pleuré toute la nuit. Dans la rue, les propos sont plus violents. J'ai compris que notre vie était en danger là-bas. Il fallait coûte que coûte rentrer au pays. Mais notre psychose n'a pas pris fin. A l'aéroport, j'ai senti une telle humiliation que j'avais envie de crier. Jamais je n'ai vécu une telle violence. Je ne comprenais plus rien », raconte cette mère de famille. Un jeune, parti pour une formation d'un mois en psychologie, revient sur ce qu'il qualifie de terrorisme verbal. « Nous étions enfermés dans nos chambres de peur d'être lynchés par les Egyptiens qui se sont lancés dans une véritable chasse à l'Algérien. La propriétaire des lieux avait tellement peur, qu'elle a fini par nous demander de partir. Nous ne pouvions plus vivre dans un tel climat. Ils nous insultaient avec des propos inimaginables, ils nous traitaient de tous les noms et nous promettaient une mort de chiens s'ils nous trouvaient. Nous étions vraiment en danger. » Billel est un jeune étudiant en pharmacie. Il est encore sous le choc. Il était parmi les supporters qui ont assisté au match du 14 novembre au Caire. Son récit est poignant. « Dès que le match s'est terminé, nous sommes sortis du stade. Le premier groupe est monté dans le bus et à peine quelques mètres, la foule a commencé à le caillasser. Les vitres ont sauté en éclats et des blessés criaient. Si ce n'était pas l'intervention des policiers qui l'ont encerclé pour le protéger, il y aurait eu un massacre. Nous nous sommes repliés à l'intérieur du stade et nous sommes restés à l'intérieur jusqu'à 2h du matin, jusqu'à l'arrivée de notre ambassadeur sur les lieux. Il nous a ramené des bus et une escorte pour nous transporter loin de la foule hystérique. Nous sommes restés cachés pendant toute la semaine et après le match de Khartoum la situation s'est aggravée. Des insultes, ils sont passés aux menaces de mort. Nous ne pouvions plus supporter la situation. » Pour l'instant, Billel ne veut plus entendre parler de l'Egypte. Il veut oublier « l'horreur » qu'il a vécue au milieu de ceux qu'il considérait comme ses « frères ». Tout comme cette femme, mère de deux adolescentes, qui, en dépit de son statut d'épouse de diplomate, n'a pas été épargnée. Les larmes aux yeux, elle dit n'avoir pas compris pourquoi tant de haine en quelques jours seulement. « J'ai passé des années là-bas et jamais je n'aurais pensé qu'un jour ceux qui m'aimaient et que j'aimais comme ma famille pouvaient se retourner contre moi avec une telle violence. Il n'y avait aucun respect pour l'immunité diplomatique. L'ambassadeur en personne a été frappé par une foule chauffée à blanc par la presse. L'ambassade est toujours assiégée par les policiers et la chasse à l'Algérien est systématique. Plus grave, au niveau de l'aéroport du Caire, c'était une vraie humiliation. Ils nous ont traités comme des délinquants ou des terroristes. Jamais je n'ai vécu cette violence. C'est indigne de la part d'un pays musulman », déclare cette mère de famille. Si pour l'instant, quelques centaines d'Algériens sont revenus au pays, des centaines d'autres restent bloquées là-bas, notamment parce que les agences de voyages, nous dit-on, refusent de leur vendre des billets. Ils ne peuvent retourner au pays que par Air Algérie. Les autres compagnies étrangères, coûtent trop cher. L'Etat devrait prendre les mesures nécessaires pour leur permettre un rapide retour au pays.