L'acteur Français Jean-Claude Brialy, Le Beau Serge, vient d'observer un voyage initiatique l'ayant mené dans sa ville natale Sour El-Ghozlane, Blida, Annaba, Alger et Tamanrasset. Des retrouvaillent émouvantes. Entretien prodigue ! Jean-Claude Brialy en Algérie, un voyage initiatique, un retour aux sources... Vous savez l'enfance marque toujours les hommes ou les femmes. L'endroit où l'on est né, où j'ai grandi, découvert la vie, appris à lire et à écrire, fait la connaissance de l'amitié, tout cela reste marqué. Moi, je suis né à Aumale, Sour El Ghozlane. Je suis resté deux ans à Aumale, quatre ans à Blida et quatre autres à Annaba. J'ai donc passé toute mon enfance, ici, en Algérie. Je n'ai jamais été, moi, confronté ni avec la guerre ni avec les évènements qui ont traversé l'Algérie depuis l'indépendance, le terrorisme... J'ai un souvenir de l'Algérie : que du bonheur ! Je suis né parmi la mer, la montagne, le soleil, le jasmin, les orangers et les citronniers... Ma mère était jeune et belle. Mon père était militaire, un officier, et il était gentil. Donc, tout était paix et bonheur. Enfant innocent, je n'ai jamais senti ce qui a existé : la colonisation. C'est-à-dire des gens se croyant supérieurs et traitant les autres comme une quantité négligeable. Je n'ai pas connu cela. Les Algériens proches de l'entourage de mes parents étaient respectés, traités comme nous et on ne les exploitait pas. je n'ai pas vécu cette différence. Et les retrouvailles de l'enfant prodigue avec sa ville natale Sour El Ghozlane (Aumale)... J'ai retrouvé Sour El Ghozlane évidemment changée et grandie. Et c'est normal. Il faut que le pays se développe. Et en même temps j'ai retrouvé le cœur de la ville, l'artère principale avec le cercle des officiers où je suis né, la place, l'école maternelle, l'hôtel de ville... J'ai retrouvé des lieux qui n'ont pas changé. J'ai été frappé surtout par l'accueil chaleureux de centaines de personnes, jeunes et vieux, venues m'offrir l'hospitalité. Et qui étaient vraiment contentes, je crois, de me voir. Comme moi, j'ai été heureux de les voir. Puis Blida... Le centre-ville de Blida n'a pas changé. Mais j'ai réussi à retrouver la petite villa où j'habitais. Nous n'étions pas propriétaire de cette villa, mais locataires. Donc, je n'étais pas très attaché à la maison. Moi je suis né en Algérie par accident. Je n'ai pas de parents et grands-parents. Je ne suis pas pied-noir. Ce qui ne veut pas dire que j'ai honte. Je suis venu comme cela, par hasard, dans un beau pays. Vous voulez dire quelque chose... Oui, j'avais un rêve : découvrir Tamanrasset. Je ne connaissais pas. J'ai été toujours fasciné, quand j'étais enfant, par Charles de Foucauld, qui a eu une vie exceptionnelle, ayant découvert la foi, le désert, le Sahara, le Hoggar. Et puis il est tombé amoureux de ce pays. Je crois que le père de Foucauld est un symbole magnifique de la fraternité et de la tolérance entre la France et l'Algérie. J'ai découvert des lieux magiques et fabuleux à Tamanrasset. Avant-hier, j'ai été à Annaba où j'ai visité la Basilique de saint Augustin, qui était algérien, ayant compris toute l'humanité, et il l'a écrit. Ce désir de retour aux sources et d'appartenance nostalgique, vous l'avez extériorisé en signant un livre le Ruisseau du singe... Tous les hommes et les femmes se souviennent précisément de leur enfance, de leurs parents, de leurs vacances, de leur bonheur. Moi j'ai eu un privilège. Je suis revenu en 1965 en Algérie. Le président Boumediène m'a aidé à retrouver mes souvenirs, sans le voir, à revoir Aumale, mais pas Annaba. Mais c'était très confus à l'époque. On était nerveux. Après, je suis revenu à Alger, au début des années 1980, pour un hommage à Romy Schneider, qui venait de disparaître. Et ce, sur invitation de la Télévision algérienne pour parler de Romy Schneider, ici, à Alger. Si vous voulez, j'ai fait ce voyage qui a duré huit jours étape par étape. Et j'ai essayé avec l'âge que j'ai - plus de 70 ans - de regarder avec mes yeux d'enfant mon rêve. Et j'ai réalisé mon rêve. Je voudrais rapporter cela en France, ce sentiment de liberté à Alger et en Algérie. Pour qu'on ait plus peur. Ce ne sont pas les Algériens qui sont cruels. Il y a toujours dans le monde des fous qui, au nom de telle ou de telle idéologie ou prenant prétexte de quelque chose pour prendre le pouvoir et tuer, au Japon, en Chine, en Israël ou au nom de l'islam. Que ce soit Allah, Dieu ou bouddha, Dieu existe. Donc, j'ai ressenti, chez les Algériens, cette envie qu'ont les Algériens d'être tranquilles, de vouloir travailler et aimer leur pays. Ils ne veulent pas que leur pays soit isolé. L'Algérie est un grand pays dans le concert des nations. Il faut dire maintenant qu'ici c'est un pays où l'on aime. Que gardez-vous de ce voyage ? Je garderai de ce voyage une image de paix. Malgré la pluie et le froid - ce qui est rare ici -, le pays reste beau. Quand un enfant quitte la maison, on le juge un peu. Et puis quand il revient, on la lui ouvre. Et la lumière est là. Ce sont des retrouvailles familiales et fortes. Et vous avez été reçu par le président de la République... Oui, absolument. J'ai été reçu par le président de la République pendant quatre heures. Ce qui est un grand honneur pour moi. On ne connaît que le chef d'Etat prenant les décisions pour le bien de son pays. Mais quand on rencontre l'homme qui est à la fois cultivé, d'une grande gentillesse, attentif, qui sait écouter les autres, qui a un regard malicieux, qui a beaucoup d'humour, on est frappé. Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est que souvent les grands hommes parlent d'eux-mêmes. Toutefois, le Président parle de son pays, des Algériens avec beaucoup de tendresse et d'affection. Mais aussi avec beaucoup d'autorité. Parce qu'il a un peu raison : car le pays, depuis quarante ans, était comme un bateau ivre emporté contre les rochers et les récifs en ayant des options politiques. Lui, ce qu'il veut, c'est remettre le bateau à la mer et que le pays s'ouvre aux autres pays. Et cette crainte, qui vient d'Europe, est fictive. Je veux dire que l'Algérie est un pays d'amour, hospitalier et de découvertes exceptionnelles. Ce pays est accueillant et il est beau à voir. Ce fut une belle aventure depuis le Beau Serge... Je ne peux pas porter un regard sur ma carrière parce que je suis trop près de cela. Mais depuis le Beau Serge, j'ai fait 200 films comme acteurs. Ce qui est trop. J'aurais préféré en faire 25 qui soient des chefs-d'œuvre. Mais j'en ai fait quand même de beaux films. J'espère que je vais continuer à en faire. Je joue au théâtre depuis l'âge de 20 ans. J'ai exercé un peu dans le journalisme. j'ai écrit des articles dans des journaux un peu people. J'ai signé deux livres. Vous êtes un boulimique de la vie... Non pas boulimique. Je crois que la vie, c'est le mouvement. Pour moi, le mot retraite est égal à mort. Vous êtes très complice avec l'actrice Jeanne Moreau... Vous savez, j'ai été amoureux d'elle quand j'avais vingt ans. Elle en avait vingt-cinq. Et puis cet amour s'est transformé en amitié et en tendresse. Et c'est comme une grande sœur pour moi. Jeanne Moreau est à la fois intelligente et brillante. Elle a fait une carrière exemplaire. Nous nous voyons toutes les semaines régulièrement. J'ai un peu reporté sur elle l'affection que j'avais pour Romy Schneider. Je crois que c'est important d'avoir des amis sur lesquels on peut compter. Qu'ils soient connus ou inconnus. Surtout quand on n'a plus de famille. Je n'ai plus mon père, ma mère, mes grands-parents. Je suis un peu hors famille. Ma famille, je me la suis créée avec des amis. Et ici, en Algérie, j'en ai trouvé de nouveaux amis. Et j'espère que je reviendrai ici, en Algérie. Je quitterai la pluie pour retrouver le soleil. Pour y tourner un film... Je vais rencontrer des cinéastes tout à l'heure à la Cinémathèque. Si jamais on me proposait un rôle qui convienne à mon physique et à mon tempérament, je serai ravi de travailler ici. Ce sera un double plaisir : faire du cinéma et être chez moi. Et la formule de circonstance... In cha' Allah !