Pour clôturer son cycle consacré à la mise en abyme, le ciné-club de l'association Chrysalide a présenté vendredi dernier, le chef-d'oeuvre de Farouk Beloufa, le film Nahla (1979). Plus de trente ans après sa sortie, Nahla fascine encore et intrigue même la nouvelle génération de cinéastes. Elle était là toutefois, timidement présente à la projection, illustrée par ces quelques fleurons du cinéma algérien de demain, axés sur le court métrage. Néanmoins, elle ne restera pas longtemps sans doute à cause de la mauvaise qualité du film, de l'image notamment, qui rendait la lecture des sous-titres en français un peu périlleuse. Seuls les téméraires devaient s'accrocher, en butte à ce malaise, déjà que le film fait presque trois heures! Un film produit en outre, à l'époque, par la télé algérienne d'ou cette image d'un match de foot qui est apparue- surréaliste - en plein milieu du film. Une copie sans doute enregistrée lors de son passage à la télé. Mais revenons au film. Devant peu de monde, l'histoire fut déroulée sous nos yeux, déjà conquis à la cause et surtout envahis par la troublante voix de Nahla alias Yasmine Khlat. Le film raconte les péripéties d'un journaliste algérien Larbi, alias Youssef Sayeh (devenu plus tard effectivement journaliste à la radio), en proie à la guerre civile au Liban suite à la bataille de Kfar Chouba, en janvier 1975. Un journaliste dans la tourmente pris entre le filet de la mort et de l'amour qu'il nourrit, bizarrement pour cette jeune chanteuse d'à peine 20 ans, symbole de renouveau et d'espoir dans un Liban en lambeaux. L'histoire du Liban comme arrière-plan, celle-ci est, contrairement à ce qu'ont dit les animateurs du ciné-club, est bien présente car bien ressentie ne serait-ce à travers l'angoisse bien visible et palpable sur le visage de ces journalistes/reporters de guerre qui passent des nuits, loin de chez eux à placer des dépêches de dernière minute afin d'informer leurs lecteurs. Ecrit en collaboration de Rachid Boudjedra et de l'ex-femme du réalisateur, Mouny Berrah, elle-même, journaliste, on sent bien ici la touche de cette derrière dans l'élaboration du scénario. Toutefois, la caméra de Farouk Beloufa insiste par des plans serrés sur Nahla, flirte presque avec son héroïne, Nahla est effectivement mise sur un piédestal. Elle nous est restituée crûment, pêle-mêle, un phantasme qui revient souvent dans l'imaginaire de son public. Mais un peu cassé disloqué, une poupée désarticulée.. Larbi, impuissant,assiste à la construction du mythe de Nahla. En fait, ce sont trois femmes aux parcours différents qui vont entourer Larbi et ce, dans un contexte politique plombé, miné en outre par le conflit israélo-palestinien. Le tragique des pays arabes est soufflé sous les yeux pleins de tristesse de Nahla, véritable bouc émissaire d'une génération, une icône qu'on veut porter au firmament comme un symbole d'ouverture sur le monde. Nahla à peine 20 ans, voit en cette trop forte considération qu'on lui voue comme un fardeau lourd à porter sur ses frêles épaules et dont le métier de chanteuse requiert d'elle, parfois, une totale mise à nu des émotions alors que, petite, sa mère lui sommait de se couvrir, se cacher. Nahla porte en elle les traumatismes de l'enfance, puisque sur scène elle restera sans voix face à ces milliers de yeux qui la déshabillent du regard, braqués sur elle. Comme un oiseau enfermé dans sa cage, Nahla refuse paradoxalement d'y en sortir, emprisonnée dans sa carapace d'artiste, son âme lui échappe complètement puisqu'elle appartient désormais à son public, qui l'idolâtre comme un mythe et la déleste de son humanité. Nahla fragile, est entourée de soins et d'attention lorsque elle sombre, noyée dans ce lugubre Liban, loin des soirées festives d'antan. Elle se réfugie alors chez son amie, la journaliste modèle, Maha, elle-même empêtrée dans des soucis personnels avec son mari égyptien. A côté de cela, il y a la pétillante résistante palestinienne Hind dont le sourire semble contenir toutes les promesses du monde, ceux d'un lendemain enchanteur, fait de paix et de liberté. Larbi au milieu de tout cela chancelle parfois en s'attachant à une Nahla en proie à ses démons existentiels, liés souvent à l'ego de sa personne. Le Liban seul face contre tous, tente tant bien que mal de s'en sortir.. Farouk Beloufa y accentuera ce sentiment de drame par des effets miroirs, et d'esthétique sur la belle Nahla dont Larbi semble développer une sorte d'amour/répulsion. L'atmosphère mélancolique du film est superbement bien rendue grâce à la musique du génial Ziad Rahbani, le fils de l'autre diva Faïrouz, qui a signé les compostions musicales du film. Un long métrage décliné entre joie, larmes, passion, espoir mais soupirs quand même, à l'image de ces éternels «ah» d'Oum Kaltoum. Nahla de Farouk Beloufa, est le seul et dernier long métrage d'une carrière jalonnée d'embûches. Son documentaire sur la Révolution algérienne a été brûlé. Son film Nahla n'a pas eu le succès escompté ni la carrière qu'il méritait, car boudé par le public. Farouk Beloufa a dû s'exiler en France en devenant chef opérateur pour le compte de France2. Mais la roue tourne et 30 ans après, les nuages semblent se dissiper peu à peu puisqu'on susurre que Farouk Beloufa compte revenir doucement mais sûrement vers le cinéma. En attendant, il revient cet été à Béjaïa dans le cadre des rencontres cinématographiques de Project'heurts, qui se tiendront du 29 mai au 4 juin, où il donnera une leçon de cinéma. A ne pas rater sous aucun prétexte!