Pas moins de 3000 enfants naissent chaque année hors mariage. En plus des traumatismes liés à la quête de soi, ils sont confrontés à l'incompréhension d'une société hypocrite qui leur dénie le droit d'exister. Combien n'ont pas pu passer leur baccalauréat ou réussi à trouver un travail décent à cause de l'impossibilité d'avoir une pièce d'identité ? Sous le poids du fardeau de la honte, beaucoup ploient mais ne rompent pas. Mohamed-Cherif Zerguine, l'un des défenseurs les plus acharnés pour la cause de l'enfance abandonnée, se félicite de l'introduction de la protection des enfants abandonnés dans la nouvelle Constitution, dont les consultations sont menées actuellement par l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Ouyahia. Mais il appelle à peaufiner le texte de manière à réhabiliter l'enfant abandonné dans la société algérienne. Et puis, s'interroge-t-il, pourquoi un enfant né sous X ne serait-il pas éligible à la magistrature suprême ? Après lecture du projet d'amendement, nous avons été interpellés par deux points qui, à notre sens, méritent réflexion. Le fait est que la constitutionnalisation de la protection de l'enfance abandonnée, contenue dans l'article 16 du projet, est historique, confirmant l'intérêt accordé à cette catégorie vulnérable de la population. L'article 58 de la Constitution est amendé et reformulé comme suit : «La famille bénéficie de la protection de l'Etat et de la société. L'Etat protège les enfants abandonnés et assiste les handicapés et les personnes âgées sans ressources.» Cependant, notre opinion serait d'introduire «l'intérêt suprême de l'enfant» et non pas le qualificatif stigmatisant une catégorie déjà en souffrance depuis des siècles. La Constitution doit garantir la protection de tous les enfants et une loi organique devra rapidement ériger une institution pour la protection de l'enfance. Elle devra consacrer un volet spécifique à l'enfance abandonnée et aux autres catégories, éliminant ainsi toute discrimination implicite. Cette mesure protectrice à l'endroit de l'ensemble de la population infantile algérienne portera infailliblement ses fruits à l'endroit de toutes les catégories en danger, mais garantira aussi le bien-être des générations futures. La reconnaissance inestimable de cette frange de la société occultée, mise sur le même pied d'égalité que tout enfant, leur apportera sans aucun doute un incommensurable apaisement. Elle aura, pour sûr, un effet déculpabilisant, garantissant ainsi le respect de leurs droits, et permettra leur implication dans l'édification d'une Algérie forte, digne et puissante par la cohésion de tous ses enfants. La Constitution doit ériger une approche novatrice à l'égard de l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle se doit d'adopter cette notion, en principe applicable à l'ensemble du texte. Le principe doit être entendu comme déterminant l'exigence procédurale et, de surcroît, l'obligation pour les décideurs d'accorder l'attention nécessaire avant toute décision ayant des effets sur un enfant en vérifiant, en amont, la compatibilité de la solution proposée avec l'intérêt supérieur de l'enfant. L'évaluation de ce qui est meilleur pour l'enfant doit imposer son opinion qui doit être dûment prise en considération. Cette dernière permettra une analyse concrète, conciliant les divers intérêts en jeu ainsi que des effets qu'auront les décisions sur les enfants. Le deuxième point contenu dans l'article 19, qui propose d'amender et de reformuler l'article 73, nous a légèrement heurtés. En effet, loin d'une quelconque audacieuse ambition, l'alinéa premier de ce dernier stipule que, pour être éligible à la magistrature suprême, il est impératif d'attester de la nationalité algérienne d'origine du père et de la mère. Cela entérine inéluctablement la mise à l'écart de l'ensemble des Algériens nés de parents inconnus et, par voie de conséquence, confirme une forme implicite ségrégationniste, ouvrant ainsi la perspective d'un débat qui risque, à court terme, de ternir l'élan équitable d'une Loi fondamentale. A notre sens, cette condition, approchée sous cet angle, est en une contradiction criante avec le premier amendement de la Loi fondamentale : «La Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple, confère la légitimité à l'exercice des pouvoirs et consacre l'alternance démocratique. Elle permet d'assurer la protection juridique et le contrôle de l'action des pouvoirs publics dans une société où règnent la légalité et l'épanouissement de l'homme dans toutes ses dimensions.»