Les Amazighs étaient plus évolués sur le plan de l'art lyrique que les Romains et ils dépassaient de loin les Vandales et les Byzantins. Tamanrasset. De notre envoyé spécial « Les Romains avaient une musique militaire qui servait à préparer les troupes aux conquêtes, mais les Vandales n'avaient pas de musique au sens propre du mot », a précisé l'universitaire Bouzid Amour lors d'une conférence à la maison de la culture de Tamanrasset à la faveur du deuxième Festival national de la chanson et de la musique amazighes. Il a relevé que l'historien grec Hérodote avait reconnu le caractère raffiné et élégant de la musique amazighe cinq siècles avant Jésus-Christ. « C'est une reconnaissance de taille puisque Hérodote avait une parfaite maîtrise du monde ancien. Il connaissait les musiques des Grecs, des Persans et des Pharaons », a précisé le conférencier. Hérodote, qui est considéré comme l'un des premiers explorateurs, est surnommé « le père de l'histoire ». Les chants amazighs sont, selon Bouzid Amour, porteurs, depuis la nuit des temps, d'idées de fierté, de courage, de résistance, de beauté et d'amour. Il a cité l'exemple des chants de la Sbiba de Tassili N'Ajjer. « Les Amazighs ont toujours exprimé par les chants leur refus des conquérants mais ils se sont adaptés aux autres civilisations. Contrairement à une idée reçue, ils n'ont jamais vécu refermés sur eux mêmes », a-t-il noté relevant que les Carthaginois n'auraient jamais bâti leur civilisation sans l'aide des Amazighs. « Massinissa avait même un parti au sein du Parlement carthaginois. Malgré cela, il y a des historiens malhonnêtes qui affirment que les Carthaginois avaient construit seuls une civilisation. Méfiez-vous des historiens de la colonisation », a noté le conférencier qui n'a pas manqué de rappeler l'apport des Amazighs à la civilisation phénicienne. S'engouffrant dans le petit « débat » actuel sur l'Egypte, Bouzid Amour a relevé que les Amazighs ont gouverné pendant deux siècles durant l'époque des pharaons. « Amazigh et Pharaons se sont mélangés depuis de plus de 3000 ans. Les armées pharaoniques étaient renforcées par les cavaliers amazighs reconnaissables à leurs burnous. On peut trouver la trace dans les fresques anciennes », a-t-il expliqué citant l'ouvrage de l'historien égyptien Rachid Nadhori. Selon lui, Ramses II, qui a régné sur l'Egypte vers 1279 avant Jésus-Christ, avait monté deux brigades, constituées de guerriers berbères, pour contrer les Assyriens qui menaçaient l'Egypte à partir de la Palestine. Pour Bouzid Amour, les Amazighs avaient eu une grande influence sur la civilisation andalouse. Reprenant le livre de l'historien algérien Bouziane Derradji, il a relevé que Abass Ibn Firnas, pionnier de l'aéronautique, était un Berbère. « Il n'a pas uniquement tenté de voler dans les airs mais il a laissé un trésor sur la musique. Il a réussi à décoder l'ouvrage majeur de Khalil Ibnou Ahmed El Farahidi, Al Aswat », a souligné le conférencier. L'avènement de l'Islam en Afrique du Nord n'a pas, selon Bouzid Amour, effacé les cultures anciennes ou les traditions musicales. Preuve en est que l'ahelil du Gourara, l'imzad et le tindi du Hoggar et du Tassili, el hassania de la Saoura, la rehaba des Aurès, le takouka des Oasis et le moghrar de Naâma sont restées intacts. Il appelé à une meilleure sauvegarde des instruments anciens de musique à l'image de ce qui se passe en Inde, en Chine et en Allemagne. « Il n'est pas normal que les œuvres de Lalla Badi et de Khedija Bali soient enseignées dans les universités au Pays-Bas, en Chine ou aux Etats-Unis et ne le soient pas en Algérie », a-t-il dit. Farida Aît Faroukh, anthropologue, s'est, elle aussi, intéressée à l'itinéraire de la chanson d'expression kabyle. Une chanson qui s'est inscrite dans une perspective revendicative après l'indépendance du pays et l'imposition, par le régime de Boumediène, d'une seule langue. « La chanson est devenue le vecteur principal de l'expression. La guitare a remplacé le fusil. Ce n'est pas par hasard que Kateb Yacine a surnommé les artistes kabyles les maquisards de la chanson », a-t-elle remarqué. L'universitaire a évoqué l'œuvre de Taous Amrouche et de Mohamed Igerbouchène pour la promotion de cette chanson. Mohamed Igerbouchène a, par exemple, laissé pour l'éternité deux œuvres majeures, Rhapsodie kabyle 9 et Rhapsodie arabe 7. Taous Amrouche, qui est également romancière, a laissé une riche discographie à l'image de Chants berbères de la meule et du berceau et Chants de l'Atlas. Farida Aït Faroukh a également parlé de Idir qui, avec la célèbre Avava Inouva, a mis la chanson berbère sur le circuit international à partir de 1976. Evoquant « le grand silence » de Cherif Kheddam, Menad, Idir et Nouara au milieu des années 1990, Farida Aït Faroukh a regretté la baisse de niveau de la chanson kabyle avec la venue sur le marché de certains jeunes artistes qui, pour des raisons commerciales, ont mis avant « la chanson à gesticulations », celles destinées aux fêtes de mariage. La conférencière a souligné « l'interberbérité » célébrée par des chanteurs kabyles comme Idir. Sur ce plan, la jeune Faroudja Saidanni, qui est montée sur scène lundi soir, se distingue par l'interprétation de chants en targui, en chaoui, en chenwi et en kabyle. Le public nombreux, qui était présent à l'esplanade de la maison de la culture, a également apprécié le répertoire mozabite du Debbache Djamel Eddine. Le Festival national de la chanson et de la musique amazighes se poursuit jusqu'au 24 décembre.