Mohamed Zettili imprime à ses pamphlets Le retour de l'âne d'El Hakim, une force expressionniste originale, opérant avec les représentations de l'enfer empruntées à la mythologie de certaines légendes populaires de notre patrimoine. Il décrit un horrible fourmillement de créatures infernales, sortant d'œufs monstrueux, proliférant autant que les espèces inférieures, par enlacement de leurs corps dans les accouplements passagers et des parturitions à une échelle gigantesque : « Accouple-toi, ma chère cité, comme les mouches et les insectes pendant le vol ou sous les décombres. » La « démonisation » expressionniste de l'imagerie naît aussi de la façon extrêmement originale dans laquelle Mohamed Zettili fait surgir le grotesque de l'univers du « cloaque ». Pour en décrire la faune détestable, décidée à se répandre partout, le pamphlétaire fait appel aux matériaux les plus hétéroclites, les organisant selon le principe de l'absurde. Ainsi, Mohamed Zettili réalise un véritable bestiaire médiéval, peuplé de personnages contemporains. Nous trouvons dans Le retour de l'âne d'El Hakim des créatures, dont les actions trahissent la stupidité infatuée de l'âne, la lâcheté du rat et la lubricité du singe. Ce n'est pas là une simple charge caricaturale, ces exemplaires « tératologiques » sortent tous d'une vision d'enfer ; demeurer collé au sol, ramper, est malédiction de la matière inférieurement organisée. « La flamme tend à la verticale, les oiseaux y ont tellement aspiré qu'ils ont réussi à s'élever », « ce sont les insectes et les vers qui rampent », et leur vie « imparfaite », obligée à l'horizontale, est « nocturne et cachée ». L'approche des êtres décrits par Mohamed Zettili suppose une intimité ordurière, car elle se fait par « moustache tactile, par pustule ou ventouses, par bave et par humeurs ». « La boue » est, sur le plan symbolique, le milieu génétique d'une telle lignée de lémuriens. Elle abrite l'entassement aveugle et indifférencié, des bas-fonds, la fermentation dans des « cloaques » épais, où tout élan vers les cieux se trouve paralysé. « Les êtres qui y vivent — dit Mohamed Zettili — ne peuvent jamais échapper à son empreinte boueuse ». L'élégant porte-documents du « grand courtier politique » transporte, d'une autorité à l'autre, le pus dont se nourrit une classe de maquereaux, de chenapans, d'assassins virtuels (notamment pendant les années quatre-vingt-dix). Le personnage lui-même est constitué de « pourriture » et « d'ordures », le « ton tassé et pétri comme une pâte d'immondices diverses », promenées dans une voiture de luxe. En parcourant les articles d'un illustre journaliste, le lecteur voit « les éclats d'azur d'une pensée imitée dans des marécages de saindoux », dont sort « le crapaud livide et fatigué de la presse ». La différence entre « Monsieur le responsable », installé là-haut, et le « ver de l'égout » « n'est qu'une question de degré ». L'impression accablante de damnation sans appel explose dans l'univers du retour de l'âne d'El Hakim, surtout à travers l'image du rut infini tourbillonnant, dont M. Zettili nous a fait découvrir, par « éclatements contrôlés », tout le drame maladif. 1)Poète et romancier arabophone, né a Jijel en 1952.