La publication, lundi, par un site internet, d'une partie du montant de la dette accumulée par certains quotidiens nationaux privés auprès des imprimeries publiques prouve que de nombreux titres continuent à bénéficier, en catimini, du soutien indirect de l'Etat. En d'autres termes, cela veut dire que le secteur des médias en Algérie est encore très loin d'obéir aux règles de la commercialité. Conséquence : les imprimeurs publics sont au bord de l'asphyxie financière et des centaines d'emplois sont menacés. En 2008, la dette des journaux avoisinait déjà les 3 milliards de dinars. Des sources proches de ces entreprises publiques révèlent que celle-ci a encore augmenté de quelques centaines de milliards de centimes en 2009. A lui seul, le quotidien arabophone Echourouk, qui se targue d'imprimer 1,7 million de copies par jour, a une ardoise de 103 milliards de centimes, soit l'équivalent de quoi bâtir de bonnes imprimeries ! L'avenir des travailleurs de ce secteur ne peut être vu qu'en noir si l'on garde à l'esprit que les imprimeries d'Etat sont elles-mêmes endettées (1,5 milliard de dinars en 2008). Pourquoi le pouvoir politique cherche-t-il encore à fausser le jeu et, surtout, pourquoi ne veut-il pas laisser le marché dicter sa loi ? Les avis divergent sur la question. Néanmoins, ils se rejoignent tous sur un fait : le pouvoir politique a une peur bleue de la presse indépendante. Et pour atténuer justement le poids ou la portée des journaux « récalcitrants ou trop dérangeants », on n'a rien trouvé de mieux à faire, en haut lieu, que de les noyer dans une multitude d'autres titres privés. Des titres, tout le monde l'aura compris, qui sont entretenus avec l'argent des contribuables. Plutôt que de convaincre les patrons de presse, dont les journaux sont surendettés, à revoir leur gestion ou, à tout le moins, à améliorer la qualité de leur produit pour attirer davantage de lecteurs et de publicité, l'Etat a au contraire choisi d'encourager la médiocrité. L'essentiel étant que certains titres acceptent de temps en temps de jouer aux sous-traitants politiques et de servir, au besoin, de porte-flingues, ce rôle ne pouvant plus être joué par la presse écrite publique. Des journaux transformés en sociétés-écran Au moment où un nombre incalculable de journaux, parmi lesquels des titres parfois prestigieux, mettent, les uns après les autres, la clé sous le paillasson à cause de la crise financière internationale et du tassement du marché de la publicité, l'Algérie est pour ainsi dire le seul pays où les pouvoirs publics contribuent généreusement à créer un paysage médiatique artificiel en finançant à coups de milliards des entreprises de presse déficitaires dès les premiers mois de leur création. Certains journaux qu'on ne trouve qu'au centre-ville d'Alger n'ont été créés que pour servir de réceptacles à la « pub ». D'autres sont même soupçonnés d'être des sociétés-écran. Un audit ou un sondage sérieux sur l'état de la presse révélera à coup sûr que sur les 67 journaux que compte le paysage médiatique national, moins d'une dizaine de titres tiennent vraiment la route. Il faut savoir qu'en plus de bénéficier des larges faveurs du pouvoir qui, faut-il le signaler, consent également à des périodes régulières à effacer leurs ardoises, certains journaux privés n'hésitent plus à annoncer des tirages record, histoire, bien entendu, de se construire des réputations surfaites. Pour asseoir cette image de titres à gros tirage, les responsables de ces journaux s'amusent même à jouer aux philanthropes en sponsorisant sans compter toutes sortes d'activités. Des journaux arabophones, connus pour n'avoir aucun respect pour les règles d'éthique et de déontologie, vont jusqu'à insulter des Algériens avec l'argent des contribuables ! Il faut dire que l'absence d'un organisme de contrôle de la diffusion de la presse écrite ou d'un outil de régulation autorise tous les excès possibles. Aujourd'hui, les lecteurs et encore moins les annonceurs n'ont aucune possibilité de connaître les tirages réels des titres de la presse nationale. Les vrais chiffres relèvent presque du secret d'Etat. Cela durera tant que l'opacité sera considérée comme un mode de gouvernance. Une opacité qui travaille pour les intérêts de tout le monde, sauf ceux de la démocratie et du droit à l'information.