Le leader mondial de la production d'acier, ArcelorMittal, n'est plus considéré en Inde comme l'employeur providentiel et l'investisseur par qui la prospérité arrive dans les régions déshéritées. De plus en plus d'ONG locales s'opposent aux projets du magnat indien, qui vient d'adandonner la construction de deux usines pour un total de 20 milliards de dollars, dans les Etats de l'Orissa et de Jharkhand. Un mouvement civil contestataire mené par les populations des villages indiens dans les Etats de l'Orissa et de Jharkhand, régions marginalisées mais très riches en ressources minières, a réussi à repousser l'assaut des investissements à hauteur de plusieurs milliards de dollars. Après le groupe de construction automobile Tata, c'est au tour du géant de la sidérurgie mondiale ArcelorMittal de faire les frais de cette résistance spontanée. Une forte et impressionnante prise de conscience collective avait commencé à faire parler d'elle au début des années 90 dans les campagnes indiennes. Les villageois auxquels on offrait de maigres compensations pour les obliger à aller vivre dans d'autres régions et à brader leurs terres au profit d'investisseurs avides de gain facile ne se laissent plus faire. Soutenue par des associations de lutte contre l'exploitation sauvage des terres agricoles et la spoliation légalisée des petits propriétaires de terrains, la lutte des villageois dans plusieurs Etats est devenue le véritable cauchemar des richissimes industriels indiens qui découvrent que l'appât des avantages dérisoires distribués aux notables des villages ne peut plus leur garantir des investissements juteux à moindre frais. Lakshmi Mittal, patron du géant sidérurgique mondial, est le second homme le plus riche d'Inde, selon la récente classification du magazine économique américain Forbes, avec une fortune qui dépasse les 30 milliards de dollars, et qui, en un an, a connu une hausse de 46%. Ce milliardaire indien de nationalité britannique veut investir une partie de ses capitaux dans la construction de nouvelles unités d'industrie sidérurgique en Inde. Face au ralentissement de la croissance dans les pays développés et la baisse de la production d'acier de plus de 20% (50% aux Etats-Unis), le patron indien a décidé de se retourner vers les pays en voie de développement. Le groupe de sidérurgie a reconnu avoir enregistré une perte nette de 792 millions de dollars au second trimestre 2009, contre un bénéfice de 5,84 milliards de dollars en 2008. L'Inde, véritable puissance économique émergente avec un taux de croissance prévu de 7%, sera l'un des plus grands consommateurs d'acier dans les prochaines années, ce qui aiguise l'appétit du groupe sidérurgique qui a fermé plusieurs de ses usines en Europe et en Amérique du Nord, pour en construire de nouveaux en Asie. En Inde, son pays natal, Mittal jouit de la considération des gouvernants mais pas de celle des paysans. Dans l'Etat de Jharkhand (est de l'Inde), ArcelorMittal voulait déplacer 70 000 villageois pour construire une usine de production d'acier pour 5,6 milliards de dollars. Les compensations promises aux habitants ont été considérées comme dérisoires face à l'expropriation des paysans et à l'éradication de familles entières de leur environnement, sans parler des menaces provenant d'une pollution nocive qui accompagne le processus industriel. L'association Eau, forêt, terre, qui milite pour la conservation des traditions et des coutumes des Adivasi (tribus qui habitent la région) de Jharkhand, a dénoncé la complicité des autorités locales dans ce qu'elle considère « un marché de dupes ». Une autre association, qui revendique les droits des populations originaires de la région, Amarme, s'est opposée au projet jugé « destructeur de notre culture et de nos modes de survie dans la jungle ». Les nombreuses manifestations tenues devant le siège du gouvernement local et le refus des petits propriétaires terriens de signer un arrangement avec le groupe ArcelorMittal a eu raison des ambitions de ce dernier, qui a annoncé l'abandon du projet, non sans décréter, avec arrogance, que ses concitoyens devaient être « éduqués à accepter le progrès industriel ». Le géant de l'acier a trouvé la même hostilité dans l'Etat de l'Orissa, au sud, où les habitants, attachés à leur identité et à leur vie ancestrale, ont refusé de céder leurs lots de terrain, rejetant les promesses de Mittal, comme la création de 12 000 emplois pour produire 12 millions de tonnes d'acier par an. Face à l'opposition des populations opposées au déplacement massif des habitants de quarante villages et au détournement de l'eau des rivières au profit de l'aciérie, Mittal n'a eu de choix que de se retirer de cet Etat. Cette vaste région de l'Inde, appelée « corridor rouge », est connue pour être le fief des groupes de rebelles armés marxistes, connus comme les naxalites (du nom de la localité où a été fondée cette guérilla). Les observateurs n'hésitent pas à établir un lien direct entre les massives expropriations de petits agriculteurs et la résurgence de cette insurrection, et interprètent la volonté du gouvernement central de mettre fin à l'activité de cette dernière, en déclenchant récemment une grande offensive militaire, comme un signal fort destiné à rassurer les investisseurs. Dernièrement, les responsables du groupe d'acier ont annoncé avoir trouvé un nouveau site pour leur projet, dans l'Etat du Karnataka (est de l'Inde) où ils comptent produire 6 millions de tonnes d'acier par an. Mais les ONG locales ne comptent pas se résigner et exigent que les investissements industriels de Mittal puissent profiter à la vie sociale et économique de la région.