Vous nous dites être un « Afghanistanais » et non Afghan… Ce pays était, à l'origine, une région de l'empire perse et s'appelait le Khorassan, le pays du Soleil levant. En 1747, l'ethnie afghane imposa ce nom. L'Afghanistan est composé de plusieurs ethnies vivant ensemble depuis plusieurs millénaires, dont les principales sont : les Ouzbeks, les Azharas, les Turkmènes, le Tadjiks, les Afghans… compte tenu de la mosaïque des peuples qui vivent à l'intérieur de ces frontières connues et reconnues internationalement. Il me semble donc logique que les habitants soient nommés « Afghanistanais » plutôt qu'Afghans. Pour exemple, les Français ne s'appellent pas des Francs. Il existe également deux termes pour le Royaume-Uni : les Anglais et… les Britanniques. En fait, si le droit des peuples, quelle que soit leur ethnie, était respecté dans mon pays, je dois vous dire que le nom ne me poserait aucun problème. Seulement certaines ethnies sont encore aujourd'hui considérées comme inférieures ! Pour résumer, ce terme symbolise mon désir profond de voir la déclaration des droits de l'homme respectée et dans mon pays et dans le monde. Il y a longtemps que vous n'êtes pas retourné dans ton lointain Afghanistan. Qu'est-ce qui vous en empêche ? Avez-vous reçu des menaces ? Pour commencer, je considère que le régime actuel de Kaboul, n'émanant pas de la volonté du peuple, n'est pas digne de ce nom. L'argent consacré à son maintien n'appartient pas au peuple, son régime non plus. Ethiquement parlant, je ne peux pas m'empêcher de l'exprimer. Et pour finir, oui, j'ai reçu des menaces et celui qui m'a menacé est aujourd'hui vice-président du pays (Mohammad Qasim Fahim, ndlr) Gardez-vous un souvenir d'Ahmad Shah Massoud ? Oui, j'ai connu Massoud. Nous étions dans le même lycée, il était dans la classe d'un de mes frères cadets et nous venons de la même vallée. Un formidable stratège, meneur d'hommes. Pendant qu'il était ministre de la Guerre, il m'a accordé trois fois des rendez-vous qui n'ont jamais abouti. Plusieurs membres de ma famille l'ont suivi, cependant je n'ai pas partagé ses analyses politiques et je pense qu il n'avait pas sa liberté d'action. Que répondrais-tu à ceux qui disent que le trafic de la drogue profite à beaucoup dans ton pays, y compris aux talibans ? La culture du pavot existe depuis l'antiquité car il était utilisé comme pharmacopée. On a voulu récemment financer les guerres fratricides par le biais de cette production. C'est ainsi que l'Afghanistan est devenu le premier producteur d'opium. Sous le régime de Karzaï, les seigneurs de guerre qui se sont battus contre l'invasion soviétique sont restés seigneurs de guerre et devenus seigneurs de drogue. Dans ce régime se côtoient aujourd'hui talibans et moujahids. La région du Sud, contrôlée par les talibans, est devenue l'une des plus grandes productrices d'opium. On peut constater les méfaits de cette accélération du trafic de drogue aux abords des grandes villes, où des centaines d'héroïnomanes jonchent les trottoirs. Que vous a apporté la calligraphie ? Après avoir été tellement déçu par la politique – je ne fais partie d'aucun mouvement ou organisation – la calligraphie m'a permis de m'exprimer et de mettre en avant les valeurs qui me sont chères : celles que j'ai apprises dans ma jeunesse et celles que j'ai acquises en Europe. Si le terme valeur peut sembler abstrait, je dirais que lorsque l'on s'engage dans quelque chose, il est essentiel de s'y tenir : ça, c'est une valeur. Lorsqu'une personne exprime devant moi une opinion avec laquelle je ne suis pas d'accord, je peux en discuter, mais je me dois de la respecter. C'est une autre valeur. En fait, tout mon parcours m'ayant mené vers le respect des êtres et des choses, il est naturel que l'esprit des phrases que je calligraphie ait le parfum de la laïcité, qu'elles soient tirées de la sagesse des anciens, de penseurs actuels ou de moi-même. Je précise que la laïcité désigne le respect des formes de pensées différentes, l'impartialité et la neutralité de l'Etat à l'égard de toutes les confessions. Puis le théâtre ? En 1983, j'ai rencontré un homme en exil à Peshawar, Sayd Bahodine Majrouh. De cette personne émanait une sorte de connaissance et de réceptivité rare, en un mot, une sagesse qui m'a profondément touché. Lorsqu'il fut question que je le revoie en 1988, il venait d'être assassiné par des fanatiques… Quinze ans plus tard, j'ai eu le plaisir de rencontrer Lionel Tardif. Nous parlions de tout et entre autres, parlions souvent des mystiques, notamment des soufis. Un jour il m'a donné à lire son projet de théâtre, Voix soufies à travers le temps, une pièce en trois tableaux sur Hallaj, Rumi et Majrouh. Puis, il m'a demandé si j'accepterais de faire des calligraphies pour la pièce. En acceptant de faire les décors, je mis le pied dans l'étrier et… il n'en est pas sorti ! Un peu plus tard, je me suis souvenu du rêve que j'avais de dialoguer avec Majrouh… mon rêve est devenu réalité au travers de cette pièce. Pour suivre ses expositions : www.meradjaudine.com