Le Printemps berbère 1980 a puisé son ancrage essentiellement de l'université de Tizi Ouzou, notamment après l'interdiction de la conférence sur la poésie ancienne que devait animer Mouloud Mammeri à l'intérieur de cet établissement, qui porte aujourd'hui fièrement son non. Le combat d'idées provenait de la communauté estudiantine qui, durant les années 1980, était le catalyseur de la mobilisation à même de donner une large dimension à la revendication identitaire en des moments où mener le combat pour tamazight n'était pas une sinécure. Même si les événements d'avril 1980 s'étaient propagés à d'importantes sociétés de la wilaya – comme Cotitex de Draâ Ben Khedda et l'Eniem de Oued Aïssi ainsi que l'hôpital de Tizi Ouzou – l'université a marqué, par sa prépondérance, la mobilisation qui a émaillé les événements, surtout avec la grève qui avait commencé le 7 avril. D'ailleurs, deux semaines plus tard, devant la détermination des étudiants, l'université avait été prise d'assaut par les forces de l'ordre dans la nuit du 19 au 20 avril. De nombreuses actions pour la libération des 24 détenus du MCB ont été décidées lors des rencontres à l'université. D'ailleurs, quelques mois plus tard, à la rentrée, des collectifs chargés de la promotion des activités culturelles amazighes en milieu universitaire ont été mis sur pied dans plusieurs campus où le théâtre et les chansons engagées foisonnaient et exprimaient un bouillonnement inattendu chez les militants de la cause identitaire. Les cours de tamazight que donnaient Salem Chaker et Mustapha Benkhemou à la faculté centrale d'Alger, à l'université de Bab Ezzouar et les instituts de Boumerdès ont créé chez la population estudiantine un éveil authentique qui s'est manifesté par une adhésion massive au combat. Cette mobilisation n'a pas été du goût du pouvoir qui a, en 1981, procédé à l'arrestation de 22 étudiants, dont trois détenus d'avril 1980 – Arezki Aït Larbi, Mustapha Bacha et Salah Boukrif – ainsi que Mustapha Benkhemou et Abderrezzak Hamouda. Depuis, le combat n'a jamais quitté l'enceinte universitaire, notamment à Tizi Ouzou qui était le bastion de toutes les luttes démocratiques. Des marches pour marquer le 20 avril sont organisées par le MCB avec l'implication massive des étudiants. Le Printemps berbère est célébré par des conférences et des galas artistiques avec des chanteurs engagés afin de perpétuer le combat. «Il y avait de la mobilisation à l'université. Tout le monde se sentait concerné par le combat identitaire. La marche du 20 avril a drainé des milliers d'étudiants qui étaient d'ailleurs à l'avant-garde de toutes les luttes pour les libertés. Le combat estudiantin a forgé plusieurs militants. Toutefois, ce n'est pas le cas aujourd'hui où l'on voit la communauté universitaire démobilisée et même indifférente à l'égard des actions de la revendication identitaire», souligne un ancien militant du MCB. Les choses ont effectivement changé ces dernières années. Peu d'étudiants s'intéressent à la question identitaire. «Je ne m'intéresse pas à la politique, je viens seulement pour étudier et repartir à la maison», a répondu un futur licencié en biologie à une question sur le Printemps berbère. Il n'est pas le seul. De nombreux étudiants ignorent l'origine des événements d'avril 1980 au point même de confondre le Printemps berbère et le Printemps noir. Une étudiante en fin de cycle de droit à Tizi Ouzou nous a cité un animateur du mouvement citoyen des archs comme détenu d'avril 1980. Le désintérêt affiché aujourd'hui par la population estudiantine à l'égard de la revendication identitaire est due, selon des militants de la cause amazighe, «au changement de génération». «Il est évident qu'un jeune de 21 ans, actuellement en fin de cycle universitaire, n'a pas l'engouement pour le combat identitaire de celui qui était étudiant il y a plus de vingt ans. Il n'a pas grandi dans le bain de la contestation identitaire. Aussi, avec l'avènement de la technologie, il est ‘branché' ailleurs», relève un enseignant.