Nous les croisons chaque jour esseulés ou en grappe converser entre eux dans un jardin public. Nous les voyons attablés dans un café maure, le matin sirotant un « moitié-moitié », discourant à perte de salive sur l'actualité du jour ou se remémorant le bon vieux temps. Nous les repérons à leur corps frêle le long d'une artère, au détour d'un marché ou au niveau d'un bureau de poste, venus s'enquérir de leur maigre pension avant qu'ils ne s'en aillent « bouffer » le temps quelque part, ailleurs, dans la mêlée urbaine. Leur regard quasi éteint par la charge des ans, plutôt par le poids du vide, renseigne sur leur condition de laissés-pour-compte. Ils sont en quête d'un passe-temps favori, histoire de meubler leur vide, se soustraire au mal-vivre ou repousser un tant soit peu le « déclin » en se fondant dans une cité où rien n'est envisagé à leur égard. Dès leur écart de la vie active, certains d'entre eux peinent à s'adapter à la nonchalance annoncée, alors que d'autres apprennent peu à peu à prêter le flanc à l'indigence. Ils trompent, l'espace d'une matinée ou d'un après-midi, leur oisiveté en se livrant à des parties de dominos assis à même le sol sur un carton ou agglutinés à un banc. Ils sont des centaines de milliers en Algérie à supporter la dure condition de retraité, et la capitale n'échappe pas à cette évidence amorphe. Si sous d'autres cieux le troisième âge peut s'offrir un sort meilleur grâce à des hobbies et des programmes sociaux adaptés à leur statut, chez nous les sexagénaires et plus sombrent dans la lassitude, la vacuité et le déplaisir d'un quotidien davantage terne. Ils n'ont même pas droit au chapitre dans les services sociaux de leurs communes. Chaque jour que Dieu fait, ils tentent tant bien que mal de supporter ce qui leur reste à mener ici-bas. A échapper à l'exiguïté de leurs logis pour battre le macadam une bonne partie de la journée avant de regagner, « benoîtement », leurs repaires. Avant de quitter, tout simplement, ce bas monde.