Après avoir pris connaissance des activités du service, elle me posa la question suivante : «Professeur, que faites-vous pour lutter contre le dopage en milieu sportif ?» Ma réponse était la suivante : «Madame la ministre, le dopage ne constitue pas encore une menace pour le sport algérien, car le premier produit dopant ne l'a pas encore fortement infiltré». Etonnée par cette réponse, elle me demanda d'expliquer ce que j'entendais par premier produit dopant, précision que j'apportais en ciblant l'argent. La ministre française, de conviction communiste, semblait tellement intéressée par ce débat qu'elle s'était assise sans gêne sur mon bureau, poursuivant la discussion pendant une vingtaine de minutes. La situation semble avoir évolué depuis cette date, avec des cas de dopage de plus en plus nombreux, particulièrement en football où six cas ont été enregistrés en 2015. Pourquoi cette intrusion des produits prohibés et dangereux dans notre sport, et notamment dans la discipline reine ? Les substances dopantes sont sollicitées, depuis très longtemps, par certains pratiquants, pour augmenter leurs performances physiques, lorsque les limites physiologiques ne permettent pas d'atteindre les résultats sportifs souhaités. C'est la raison pour laquelle les sports individuels étaient les premiers concernés, le score compétitif étant lié à la performance individuelle de l'athlète. Les disciplines collectives étaient moins exposées en raison du partage de la responsabilité du résultat atteint. La pression exercée sur les compétiteurs et leurs encadrements techniques, par les supporters, a été l'un des motifs de la recherche du meilleur résultat possible, quitte à sacrifier le travail de construction à long terme. L'instabilité des entraîneurs et l'absence de politique de formation au niveau de nos clubs de football ont empêché l'édification de grandes équipes et l'émergence de joueurs pouvant répondre aux exigences de l'équipe nationale et des compétitions internationales. L'entrée en force des entreprises économiques dans le sport, au niveau mondial d'abord, puis au niveau national, a permis à l'argent de prendre de plus en plus d'importance, y compris dans le choix de certaines compétitions (meetings internationaux en athlétisme) et joueurs, car la promotion du marketing exige des résultats compétitifs. Cette nouvelle forme de pression a suscité une réévaluation des moyens et méthodes de préparation, dépassant parfois les limites physiologiques naturelles des pratiquants. L'impact matériel de la victoire en compétition peut ainsi engendrer la recherche de tout moyen susceptible d'améliorer les potentialités du sportif et d'atteindre les objectifs compétitifs escomptés. L'athlète d'aujourd'hui est devenu une machine programmée pour faire des résultats fructueux, au plan matériel, pour l'ensemble des acteurs de sa préparation (dirigeants, staffs techniques, sponsors). Le succès compétitif intéresse parfois également les décideurs politiques qui peuvent l'utiliser pour occuper la population et taire d'éventuelles revendications et/ou manifestations. Toutes ces exigences liées à l'impact social du sport en général et du football en particulier constituent une pression morale tellement forte et stressante que les acteurs de la préparation à la compétition (joueurs, entraîneurs, dirigeants) peuvent recourir à tout moyen susceptible d'améliorer les chances de victoire. Les valeurs d'éthique, de morale ainsi que les risques sur la santé des pratiquants ne traduisent malheureusement pas souvent la préoccupation majeure des principaux concernés. C'est ainsi que des séquelles graves de dopage ont été notées chez d'anciens athlètes, qui, une fois leur carrière sportive achevée, sont livrés à eux-mêmes, sans prise en charge ni assurance. Il s'agit dans ces cas d'un véritable homicide, car le sport est fait pour améliorer la santé, donner de la joie et entretenir des relations d'amitié durables. Pourquoi y a-t-il du dopage dans le Football ? Le football est un sport collectif ; la responsabilité du résultat est donc partagée, ce qui devrait mettre les joueurs à l'abri du dopage. La recherche d'une meilleure performance individuelle obéit par conséquent à des motifs qui intéressent plus le pratiquant lui-même que son équipe. Ces motifs peuvent être soit d'ordre matériel (maintenir le statut de titulaire pour le salaire et les primes), soit d'ordre sportif (sélection en équipe nationale, négociation d'un meilleur contrat au niveau national ou à l'étranger). Les salaires et primes proposés aux joueurs de football d'aujourd'hui sont démesurément élevés par rapport à leur statut social habituel. De ce fait, et en raison de leur jeunesse et d'un manque relatif de maturité, ces footballeurs pensent à dépenser au maximum pour vivre pleinement, sans se soucier de leur devenir post-carrière. Cette propension à l'argent pousse parfois à des tentations dangereuses pour en avoir toujours plus. Ce statut de jeune brutalement riche et non préparé mentalement à cette nouvelle situation sociale constitue un gros risque de «délinquance bourgeoise», car le milieu de fréquentation reste généralement celui de son enfance, socialement modeste. La tentation pour l'entourage de tirer profit de la soudaine richesse de l'ami sportif pousse à des attitudes risquées telles que le recours à la drogue et autres produits hallucinogènes. Le joueur peut ainsi se retrouver embarqué dans une situation très comprometteuse, aussi bien pour sa carrière sportive que pour sa santé. C'était probablement le cas de certains des footballeurs contrôlés positifs et sanctionnés. L'argent qui devrait servir le sport et le servir proprement se trouve être malheureusement à l'origine de dérives qui ne cadrent aucunement avec les valeurs d'éthique et de morale qui sont censées accompagner sa pratique. Si Mohamed Baghdadi, figure marquante du mouvement sportif national, a relevé, à juste titre, dans le dernier article que lui a consacré Hamid Tahri dans El Watan, le danger de la pollution du sport par l'argent. Aucune politique de canalisation morale de notre sport n'est envisagée par les dirigeants concernés. La recherche du résultat immédiat, à n'importe quel prix, n'est pas faite pour servir les disciplines pratiquées et ciblées, et le sportif ne peut pas servir de référent positif à notre jeunesse, alors qu'il devrait être le modèle à suivre au plan du comportement. Lorsqu'un athlète se contraint au dopage pour augmenter ses performances, pour des raisons essentiellement matérielles, comment contrôler et maîtriser les jeunes pour lesquels il représente un référent ? Nos joueurs qui, pour la plupart, ne sont pas issus d'une école de formation pour façonner leur personnalité et les préparer à leur statut futur, se retrouvent face à une situation de conflit psycho-social, car en déphasage brutal par rapport à leur situation sociale antérieure. Ils seront, en fin de carrière, confrontés à un second état de cassure sociale, avec l'arrêt brusque de revenus et souvent l'absence de rentrées financières de substitution, surtout si l'argent gagné a été dépensé de façon irrationnelle, voire dilapidé. Les dirigeants sportifs devraient réfléchir à la moralisation du sport et la sécurisation, à long terme, de ses pratiquants. Le sportif, particulièrement en football, est un jeune à maturité souvent fragile. Les sommes d'argent colossales qu'il peut percevoir risquent de le perturber mentalement, au même titre que les produits hallucinogènes. C'est la raison pour laquelle j'avais évoqué, en pleine réunion de l'ACNO (Association des comités nationaux olympiques) en 2010, la nécessité de maîtriser l'argent qui a fortement infiltré et dominé le sport, car, pour moi, il représente le premier produit dopant, ne figurant hélas pas sur la liste des substances soumises au contrôle. Au niveau national, les responsables de la politique du sport devraient rapidement se pencher sur cette épineuse question en gérant de façon plus rationnelle les finances destinées aux athlètes. La création, par exemple, d'un fonds de solidarité sportive pourrait permettre de réserver une partie conséquente de la mensualité actuelle des footballeurs pour les aider à se reconvertir confortablement après la fin de leur carrière. L'aide à la création future d'entreprise sur la base des métiers du sport, pour leur permettre de rester dans leur milieu naturel, contribuerait certainement à éviter des situations de précarité qui succéderaient brutalement à une opulence conjoncturelle, exposant les concernés à des risques de déprime, voire même de délinquance mentale. Les secteurs chargés respectivement des sports et de la formation professionnelle devraient projeter une formation spécialisée dans les métiers du sport au profit des pratiquants pour un recyclage ultérieur, leur assurant une vie socioprofessionnelle digne de leur statut antérieur. En outre, une politique de formation sérieuse devrait être imposée aux clubs (écoles) afin de forger la personnalité du futur sportif d'élite et d'en faire un référent moral pour notre jeunesse. Dans le cas contraire, l'argent continuera malheureusement à dominer sur le terrain du dopage et notre élite sportive produira des référents immoraux pour notre jeunesse.