Le parti de Ali Benflis, Talaie El Houriat, a rendu public hier, à l'occasion d'une conférence de presse que son président a animée, son «Livre blanc sur le coup de force constitutionnel du 7 février 2016». C'est un opus de 140 pages qui décortique la Loi fondamentale dans sa dernière version et les arguments de ses promoteurs, c'est-à-dire le pouvoir et ses soutiens. Pourquoi un livre blanc ? La formation de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2014 se fixe «trois objectifs essentiels». Le premier, indique le document distribué à la presse, «est de tenter de montrer à l'opinion publique nationale en quoi la révision constitutionnelle est inopportune et inutile». «Elle ne répond à aucune demande et ne traite d'aucune dimension de l'impasse politique actuelle», expliquent les rédacteurs du document qui estiment, en effet, que cette «impasse politique relève plus de la nature du système politique algérien que d'imperfections de la Constitution qu'il importerait de corriger». Mieux, ils considèrent que le troisième objectif est de faire surtout «la démonstration qu'au cœur de l'impasse politique actuelle, il y a une crise de régime qu'une révision constitutionnelle de quelque ampleur qu'elle soit ne saurait, à elle seule, prendre en charge et traiter de manière effective». Le livre blanc de Talaie El Houriat est catégorique : «Le traitement de l'ensemble des manifestations de la crise de régime ne peut être que politique.» Le parti de Ali Benflis souligne, en effet, que «le moins que l'on puisse dire de cette révision constitutionnelle est qu'elle suscite des doutes, nourrit des suspicions et qu'elle divise plus qu'elle ne rassemble». Pour lui, «elle a été conçue, à l'instar de ses devancières, notamment celle de 2008, par un pouvoir personnel pour un pouvoir personnel». «Après le 8 février 2016, qu'y aura-t-il de changé ? La problématique centrale de la vacance du pouvoir aura-t-elle été réglée ? Les institutions auront-elles comme par enchantement recouvré leur légitimité et leur représentativité ? L'emprise de forces extraconstitutionnelles sur le centre de décision national et sa dislocation sous l'effet de leurs contradictions et de leurs divergences auraient-elles miraculeusement cessé ?» Rien de tout cela, affirme le parti de Ali Benflis dans son livre blanc. La seule issue martèle son président est «le retour à la légitimité». L'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2014 doute, comme jamais, des intentions du régime et explique que la promesse de la révision de la Constitution a été faite en 2011 dans un contexte particulier. «Saisi de panique et d'effroi, le régime politique en place a perçu l'extrême urgence de prendre cette initiative pour se prémunir contre la contagion de ces révolutions arabes, et il était alors prêt à se remettre en cause et à se résoudre à des concessions politiques douloureuses pour lui mais qui lui épargneraient le sort des autres régimes similaires dans le Monde arabe», a souligné le conférencier. «Mais, dit-il, dès lors que le régime politique en place a constaté que beaucoup de révolutions arabes dérapaient, se dévoyaient et dégénéraient en guerres civiles, il en a conclu que l'orage était passé sans l'atteindre, qu'il s'était sorti sain et sauf des bouleversements qu'il craignait et qu'il pouvait reprendre tout ce qu'il était prêt à concéder.» «L'idée d'une autorité indépendante terrifie le régime» Revenant à la question de la légitimité, le livre blanc de Talaie El Houriat indique que «le promoteur présumé de la révision constitutionnelle qui a été reconduit pour un quatrième mandat par la fraude électorale du 17 avril 2014, après le coup de force constitutionnel de 2008, est affecté d'un déficit de légitimité qui ne l'habilitait pas à initier un tel projet». Le document soutient aussi que «le Parlement, lui-même, produit d'une fraude massive aux législatives du 10 mai 2012, n'avait pas plus de légitimité pour donner sa caution au projet». Explication : «Le parti majoritaire (FLN) à l'Assemblée populaire nationale (APN), qui occupe 221 sièges, n'avait obtenu, officiellement, que 1 324 363 voix, soit un taux de 6,11% des inscrits. L'autre parti allié, le Rassemblement national démocratique (RND), qui a 70 députés, n'a enregistré que 524 057 voix, avec un taux de 2,42%. A eux deux réunis, précise le livre blanc, ils totalisent 1 848 420 électeurs, sur un total 21 646 841 d'inscrits, et un taux de représentation d'à peine 8,53%, fraude comprise.» Pour Talaie El Houriat, faire adopter ce projet par le Parlement actuel, avec une majorité d'un peu plus de deux millions de voix, «constituerait, dès lors, un déni vis-à-vis du peuple algérien». Ali Benflis qui trouve le régime politique algérien «inclassable», il n'est ni présidentiel, ni présidentialiste, ni parlementaire ni un régime d'assemblée, parle d'exorbitants pouvoirs entre les mains de l'homme providentiel. Le livre blanc conclut ainsi que «le Président exerce seul la réalité du pouvoir exécutif sans la responsabilité politique correspondante». Le document réalisé par le parti de Ali Benflis relève, par ailleurs, des contradictions concernant la communauté algérienne vivant à l'étranger et critique l'article 51 qui a fait couler beaucoup d'encre. «Une telle disposition qui exclut les binationaux de l'accès aux hautes responsabilités de l'Etat et aux hautes fonctions politiques est en contradiction avec l'article 24 bis qui dispose que l'Etat œuvre à la protection des droits et des intérêts des citoyens à l'étranger, mais également avec les dispositions relatives à l'article 29 qui parle de leur participation effective à la vie politique, économique, sociale et culturelle.» Le président de Talaie El Houriat soulève aussi un autre problème concernant un sujet aussi important que la sécurité nationale : la suppression des articles 122 et 123 qui l'abolit du domaine des lois organiques pour la mettre exclusivement entre les mains du président de la République. C'est encore le renforcement des pouvoirs du chef de l'Etat. En plus des contradictions et des professions de foi qu'elle comporte, la Constitution est venue glorifier l'homme providentiel, une idée pourtant révolue, selon lui. Ali Benflis aborde aussi la question relative à la surveillance des élections. «L'idée même d'une autorité indépendante terrifie le pouvoir, il y voit une menace mortelle», a souligné l'ancien candidat à l'élection présidentielle pour dire que le régime n'est pas près de céder ni même de donner une place pour l'opposition comme il le prétend.